L'Echo de la Fabrique : 31 mars 1833 - Numéro 13

 

Au Rédacteur.

Lyon, 19 mars 1833.

Monsieur,

Une contradiction semble s?être glissée dans votre avant-dernier numéro. Vous dites au sujet de l?association commerciale d?échanges « les hommes qui ont peu ; classe la plus nombreuse au milieu de notre civilisation, et peut-être même a cause d?elle. » D?où il suivrait que si la classe pauvre est nombreuse à cause de la civilisation, la civilisation est un mal, et l?instruction qui conduit naturellement à la civilisation est aussi un mal.

Cette pensée serait affligeante ; elle serait peu d?accord avec les principes que vous avez développés jusqu?ici dans cette feuille. Vous avez, avec tous les journaux patriotes, demandé l?instruction pour le peuple, afin qu?il connaisse mieux et ses droits et ses devoirs, et sache mieux profiter des moyens que l?industrie met à sa portée pour augmenter son aisance.

Comme je chéris également et l?instruction et l?aisance, et que d?ailleurs la question est d?un intérêt majeur je vous prie, Monsieur, de vouloir bien m?éclaircir à ce sujet dans un de vos prochains numéros.

J?ai l?honneur, etc.

S. B...., chef d?atelier.

note du rédacteur.

Le chef d?atelier dont nous venons d?insérer la lettre se trompe dans les conséquences qu?il tire de nos paroles. Il leur donne un sens [5.2]qu?elles sont loin d?avoir. Peut-être ne nous sommes-nous pas suffisamment expliqués ; nous allons le faire en peu de mots. Nous avons dit, et nous soutenons vrai, que l?existence de la classe si nombreuse des hommes qui ont peu est le résultat de la civilisation. Avons-nous eu tort de ne pas ajouter actuelle ; cela était facile à comprendre quoique sous-entendu. Nous appelons de tous nos v?ux une civilisation plus avancée, car alors disparaîtra la classe des hommes qui n?ont rien, une fusion s?opérera en même temps entre la classe des hommes qui ont tout et celle des hommes qui ont peu, classes actuellement en état permanent d?hostilité. Les lumières et l?industrie auront tout nivelé. ? Que cet état de choses, fruit d?une civilisation complète et qu?il est facile aujourd?hui de prévoir, est différent de la civilisation actuelle. Cette dernière a ôté à l?homme les avantages de l?état de nature, et elle lui dénie ceux qui doivent être le but de la société. M. S. B.... doit nous comprendre. Qu?est le prolétaire aujourd?hui ? Rien. Dans l?état de nature son titre d?homme était suffisant. Il a donc perdu dans cette transition de nature à l?état social, et ce n?est que par l?instruction qu?il pourra parvenir à retrouver dans l?état social les bienfaits de l?état naturel, augmentés de tous ceux de l?industrie et de la science. Cette thèse, on le voit, est vaste, nous n?avions pas entrepris de la traiter en parlant de l?association commerciale d?échanges, et nous ne prétendons pas non plus la discuter ici ex-abrupto comme par ricochet. Nous nous arrêtons sauf à y revenir si l?occasion se présentait d?une manière large et complète, mais nous devions une explication à M. S. B.... nous nous sommes empressés de la donner.

 

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