L'Echo de la Fabrique : 24 février 1833 - Numéro 8

Dialogue

Qui a eu lieu le 31 janvier dernier, entre le commissaire de police de la Croix-Rousse et un ouvrier en soie.

Le C. Que faisiez-vous au café ? qui êtes-vous ?
L’O. Ouvrier.
Le C. D’où vient qu’aujourd’hui, jour de travail, vous êtes au café ?
L’O. Parce,qu’ayant fini ma pièce je veux prendre un moment de délassement.

Sur ce M. le commissaire, en vertu du droit du plus fort (car la loi n’a pas prévu ce délit), fait conduire l’ouvrier dans la prison de la gendarmerie où on lui fait décliner ses noms, profession et domicile, pendant ce temps l’actif commissaire, Dieu aye soin de ses jambes ! va s’informer si réellement la pièce était finie. Il s’assure de la vérité, mais comme un prolétaire peut bien passer la nuit en prison, il remet au lendemain à lui faire la mercuriale obligée. Ce lendemain arriva, l’ouvrier fut extrait de la prison et conduit devant le monarque croix-roussien. Là il reçut cette sentence :

Vous êtes libre ; c’est par égard aux bons renseignemens que votre patron m’a donné de vous que je ne vous envoie pas devant le procureur du roi. 24 heures de prison doivent suffire pour vous apprendre qu’un ouvrier ne doit pas aller au café.

Il n’y a point de dialogue possible long-temps entre le loup et l’agneau ; voila pourquoi l’ouvrier ne répondit rien. Il s’en alla tout de suite s’asseoir sur sa banquette et se tint coi un moment ; mais bientôt, poussé [3.2]par Satan, qui n’est autre que le démon de la presse, il a mis la main à la plume et nous a écrit la lettre dont nous venons d’extraire ce qui précède. Il nous l’adresse, dit-il, parce qu’il connaît notre zèle à prévenir le prolétaire des chances qu’il est susceptible de courir, et pour apprendre aux ouvriers ses confrères qu’ils ne doivent point aller au café.

 

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