L'Echo de la Fabrique : 16 décembre 1832 - Numéro 60

 PÉTITION

La pétition suivante, revêtue de la signature d’un grand nombre d’ouvriers, partira lundi soir pour Paris, où elle sera présentée à la chambre des députés.

Ceux qui voudraient y apposer leur signature sont prévenus de passer au bureau ; demain, avant deux heures précises.

A Mrs LES MEMBRES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

Messieurs,

Les soussignés, chefs d’ateliers et ouvriers en soie, des villes de Lyon, la Croix-Rousse et la Guillotière,

Ont l’honneur d’appeler votre attention sur une question des plus vitales de leur industrie, et de laquelle dépend l’existence de leurs familles.

La crainte que l’Angleterre, par représailles, ne ferme ses marchés à nos produits (ce qui anéantirait l’existence de plus de vingt mille ouvriers déjà dans la misère, et que ce débouché soutient encore), nous porte à joindre nos sollicitations à celles du commerce.

Cette rupture, dans les transactions commerciales, ruinerait l’industrie la plus nationale, l’une des plus anciennes de France, et un grand nombre de celles qui s’y rattachent. Il dépend de vous, Messieurs, de la détourner, non seulement sans imposer au pays aucun sacrifice, mais en le délivrant des chaînes qui l’écrasent, et en lui ouvrant des sources de bien-être.

Depuis l’époque où l’Angleterre a accueilli nos étoffes, nos exportations se sont élevées à plus de 25,000,000 par année ; et ce débouché entretient des consommations qui n’existeraient pas, ou iraient à l’étranger : il compense celui de l’Allemagne, maintenant très restreint, et la consommation intérieure qui, malgré le bas prix de nos étoffes, a considérablement diminué depuis quelques années.

Nos exportations pour la Grande-Bretagne ne pourraient que s’accroître, par un traité de commerce, en rapport avec les besoins et les productions des deux pays.

C’est pour arriver à cet heureux résultat que nous en appelons, Messieurs, à votre patriotisme éclairé.

Ecoutez les plaintes de l’Angleterre, elles sont justes et semblent l’écho de celles des travailleurs de France ; l’Angleterre demande que vous lui donniez les moyens [5.1]de nous payer, autrement que par la contrebande, les produits qu’elle achète de nous.

Ces moyens, Messieurs, il est facile et même urgent de les lui donner, en déclarant, ainsi qu’elle le fit pour nous, en 1826, que toutes les provenances d’Angleterre entreront en France, moyennant un droit temporaire assez élevé, pour préserver d’un coup trop rude quelques branches d’industrie, et assez bas pour empêcher la contrebande, qui ruine le commerce régulier, frustre le trésor de ses revenus, et démoralise les populations qu’elle fait vivre hors la loi.

Notre industrie ne saurait donc être sacrifiée à aucune autre ; car elle ne demande pour tout secours et tout privilége que la liberté.

Il n’est pas un homme, dans nos pauvres ateliers, qui ne comprenne qu’un pays ne peut rendre sans acheter. Si ce principe est aussi vrai pour vous que pour nous, donnez donc à la France, qui a besoin de vendre pour nourrir et occuper ses enfans travailleurs, les moyens d’acheter ; et pour cela, levez les prohibitions qui entravent le commerce et l’industrie.

Par cette mesure, vous augmenterez prodigieusement le produit maintenant insignifiant des douanes, avec cet accroissement de recettes, vous pourrez satisfaire aux vœux et aux besoins du peuple qui, de toute part, demande avec instance l’abolition des impôts indirects, qui écrasent les travailleurs.

Pour nous, Messieurs, nous comprenons si bien que le temps des priviléges est passé, que nous consentons volontiers à la libre sortie des soies de France, dont le privilége nous donnait un grand avantage sur nos concurrens. Nos frères du midi, doivent être libres d’aller vendre leurs produits par tout le monde, comme nous devons l’être d’acheter le blé, le fer, la houille, le coton, la laine, etc., où nous le trouverons à meilleur marché.

Messieurs, vous êtes tous propriétaires ou industriels, alors vous éprouvez comme nous le besoin de la paix, et vous devez comprendre que les moyens les plus sûrs de la rendre durable, c’est de multiplier les relations d’intérêt matériel d’homme à homme, de ville à ville, de peuple à peuple ; or, comment pouvez-vous l’espérer avec des douanes trop élevées et des prohibitions qui parquent et isolent les peuples, les empêchent de lier, d’entretenir et d’étendre leurs relations, par l’échange mutuel de leurs produits et de leurs industries.

Nous savons, Messieurs, combien vos momens sont précieux ; mais la question que nous vous soumettons est de la plus haute politique ; c’est celle du travail, c’est-à-dire, de la vie intérieure et extérieure des peuples, enfin de l’existence de notre populeuse cité.

 

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