L'Echo de la Fabrique : 17 février 1833 - Numéro 7

 

Chansons nouvelles et dernières

DE BÉRANGER.i1

Béranger vient de doter la France d’un nouveau recueil de ses Odes sublimes. Le poète populaire n’a pas besoin d’éloges ; son nom est de ceux qui se prononcent tout seuls. Son nom est pur, car il n’a jamais failli. Un de nos collaborateurs a ditii de cet illustre chansonnier :

O Béranger, le peuple te demande
Des chants nouveaux pour tromper sa douleur.
Il se souvient que ta voix noble et grande
Rit du pouvoir et flatte le malheur.

Non tu ne peux, sur les maux de la France,
O Béranger ! plus long-temps fermer l’œil.
Réveille-toi, poète, ton silence,
Aux deuils publics ajoute un nouveau deuil.

Chante, il est temps, chante et taris nos pleurs.

Ces nouveaux chants sont dignes des premiers et de la réputation de leur auteur. Ils sont dédiés à Lucien Bonaparte. Espérons qu’ils ne seront pas les derniers. Nous en donnerons successivement quelques-uns dans la partie littéraire du journal ; nous ne saurions mieux la remplir. Voici l’une de celles qui ont fait le plus de sensation, et qui prouve (ce qu’on savait déjà) que Béranger est acquis au parti républicain, héritier naturel de tous les hommes énergiques du parti napoléoniste.

PRÉDICTION DE NOSTRADAMUS.

Air des Trois-Couleurs.

Nostradamus, qui vit naître Henri-Quatre,
Grand astrologue a prédit dans ses vers
Qu’en l’an deux mil, date qu’on peut débattre,
De la médaille on verrait le revers.
[7.1]Alors, dit-il, Paris dans l’allégresse,
Au pied du Louvre ouïra cette voix :
« Heureux Français, soulagez ma détresse ;
Faites l’aumône au dernier de vos rois. »

Or, cette voix sera celle d’un homme
Pauvre, à scrofule, en haillons, sans souliers,
Qui, né proscrit, vieux, arrivant de Rome,
Fera spectacle aux petits écoliers.
Un sénateur criera : « L’homme à besace !
Les mendians sont bannis par nos lois.
– Hélas ! Monsieur, je suis seul de ma race !
Faites l’aumône au dernier de vos rois.

– Es-tu vraiment de la race royale ?
– Oui, répondra cet homme fier encor ;
J’ai vu dans Rome, alors ville papale,
A mon aïeul, couronne et sceptre d’or.
Il les vendit pour nourrir le courage
De faux agens, d’écrivains maladroits ;
Moi, j’ai pour sceptre un bâton de voyage :
Faites l’aumône au dernier de vos rois.

Mon père, âgé, mort en prison pour dettes,
D’un bon métier n’osa point me pourvoir ;
Je tends la main. Riches, partout vous êtes
Bien durs au pauvre, et Dieu me l’a fait voir.
Je foule enfin cette plage féconde
Qui repoussa mes aïeux tant de fois.
Ah ! par pitié pour les grandeurs du monde,
Faites l’aumône au dernier de vos rois. »

Le sénateur dira : « Viens, je t’emmène
Dans mon palais ; vis heureux parmi nous.
Contre les rois nous n’avons plus de haine :
Ce qu’il en reste embrasse nos genoux.
En attendant que le sénat décide
A ses bienfaits si ton sort a des droits,
Moi, qui suis né d’un vieux sang régicide,
Je fais l’aumône au dernier de nos rois. »

Nostradamus ajoute en son vieux style :
La république au prince accordera
Cent louis de rente, et, citoyen utile,
Pour maire, un jour, St-Cloud le choisira.
Sur l’an deux mil on dira dans l’histoire,
Qu’assise au trône et des arts et des lois,
La France en paix, reposant sous sa gloire,
A fait l’aumône au dernier de ses rois.

Notes de base de page numériques:

1 P.-J. de Béranger (1780-1857), Chansons nouvelles et dernières, Paris, Perrotin, 1833. Depuis la « trahison » de Barthélemy, Béranger était devenu la référence principale, en matière de poésie et de chansons, des journalistes de L’Écho de la Fabrique

Notes de fin littérales:

i 1 vol. in-12, prix, 5 fr.
ii M. Amédée RoussillacAmédée Roussillac, voy. l’EchoL’Écho de la Fabrique,  45.

 

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