L'Echo de la Fabrique : 3 février 1833 - Numéro 5

 SUR CETTE QUESTION :

Les notaires sont-ils contraignables par corps pour la restitution des sommes qui leur sont confiées, et qu’ils détournent à leur profit ?

C’est ainsi que marche le privilège ; d’abord il s’impose comme garantie aux intérêts privés, et lorsqu’il a reçu du législateur abusé la sanction dont sa cupidité a besoin, il retire et dénie aux intérêts privés la protection qu’il leur avait fallacieusement promis.
(L’Echo, n° 54, Question d’ordre public.)

Nous avons rendu compte dans le n° 54 de l’Echo d’un arrêt de la cour de Paris qui a déchargé un notaire de toute responsabilité à raison d’un placement par hypothèque opéré par lui d’après son conseil, son examen des pièces, et reconnu ensuite à l’échéance d’une nullité radicale et évidente ; nous en avons conclu qu’il ne fallait confier aucuns fonds aux notaires pour en faire le placement, mais ne se rendre chez eux que pour donner l’authenticité aux actes et prêts convenus hors leur présence. Ces conclusions, prises après un mûr examen et une discussion approfondie, n’ont été contredites par personne. Nous les tiendrons pour vraies jusqu’à ce qu’on essaye de les réfuter.

La même cour de Paris vient, par un arrêt récent (17 janvier 1833), de nous fournir de nouveaux motifs de persister dans cette opinion que nous avons émise en conscience.

Le général Bonnet1 avait remis à M. Maine de Glatigny, notaire actuellement en déconfiture, une somme importante sur laquelle il restait créancier de 80,110 francs. Il demandait donc en justice le payement de ce solde, et en même temps la contrainte par corps contre ce dépositaire infidèle. La cour a refusé cette voie d’exécution. A-t-elle fait une juste application de la loi ? nous ne le pensons pas ; mais dans le cas contraire, en admettant que cet arrêt soit conforme aux principes du droit, alors nous dirons : aucune garantie n’est donnée au capitaliste ; il peut être impunément volé par son notaire. Ce n’est cependant qu’à raison de son titre, de son privilège, de la position sociale qui en résulte que le notaire obtient une confiance presque illimitée. Le capitaliste accorde au notaire la confiance que probablement il refuserait à l’homme privé, à l’agent d’affaires, et dépouillant son caractère, le notaire voudra chercher dans la profession d’agent d’affaires des bénéfices supérieurs à ses émolumens d’officier public, il voudra chercher dans son individualité comme homme privé, un [6.2]recours contre les fautes qu’il a commises en sa qualité de fonctionnaire. C’est vraiment dérisoire. Nous avons prouvé dans le numéro précité du journal, le ridicule de la prétention des notaires de vouloir qu’on distingue en eux deux personnes, l’une privée donnant des conseils, l’autre publique faisant des actes. Nous avons également établi l’incompatibilité des fonctions du notariat et de l’agence. Ce cumul, préjudiciable à la société, doit cesser d’être permis. Il est même urgent de fixer un délai dans lequel les titulaires seront forcés d’opter. Jusque-là la foi publique sera trompée, et de scandaleuses faillites viendront affliger la morale publique ; mais jusqu’à ce que cette importante amélioration ait lieu, nous persisterons à dire que ne pas reconnaître un dépositaire public dans un notaire, c’est être étranger aux plus simples notions de la vie commune ; libérer ce dépositaire de la contrainte par corps, c’est trop souvent lui donner quittance.

Il n’y a pas de milieu : ou bien, affranchissez le notaire de toute responsabilité pécuniaire s’il se trompe même grossièrement ; affranchissez-le de la contrainte par corps si, dépositaire infidèle il trompe son client, nous y consentons ; mais auparavant faites publier à son de trompe et affichez au coin des rues ces mots qui terminaient notre précédent article, et que nous ne nous lasserons pas de répéter.

Il ne faut confier aucuns fonds aux notaires pour en faire le placement, mais ne se rendre chez eux que pour donner l’authenticité aux actes de prêt dont on sera convenu hors leur présence.

Marius Ch......g

Notes de base de page numériques:

1 Il s’agit peut-être ici du général J.-P. Bonnet (1776-1850).

 

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