L'Echo de la Fabrique : 17 février 1833 - Numéro 7

 AU RÉDACTEUR.

Lyon, le 11 février 1833.

Monsieur,

Je lis dans votre compte-rendu de l’audience des prud’hommes du 7 février dernier : « Lorsqu’un négociant fait attendre au chef d’atelier la pièce qu’il a été condamné à lui remettre par un jugement du conseil, etc., etc. »

Il me semble que le conseil, en rendant un pareil jugement, a dépassé ses attributions et commis un acte arbitraire.

Dans mon opinion, je lui contesterais le droit, comme à tout autre tribunal, de pouvoir en aucun cas condamner un fabricant à donner à un chef d’atelier une pièce, soit courte, soit longue, n’importe. En effet, il est une infinité de circonstances que le fabricant pourrait alléguer, de bonne ou de mauvaise foi, pour se soustraire à cette obligation qu’on voudrait lui imposer ; pendant que le conseil a entre les mains un pouvoir suffisant pour condamner un fabricant à indemniser un chef d’atelier de tout le tort qu’il a pu lui faire, soit pour ses frais de montage de métier, soit pour le temps qu’il lui a fait perdre.

Je conçois très-bien que le fabricant qui a été condamné à une indemnité plus ou moins forte envers l’ouvrier, sous la promesse qu’il lui donnerait une pièce plus ou moins longue, soit condamné à une nouvelle indemnité s’il a manqué à sa parole de quelque manière que ce soit. A nouveau tort, nouvelle réparation. – Mais je concevrai difficilement que, par arrêt d’un tribunal quelconque, un fabricant de soieries, pas plus que tout autre manufacturier, puisse être contraint à donner de l’ouvrage à un ouvrier ; sauf, je m’explique bien, réglement de dommages et intérêts.

Mon opinion, M. le rédacteur, peut être erronée, et dans ce cas, je compte sur quelques observations de votre part pour m’éclairer ; jusque-là j’ai cru devoir réclamer contre un jugement que je regarde comme arbitraire.

Vous demandez avec instance une jurisprudence fixe pour la fabrique de Lyon ; j’applaudis à votre zèle ; mais si elle n’a pas pour base le droit public ; il ne pourrait en résulter que confusion et désordre.

Recevez, etc.
C.....
Marchand-Fabricant.

Note du rédacteur. – Nous accueillons avec plaisir la lettre de M. C..... et nous en ferons de même à l’égard de toutes celles qui ayant comme elle un but utile, nous seront adressées par qui que ce soit. Nous partageons entièrement l’avis de ce négociant. Le conseil des prud’hommes, pas plus qu’un autre tribunal, n’a le droit de forcer un manufacturier quelconque à donner de l’ouvrage à un ouvrier s’il ne lui en a pas promis, et dans [3.2]le dernier cas, il ne peut que le condamner à des dommages-intérêts à défaut par lui d’exécuter sa promesse. Il y avait dans l’espèce un contrat formé entre le marchand et le chef d’atelier. Ce dernier, en montant son métier sur l’ordre du premier, avait dû compter sur la promesse de recevoir de l’ouvrage. C’est sur la foi de cette promesse qu’il avait monté son métier, et non pour obtenir le remboursement de ses frais de montage. Une discussion s’élevant ensuite sur le prix, le négociant fut condamné à donner la pièce promise, et pour laquelle le métier était monté, au prix fixé, et à raison du retard, condamné à une indemnité, il consentit à exécuter le jugement. Dès lors l’ouvrier dut encore de plus fort compter sur l’ouvrage promis. Une obligation était donc contractée en sa faveur par le négociant ; or, comme toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages-intérêts, c’est avec justice que le conseil a augmenté ceux précédemment alloués à raison du nouveau préjudice causé. Certes, il n’entre dans la pensée de personne, 1° de vouloir astreindre les négocians en général à donner de l’ouvrage à tels ou tels ouvriers ; on ne doit rien à celui à qui on n’a rien promis, c’est évident ; 2° de contester aux négocians le droit de ne pas livrer les pièces promises en remboursant les frais de montage et des dommages-intérêts proportionnés pour leur refus d’exécuter leurs conventions, ainsi que cela a lieu pour toutes les obligations de quelle nature qu’elles soient.

Nous sommes donc d’accord avec M. C..... ; en thèse générale seulement ; il a fait erreur en lisant la question que nous avions posée, et en la prenant dans un sens absolu qu’elle n’a pas. La jurisprudence que nous sollicitons doit être et sera nécessairement basée sur le droit public.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique