L'Echo de la Fabrique : 6 janvier 1833 - Numéro 1

 AU COURRIER DE LYON.

Après les événemens de novembre 1831, la garde nationale lyonnaise fut dissoute ; nous n?avons pas à discuter cette mesure, elle était dans la loi. La garde nationale se soumit et rendit ses armes. Mais il était aussi écrit dans la loi qu?elle ne pouvait rester dissoute plus d?un an, et pour éviter qu?elle se rassemblât spontanément le 4 décembre 1832, comme elle avait fait au 1er août 1830, et sans doute aussi pour ne pas violer la loi, la réorganisation fut ordonnée en temps utile. Les citoyens ont été convoqués pour élire leurs chefs ; s?ils se sont rendus en petit nombre, là ne saurait être la question, il serait facile au besoin de dire pourquoi. Les chefs sont nommés : qu?elle est l?opinion qui a prévalu ? là, encore, n?est pas la question. La garde nationale n?est pas instituée pour protéger telle ou telle opinion, mais seulement la cité, en particulier, contre les malfaiteurs, et le pays, en général, contre l?invasion étrangère ; dès lors, les républicains Lortet, Périer, Chanay, Bacot, etc., que nous citons au hasard dans le nombre des officiers choisis, ont autant d?intérêt à la répression des délits et à la conservation de la France que tous autres individus. Cependant, le Courrier de Lyon contient dans son n° du 25 décembre, un article étrange à ce sujet :

« On a vu depuis quelques jours, non sans un sentiment de curiosité et de surprise, plusieurs de nos concitoyens revêtus de l?uniforme d?officiers de l?ex-garde nationale. Nous désirerions vivement que cette apparition fût une réalité, mais comment s?y tromper ? Ce qui fait une garde nationale, ce n?est pas l?élection, d?après les formes voulues par la loi du 13 mars, d?un corps d?officiers (et quelle déception que cette prétendue élection !), ce qui la constitue, c?est l?harmonie qui existe parmi les hommes dont elle se compose ; c?est leur respect pour les institutions du pays ; c?est leur dévoûment, même au péril de leur vie, à la monarchie fondée aux journées de juillet. Qu?est-ce qu?une milice citoyenne dont la plupart des officiers commandent précisément aux mêmes hommes qui, pendant trois journées, ont presque sur tous les points désobéi formellement à leurs ordres, et prouvé par ce mépris de la subordination et, en plusieurs lieux, par des actes, leur sympathie pour les insurgés ! Comment et les uns et les autres pourraient-ils se trouver face à face ? Après une aussi solennelle expérience que celle des 21 et 22 novembre, quelles garanties présente, dans les circonstances actuelles, la prétendue garde nationale, à l?ordre public et à notre cité ? Nous assisterions à [2.2]une revue de cette garde, que nous redirions encore pendant le défilé des compagnies, « La garde nationale est impossible à Lyon, elle n?existe pas. »

C?est en vain que dans un article postérieur, le Courrier a voulu adoucir l?amertume de ces paroles, il n?a fait que du pathos indigne d?être cité, il n?a au reste rien désavoué. Cet article subsiste donc entier.

Il n?est que trop vrai qu?en novembre, une lutte déplorable a eu lieu entre les négocians et les ouvriers ; il est encore vrai que la majorité de la garde nationale a eu plus de sympathie pour les derniers que pour les autres. Nous prenons position sur le terrain où vous nous appelez malgré nous, et nous vous disons, hommes du Courrier, parce qu?il y a eu lutte, elle doit donc être éternelle ? La paix ne peut donc plus rapprocher les citoyens d?une même ville que des intérêts, des passions ont malheureusement divisés ? Si c?est là votre croyance, nous vous plaignons ; si c?est votre v?u, nous vous abhorrons ! Eh quoi ! il ne saurait, dites-vous, y avoir harmonie ! Ainsi tout n?est que déception dans le monde où vous vivez, hommes que représente le Courrier ! Le négociant ne voit donc qu?un ennemi dans ce chef d?atelier auquel il donne de l?ouvrage ? Il ne le regarde donc que comme une bête féroce à laquelle il a soin de donner la pâture pour éviter d?en être dévoré ? Le feu couve donc sous la cendre et n?attend plus qu?un léger contact pour reprendre sa fureur ? Et cet ouvrier, qui, dans ces journées désastreuses, fit sentinelle à la porte de vos comptoirs, respecta votre vie et vos propriétés, aujourd?hui n?attend plus qu?un signal pour plonger un fer homicide dans votre sein ! Concitoyens, désabusez-vous ! tout cela ne gît que dans l?imagination du Courrier. Oui, nous le croyons, l?harmonie peut et doit régner entre vous, sauf de rares exceptions, et il ne nous appartient pas de prononcer un verdict de blâme contre quelques-uns.

Qui donc aussi, hommes du Courrier, vous a dit que la garde nationale réorganisée n?avait aucun respect pour les institutions du pays ? Qui vous a permis de douter d?elle ? C?est bien gratuitement que vous la calomniez. Si jamais, ce qu?à Dieu ne plaise, ces institutions étaient en péril, vous verriez si à la voix de Lafayette et de ses amis, Lyon ne se lèverait pas de nouveau tout entier, comme dans les jours de juillet. Oh ! n?ayez nul souci des institutions du pays. Le Programme de l?Hôtel-de-Ville est dans tous les c?urs. Le drapeau de 89 est toujours sacré, et le nom de Lafayette n?a rien perdu de son magique éclat. Mais je conçois votre motif, vous avez succombé dans les élections, votre amour propre souffre de quitter ces brillantes épaulettes avec lesquelles vous aimiez à parader. D?autres doctrines ont prévalu ; c?est peut-être votre faute ; mais c?est un fait qu?il faut accepter, et comme vous ne pouvez expulser les ouvriers, les prolétaires, de la France, veuillez les souffrir dans vos rangs ; au jour du danger ils ne seraient pas inutiles.

C?est au nom des ouvriers, des prolétaires, que nous répondons au Courrier ; nous l?avons fait avec modération, et sans chercher à aborder la question politique. Cette question, qui nous est interdite, aurait bien aussi sa gravité ; ceux qui voudraient l?approfondir, peuvent lire le Précurseur du 31 décembre dernier, dans lequel elle a été traitée avec le talent et le patriotisme habituels des rédacteurs de ce journal récemment acquis à l?opinion républicaine. Nous observerons seulement à M. Petetin, puisque l?occasion se présente, qu?il n?est pas exact de dire qu?en novembre 1831, les ouvriers s?insurgèrent ; ils ne furent point les agresseurs ; [3.1]ils ne voulaient que le tarif promis ou cesser de travailler ; et ce qui le prouve, c?est que à des coups de fusil, ils répondirent par des pierres, avant que de prendre les armes. On avait cru leur oppression facile, leur courage démontra l?erreur ; il n?était plus temps. Les ouvriers durent la victoire, moins encore à leur nombre, qu?au désespoir qui vint les saisir lorsqu?ils virent qu?on avait voulu les tromper, et qu?à leurs justes plaintes, à leur misère, on répondait par la mort ! Ils la durent aussi à la neutralité de l?immense majorité de la garde nationale. Oh ! si le drapeau blanc eût été arboré, si l?ennemi se fût présenté sur la frontière, toute cette garde nationale aurait marché ; mais on l?appelait pour maintenir l?ordre, et on lui donnait des cartouches? Elle ne voulut pas se déchirer elle même.

 

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