L'Echo de la Fabrique : 6 janvier 1833 - Numéro 1

 DE L?EMANCIPATION DES PROLETAIRES.

L?émancipation progressive des classes laborieuses, telle que nous la comprenons, sans bouleversement, sans violence, sans secousses, ne peut arriver par une intervention collective des masses ; mais par une série d?innovations, un enchaînement successif de faits qui se dérouleront probablement ainsi : Nous ne pouvons entrer dans l?amélioration matérielle du sort des prolétaires que par voie gouvernementale : Le gouvernement, de sa nature enclin à dominer, n?abandonnera pas volontiers ses vieux erremens, ses négatives théories, qui, participant à la fois et de l?ancien ordre féodal et de l?ordre libéral nouveau, nous tiendrait éternellement, par un système de pondération et de bascule, dans un état de transition qui ne nous ramènerait point au passé, et ne nous conduirait pas à l?avenir. Le gouvernement n?adoptera donc une nouvelle pensée sociale que lorsqu?il y sera forcé par les Chambres : les Chambres elles-mêmes n?arriveront à cette haute idée de régénération que lorsque par une transformation graduelle, conséquence de l?abaissement ou de la suppression du cens électoral et d?éligibilité, elles auront subi une rénovation complète qui en aura fait une représentation vraiment nationale. C?est alors seulement que le principe fondamental de la souveraineté du peuple, l?initiative des lois attribuée aux Chambres, cette précieuse conquête de la révolution de juillet, se développera en conséquences heureuses, dont le résultat immédiat sera le soulagement des classes ouvrières, la protection égale de tous les intérêts, la reconnaissance de tous les droits, en un mot, l?abolition de tous les privilèges.

Dans la vie d?un peuple, les faits politiques et moraux se lient et s?enchaînent, mais l?importance de chacun d?eux n?est pas en raison directe du rang qu?il occupe dans l?ordre de succession ; c?est ainsi que les libertés politiques, qui doivent précéder, préparer, accomplir même l?émancipation des masses, sont cependant, suivant nous, loin d?avoir la valeur du bien-être qu?elles sont destinées à réaliser. Les améliorations matérielles et les droits politiques sont entre [7.2]eux dans le rapport du but avec les moyens, et c?est en ce sens que nous avons dit : Les droits politiques n?apparaissent qu?au second plan. Nous serions donc mal compris, ou plutôt nous ne serions pas compris, si l?on pensait que nous voulussions abstraire ou dédaigner les droits politiques, et en effet, procéder ainsi ce serait négliger de considérer le problème social sous une de ses faces les plus importantes ; ce serait pour nous, qui travaillons à l?affranchissement du prolétariat, vouloir la fin sans les moyens ; ce serait enfin méconnaître un des ressorts les plus actifs de ce grand mouvement de civilisation qui conduit la société européenne vers la réalisation de cette égalité, dont le dix-huitième siècle a posé le principe, et que doit résumer le gouvernement représentatif, lorsqu?il sera constitué de telle sorte que le petit nombre n?exploitera plus l?immense majorité des citoyens.

Rassurez-vous donc, hommes ardens et convaincus, qui demandez à grands cris l?extension des libertés ; soyez sans crainte, et ne vous éloignez pas de nous : notre cause est au fond la vôtre, puisqu?elle est celle du progrès et de la liberté : comme vous, nous voulons être libres ; mais nous ne voulons point de cette liberté couverte de haillons, que nos habiles ont importée de l?Angleterre, ce pays d?aristocratie, cette terre classique du paupérisme, où les fiers citoyens grelottent sans habit et sans pain à la porte des négocians avides, dont la cupidité mercantile exploite leur misère. La liberté ne doit point tendre la main : la taxe des pauvres la fait rougir ; et l?aumône l?avilit. Voila pourquoi nous demandons et des droits politiques et des institutions sociales, qui nous donnent à tous, avec la liberté, du travail et du pain.

J...... N.

 

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