L'Echo de la Fabrique : 16 décembre 1832 - Numéro 60

 Corrolaires d’économie publique.1

1. La richesse est l’excédent des produits sur la consommation.
2. L’aisance est la juste balance des produits et de la consommation.
3. La pauvreté est l’insuffisance des produits pour la consommation.
4. La valeur des produits n’est que le rapport d’un produit à un autre dans l’estime des consommateurs.
5. Pour la facilité des échanges on a représenté la valeur par des signes qui, ou bien, sont de simples conventions comme les papiers monnaies, ou bien possèdent une valeur intrinsèque comme les signes métalliques.
6. Un homme qui ne posséderait que des signes ayant cours, serait un homme riche et heureux ; un état au contraire, n’ayant que le même genre de richesse, pourrait être le plus malheureux des états.
7. Voila pourquoi l’économie privée n’a d’autre but que de transformer ses produits en signes ayant cours.
8. Mais l’économie publique doit viser plus haut : son but essentiel est d’obtenir autant de produits au moins que le réclament les besoins et les goûts des administrés. Avec l’excédent, qu’on exporte on accroit son numéraire ; avec ce numéraire, on importe l’excédent des autres pays, et l’on facilite chez soi les opérations commerciales.
9. Les produits qui se livrent à la consommation émanent de deux sources ; de l’agriculture qui les engendre et de l’industrie qui les manipule.
10. Le commerce, est pour ainsi dire, l’agence commune de l’agriculture et de l’industrie.
11. Quand le commerce au lieu d’opérer sur des valeurs n’opère plus que sur des signes, c’est-à-dire quand il se transforme en agiotage, ce n’est plus qu’un jeu dévorant, qu’une opération alléatoire dont les chances peuvent bien enrichir un particulier, mais ne sont réellement propres qu’à appauvrir un état.
12. De l’agriculture provient l’aisance, de l’industrie le luxe.
13. C’est un luxe coupable que celui qui nuit ou qui ruine ; le luxe bien entendu, n’est que l’aisance embellie.
14. L’agriculture doit fixer en première ligne l’attention de l’économiste. Pourquoi chercher à affubler d’un habit plus élégant l’homme qui meurt de faim. Nourrissez le d’abord.

Ces corrolaires d’économie publique, sont extraits d’un ouvrage que le savant et courageux républicain RASPAIL2, que nos lecteurs connaissent sans doute, vient de publier, du fond de sa prison. Privé des moyens de continuer ses travaux importans de chimie [7.1]et d’histoire naturelle, auxquels ils se livrait avant sa détention, il a voulu utiliser les longues heures de sa captivité, en dépouillant l’économie publique et rurale de la technologie, qui la rend inaccessible aux intelligences de ceux qui auraient cependant le plus besoin de la comprendre. Ce sont les définitions du bon sens ; heureusement substituées à celles de la science. C’est comme cela que Franklin et Thomas Payne ont écrit, et ils ont eu raison ; car les bonnes vérités, celles qui profitent au genre humain, sont celles qu’on peut exposer en peu de pages. Par cet ouvrage remarquable, Raspail s’acquiert un nouveau droit à l’estime et à la reconnaissance de ses concitoyens. Il se venge noblement du pouvoir qui le prive de sa liberté.

Notes de base de page numériques:

1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing, d’après la table de L’Écho de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 François-Vincent Raspail (1794-1878), chimiste et médecin. Il fut président, dès 1831, de la Société des amis du peuple. Il défend alors une conception sociale de la République à construire.

 

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