L'Echo de la Fabrique : 16 décembre 1832 - Numéro 60

 CONCOURS.

M. J..... H.... propose les mots suivans : Erganiens, Soieritiste, seritiste, tissoieriste, tisserinier, tisseriniste, tisseriste et turquetnariste. Nous donnerons sa lettre dans le prochain numéro.

Lyon, 6 décembre 1832.

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

M. Méziat a dit, du mot soierinier, ce qu’il eût pu dire seulement du mot soyeur (si un tel mot eût été proposé) en effet, soyeur donnerait plutôt l’idée de l’ouvrier qui file les cocons, que de celui qui emploie la soie filée, et diversement préparée, à faire les étoffes (souvent mélangées d’autres matières tissables) connues sous le nom générique de soieries, mot que j’ai prétendu devoir être celui d’où devait naturellement dériver le terme appellatif des ouvriers qui les fabriquent, et par conséquent j’ai proposé soierinier, soierineur et soieriniste, en faisant remarquer que ces trois désinences étaient celles le plus généralement employées en pareils cas.

Nul, je pense, n’a encore réfléchi que si l’on n’adopte pas le mot soierinier, ou l’un des deux autres, il faudra nécessairement exclure de notre langue celui de soierie et son pluriel, afin d’éviter une anomalie choquante…  En effet, si l’on nous désignait à l’avenir, par le nom d’oriantalin (de M. Beaulieu, par exemple), ne devrait-on pas alors donner à notre industrie celui d’orientalinerie, et à nos produits le même nom au pluriel, et ainsi des autres, sous peine d’encourir le reproche d’inconséquence ?… – A propos du mot orientalin, un plaisant m’a dit que ce terme désorienterait bien du monde…  En effet, je doute qu’il pût donner à beaucoup de gêns l’idée de la chose que l’on voudrait par là exprimer. Il en serait de même des mots omnitisseur, polytisseur et autres du même genre, qui ne pourraient jamais être universellement entendus ni adoptés que par un peuple de savans.

Pour en revenir à M. Méziat, je dirai que son observation sur le mot tisseur est pleine de justesse, et qu’elle est également applicable à celui d’étoffier.

Quant au mot canut ou cannu, en faveur duquel M. Beaulieu nous a promis de se mettre en frais d’érudition, et qui a fait écrire à M. Labory une lettre passablement étrange ; j’avouerai ingénument qu’il m’a toujours paru être, non pas une épithète injurieuse, mais simplement un terme d’innocente raillerie donné et reçu comme tel. – Ainsi, pour les autres professions, nous avons les termes de gniafre, merlan, mitron, pique-prunes, etc. (dans la langue parlée seulement), sobriquets dont jamais nul individu ne s’est sérieusement ni hautement qualifié.

Se livre qui voudra à de savantes recherches pour déterrer l’étymologie d’un vieux mot ou sobriquet ; libre encore, à qui en aura le loisir de conserver pour lui une tendresse affectueuse ; quant à moi, j’ai pensé qu’il n’était pas nécessaire d’aller chercher si loin (au risque de ne rien trouver) ce que l’on pouvait si facilement et si certainement se procurer si près ! Je suis de l’avis de ceux qui désirent qu’on en finisse avec toutes les vieilleries qui n’ont pour elles d’autre mérite que celui là (si c’en est un) ; j’ai pensé aussi que le plus ou le moins de précision d’un terme n’influait pas beaucoup sur l’avancement de la science, ou le développement de l’industrie qu’il devait servir à désigner !… Je m’en tiens donc tout bonnement à l’un des mots que j’ai proposés, comme dérivant naturellement du terme générique soierie, persuadé que jamais les conseils du bon sens ne sont à dédaigner ; et qu’en toutes choses, c’est toujours à ce qui vient de là, que le plus grand nombre finit par donner son adhésion.

Veuillez agréer, Monsieur le rédacteur, l’assurance de ma parfaite considération.

RAOUL, veloutier.

 

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