L'Echo de la Fabrique : 17 mars 1833 - Numéro 11

 

Le Temps et les Ouvriers de Lyon.

Le Courrier de Lyon, désespérant de se faire lire, et voulant néanmoins signaler à l’animadversion publique, et principalement à celle du gouvernement, les ouvriers ses concitoyens, a imaginé un moyen qui manque rarement son effet, quoiqu’il ne puisse faire honneur à l’imaginative de ceux qui l’emploient aujourd’hui : il a fait adresser en forme de lettre, par un de ses rédacteurs, au journal le Temps, la seconde édition d’une diatribe insérée par lui dans son N° du 27 janvier dernier. Dupe de cette manœuvre, le Temps a accueilli dans son N° du 1er mars la lettre de son correspondant lyonnais et lui a donné place dans ses colonnes. Le but du Courrier s’est trouvé atteint. Il est à regretter que le Temps ait prêté aussi légèrement confiance à la lettre de M. A. C. (tel est le nom du signataire) ; mais comme on ne calomnie pas impunément une population tout entière, la vérité saura se faire jour. Déjà le Précurseur, qui ne laisse échapper aucune occasion d’être utile à la classe ouvrière, a répondu aux attaques contenues dans la feuille parisienne ; il l’a fait avec le talent et la supériorité de sa dialectique accoutumée, nous l’en remercions, et le Courrier n’aura pas à s’applaudir d’avoir trouvé en chemin un adversaire aussi robuste.

La périodicité trop restreinte de notre journal ne nous permet que difficilement une polémique longue et soutenue, et satisfaits du généreux appui que nous avons trouvé dans notre confrère, nous aurions donc laissé sans réponse les accusations lancées contre les ouvriers de [1.2]Lyon et l’ Echo de la Fabrique, mais les divers journaux de département, nos correspondans, tels que le Courrier de l’Ain, l’Indépendant des Deux-Sèvres, l’Impartial de Besançon1, etc., ayant reproduit cette attaque, nous sommes obligés d’y répondre. Nous le ferons de la manière la plus succincte possible. Ne pouvant reproduire cet article qui est très-long, nous allons en donner le sens.

« De toutes les villes de France Lyon est celle dont l’horizon est le plus chargé de nuages. L’insurrection victorieuse de novembre a rendu les ouvriers exigeans et leur a appris à se coaliser. La question de l’industrie lyonnaise est un problème sans solution. Le salaire de l’ouvrier est souvent insuffisant. L’état de la fabrique ne permet pas de l’augmenter ; la concurrence étrangère, celle intérieure que se font les fabricans possesseurs de petits capitaux, ont amené depuis dix ans la baisse d’un tiers ou même de moitié des salaires. En travaillant 16 heures par jour, il est des ouvriers qui ne peuvent pas gagner 20 sous dans certains articles. La question politique est venue compliquer celle industrielle. Les journaux de Lyon poussent à la république, leurs rédacteurs sont des hommes sans aveu. Les hommes du juste-milieu sont égoïstes, amis de leur repos, médiocrement pourvus de courage. Le maître ouvrier lyonnais fréquente les théâtres, les cafés, il est bien mis ; au lieu d’un taudis dans une rue infectée, comme avaient ses pères, il habite une maison vaste, bien aérée, etc. »

On voit le résultat de cette quintessence de la lettre du correspondant lyonnnais ! c’est qu’en groupant toutes les objections, on les montre dans leur nudité, dans leur incohérence et dans leur but ; la réfutation en devient plus facile.

Nous répondrons en peu de mots. Les ouvriers ne sont ni plus ni moins exigeans qu’avant les événemens de novembre. Ils veulent aujourd’hui ce qu’ils voulaient alors, vivre en travaillant. Si cela n’est pas juste qu’on nous le dise sérieusement et sans phrases. Novembre n’a pas appris aux ouvriers les bienfaits de l’association ; ils les connaissaient auparavant, chaque jour ils les apprécient davantage ; qu’on nous dise encore positivement si le droit d’association n’est pas un droit naturel. La société n’a pas d’autre base. On avoue, et cet aveu est précieux, que le salaire est insuffisant pour vivre, on ne [2.1]prouve pas qu’en gagnant moins, les négocians ne pussent l’augmenter ; et en ce cas là même, que faut-il faire ? Vivre est la première loi ; si le salaire est insuffisant, il faut, ou l’augmenter, ou diminuer les charges qui pèsent sur le peuple. C’est le cercle de Popilius, impossible d’en sortir. Et en ce sens nous serons de l’avis du correspondant lyonnais, le problème est insoluble ; mais est-on bien certain que ce problème n’a pas de solution en établissant d’autres termes de solution. Nous croyons, nous, que M. Anselme Petetin, dans les réponses qu’il a faites au Temps, a indiqué le remède, mais il n’a pu le faire qu’en abordant la question gouvernementale, et en préconisant les doctrines républicaines. La question politique vient donc compliquer la question industrielle ; c’est vrai, et nous croyons que c’est avec raison, à moins qu’on ne prétende que le gouvernement peut rester totalement étranger à la société qu’il gouverne. Comme ce terrain est glissant, et que notre spécialité nous interdit la faculté d’y entrer, nous ne pousserons pas plus loin cette thèse. Les rédacteurs des journaux lyonnais sont des hommes sans aveu, dit M. A. C., c’est-à-dire que M. A. C. qui a de l’argent, les regarde du haut de sa grandeur. A lui permis. Qu’est-ce que cela prouve, et qu’est-ce qu’un homme sans aveu qui peut cependant influencer des masses ? Car s’il était sans influence, sa parole ne serait qu’un vain son. Il faut être conséquent, mais ce n’est là qu’une preuve de plus de l’urbanité du Courrier de Lyon et de ceux qui partagent ses principes. Le maître ouvrier fréquente les théâtres, les cafés, et sa dépense augmente. On prend ici la partie pour le tout, quelques exceptions ne font pas la règle. Il habite des maisons plus commodes, plus aérées, etc… Qu’y a-t-il d’étonnant et d’injuste ? Les ouvriers ne sont-ils pas des hommes et doivent-ils rester totalement étrangers aux commodités de la vie au milieu du luxe effréné qui les entoure ? C’est une variante de la diatribe du Journal des Débats. Quant à la couardise reprochée aux hommes du juste-milieu, nous n’avons pas mission de défendre ces messieurs. Cependant, en fait de courage, ils peuvent citer les actionnaires de certain journal, et encore M. J....

Notes de base de page numériques:

1 Le Courrier de l’Ain. Journal politique et littéraire, publié à Bourg-en-Bresse depuis 1821.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique