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11 décembre 1831 - Numéro 7 |
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LYON. LES OUVRIERS DE LYON 1.
Une pauvreté noble est tout ce qui leur reste ! (Voltaire.)2 [1.1]Les esprits doivent se calmer et les cœurs se rapprocher : sans la ténacité de quelques hommes dont l'amour-propre est blessé, nous croyons que la réconciliation serait déjà complète. Nous l'appelons de tous nos vœux cette réconciliation, dans l'intérêt de ceux que nous avons mission de défendre, comme dans l'intérêt de ceux qui verront toujours en nous une sentinelle vigilante, prête à les rappeler à ce devoir impérieux que commande l'humanité. Nous l'appelons de tous nos vœux cette réconciliation par amour pour notre pays, car malheur au Français qui se plairait à prolonger les divisions ; celui-là serait ennemi de la patrie et des institutions qui nous régissent, celui-là serait un infâme qu'on ne saurait assez flétrir… Mais les ouvriers de Lyon n'ont point à craindre ce reproche. Examinons leur conduite, et sans chercher à les justifier, ils n'en ont pas besoin, nous prouverons par leurs actes et leur patriotisme, leur attachement au trône constitutionnel de juillet. Après leur victoire, victoire malheureuse qui n’eut pour couronne que des cyprès, puisque les vainqueurs et les vaincus avaient les mêmes larmes à répandre, que ce n'était qu'un sang pur, qu'un sang éminemment français qui avait été versé, quelle a été la conduite des ouvriers ? ont-ils cherché à prolonger le [1.2]désordre ? ont-ils méconnu un seul instant l'autorité ? ont-ils eu une seule pensée contraire au gouvernement ? ont-ils enfin méconnu les droits de l'humanité et ceux plus sacrés encore de l'hospitalité ? Non sans doute ; après ces journées de malheurs, les ouvriers oubliant leurs frères mourans et faisant abnégation de tout ressentiment, placent des sauve-gardes dans toutes les maisons de commerce ; pensant que quelques hommes étrangers à la population lyonnaise pourraient profiter de ces momens de troubles pour ternir leur cause par le pillage et la dévastation, ils établissent de forts piquets dans les quartiers les plus commerçans, et en défendent le passage à toute personne qui ne prouve point qu'elle y a son domicile. Leurs conjectures étaient près de se réaliser : des vagabonds qu'une ville immense renferme toujours malheureusement dans son sein, veulent profiter d'un moment de désordre et se précipitent sur le port Saint-Clair pour satisfaire leur rapacité. Aussitôt un détachement d'ouvriers arrive de l'Hôtel-de-Ville aux cris de point de pillards ! leurs voix sont méconnues, ils font feu sur les dévastateurs et les mettent en fuite. Une mesure énergique était nécessaire contre les malfaiteurs. Les ouvriers conviennent entr'eux de fusiller sur-le-champ tout individu pris en flagrant délit. Deux exécutions ont lieu, et cette mesure ne contribue pas peu à déconcerter les projets criminels d'un ramas de gens sans aveu. Les ouvriers s'étaient toujours adressés à l'autorité, ils ne crurent point dans ces jours orageux avoir acquis le droit de la méconnaître ; et d'ailleurs ce seul fait les eût compromis, leur cause étant toute d'un intérêt industriel. Les ouvriers, maîtres sur tous les points, écoutèrent [2.1]la voix des magistrats, et sur le soupçon qu'on voulait porter atteinte à leurs prérogatives ils se rangèrent autour d'eux ; dès-lors une sécurité complète pour les personnes et les propriétés. La cause, qui devait être débattue avec calme et non par des provocations et les armes à la main, venait d'être gagnée par les masses industrielles. Les ouvriers publièrent que le gouvernement établi était le seul possible, que dans lui était l'ancre de salut pour le pays, que la dynastie de juillet fermerait les plaies de la misère, et que d’elle seule dépendaient la gloire et la prospérité de la France. Fidèles au drapeau national, ils repoussèrent toute insinuation perfide ; et malheur ! malheur ! à qui aurait osé proférer des paroles séditieuses, il aurait reçu le juste châtiment dû aux ennemis du trône des barricades. Voilà la conduite des ouvriers sous les rapports politiques et administratifs. Qu'on les ait calomniés, peu leur importe, leurs consciences sont pures de tout crime ; et si quelques scélérats isolés ont pu se livrer à des excès, les vrais ouvriers repoussent toute analogie avec des êtres dégradés, écume de la société, qui ne trouvent des moyens d'existence que dans les troubles et les dissensions. La conduite des ouvriers n'est pas moins honorable sous les rapports de l'humanité et de l'hospitalité. Des soldats sont sans pain : ce sont des Français, ce sont des frères ! les ouvriers partagent le peu qu'ils ont, diminuent la part de leurs enfans et vont porter aux braves qui eussent sans doute combattu avec plus de courage les ennemis du Roi-citoyen et de la patrie, non pas quelques miettes tombées d'une table splendide, mais le pain, produit de l'économie et des privations. Des négocians pensaient à fuir, ils s'adressent à des ouvriers pour leur servir d'escorte, et ceux-ci leur donnent un asile ou les accompagnent ; et lorsqu'on veut leur offrir le prix de leurs services, ils le repoussent en disant qu'ils ne veulent point de dons, mais seulement les moyens de vivre en travaillant. Des sentinelles veillent à la porte des magasins ; de l'argent leur est offert ; quelle est leur réponse ? « Nous ne sommes pas là pour faire contribuer, mais pour veiller à la sûreté des propriétés ; et nous n'avons seulement besoin que de quelques vivres, vu l'éloignement de nos domiciles. » Voilà les ouvriers sous les rapports de l’humanité et de l'hospitalité. Eh bien ! le croirait-on ! on veut les calomnier encore ! on veut les montrer comme des artisans de discorde, comme des hommes ne demandant que le pillage et la dévastation... Sont-ce des banquiers les Martinon, les Gagnière, les Brossard et les Glénard, qui, le 23 à huit heures du matin, ont pris le poste de la recette générale, et dont le zèle et le dévoûment ont été récompensés par un certificat couvert des noms les plus honorables de notre cité ? Sont-ce des banquiers les Drivon frères, les Maurice, les Lavallée occupés à la même heure à placer des sentinelles à toutes les portes de la place Tholozan, pour prévenir toute espèce de désordre ? Nous citerions mille autres traits de générosité si nous ne craignions pas de faire rougir de honte ceux qui osent accabler encore de leurs odieuses imputations une classe intéressante par sa misère, ses malheurs et sa probité. Nous ne cesserons de le répéter : Il faut que les haines s'éteignent, il faut faire oublier le passé ; celui qui ne sacrifie point à la concorde a un mauvais cœur et est un mauvais citoyen ; celui-là seul est coupable, parce qu'il porte atteinte à la sûreté de la patrie, et devient par ce seul fait ennemi de tous les bons Français.
[2.2]Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux le discours de M. Du Molart, notre préfet, à Monseigneur le duc d'Orléans, et les réponses que S. A. R. a adressées aux diverses autorités et corps constitués qu'elle a reçues, le jour de son arrivée, dans l'après-midi. discours du prefet. Monseigneur, Votre présence est l'arc-en-ciel qui annonce la fin de l'orage ; elle suspend notre deuil ; elle est le gage certain de l'indulgence et d'une entière réconciliation. Aux acclamations qui éclatent sur le passage de V. A. R., vous reconnaîtrez, Monseigneur, que le grand désastre qui vient de frapper cette cité laborieuse, étranger dans sa cause à l'ordre public, n'a été qu'une collision violente d'intérêts privés. Dans les funestes égaremens d'une partie de ses habitans, hors quelques factieux obscurs sur lesquels j'ai appelé toute la rigueur des lois, la population tout entière est restée fidèle à son amour pour la dynastie que son courage a concouru à élever, et qu'elle saura toujours défendre. vive le roi ! vive le duc d’orléans ! Réponses de S. A. R. : Au Tribunal de Commerce. « Les coupables appartiennent à la justice ; les malheureux sont de mon domaine ; je veillerai sur eux autant qu'il sera en moi. Quant aux souffrances du commerce, nul ne les déplore plus que moi ; mais je me flatte que le retour de l'ordre et de la tranquillité de la ville de Lyon, pourra y rouvrir les sources de prospérité que la rébellion vient momentanément de tarir. » A la Chambre de Commerce. « Oui, Messieurs, il ne me reste plus à remplir aujourd'hui que mon devoir de pacificateur, et je serai heureux si je puis trouver dans l’accomplissement de cette tâche, quelque moyen d’adoucir le malheur des classes ouvrières. Si j’obtiens ce résultat, je n’aurai fait que réaliser les vœux du roi mon père ; et ma plus douce récompense sera dans le succès de mes efforts. » Au Maire de la Croix-Rousse. « Nous sommes venus, M. le maréchal et moi, pour rétablir l'autorité des lois méconnues. Aujourd'hui, le repentir, la soumission sans réserve que vous me témoignez au nom de vos administrés, me met à même de remplir la noble tâche de conciliateur. Croyez que je ne négligerai rien pour apporter tous les soulagemens qu'il sera possible à la position malheureuse des ouvriers ; mais il faut, avant tout, qu'ils obéissent sans restriction à la loi, qu'ils respectent la propriété, qu'ils ne troublent jamais l'ordre, sans quoi le gouvernement ne saurait les protéger, et ils n'auraient plus aucun titre à sa bienveillance. »
L'orage a cessé !1 le calme a succédé à la tempête ! l'ordre est tout-à-fait rétabli ! la tranquillité règne ! les magasins se rouvrent ! et cependant les citoyens ne sont pas rassurés !... Des bruits sinistres, fabriqués dans l'ombre de quelques noires maisons de commerce, circulent dans notre ville ! On parle d'arrestations nombreuses dans tous les quartiers de Lyon et des faubourgs, de menaces de mandats d'amener contre une partie des citoyens, dont le seul crime est d'avoir faim, et d'avoir eu l'audace de le dire hautement ; en un mot, tout tend à établir un système de terreur, en opposition formelle aux diverses proclamations des autorités municipales, portant en tête : Oubli du passé, union, fraternité. Et cependant le Prince-royal est dans nos murs ; il y est arrivé, il est vrai, précédé, entouré et suivi de préventions horribles, mais qui déjà auraient dû s'évanouir à la barrière de Vaise, d'où S. A. R. a fait son entrée solennelle en ville aux acclamations d'un peuple absorbé par [3.1]la misère, et qui mêlait aux larmes de tristesse celles que la présence de l'héritier de la couronne, son unique espérance, faisait naturellement couler de ses yeux languissans et abattus. Les réponses que ce Prince a adressées, soit aux autorités, soit aux corps constitués, sont, à la vérité, toutes de pacification ; on y découvre facilement les intentions de son cœur, de passer l'éponge sur tous les faits généraux, sauf à laisser à la justice le soin de punir quelques faits isolés, fruit d'une atrocité plus ou moins grande, ou peut-être d'un courage mal entendu et poussé à l'excès. Nous entendons sa bouche royale répéter qu'il n'est venu que pour rétablir l’ordre et la tranquillité publique ; que cet ordre et cette tranquillité peuvent seuls rouvrir les sources de prospérité que la rébellion venait momentanément de tarir. Or donc nous sommes forcés de raisonner ainsi : L'ordre et la tranquillité n'étaient pas troublés avant le 20 novembre, et les ouvriers avaient faim ; l'ordre et la tranquillité ont été rétablis, dès le 24 du même mois, par les ouvriers eux-mêmes, qui demeurent les victimes d'un désordre commencé par ceux qui osent s'intituler ironiquement leurs soutiens et leurs défenseurs ; et les ouvriers ont encore faim ! La prospérité du commerce, quant à la classe ouvrière, quant à la masse lyonnaise, ne repose donc pas exclusivement dans l'ordre et la tranquillité ; cherchons à en trouver le principe ailleurs. Notre ville, dans des temps reculés, à des époques plus rapprochées, sous le despotisme de l'empire enfin, était florissante. Le négociant, obligé de faire fabriquer ses étoffes à tel prix qu'un tarif lui avait fixé, ne prenait de commissions qu'à un prix proportionnel à celui de la main-d'œuvre, et chaque chef de commerce trouvait son intérêt dans une mesure qui les mettait tous à l'abri de la concurrence la plus dangereuse, celle qui se fait entre eux aujourd'hui. C'était alors à qui ajouterait au prix du tarif pour disposer des métiers dont la fabrication avait une certaine réputation. Le commerçant n'avait pas journellement dans sa cage le hideux et déchirant spectacle d'une mère couverte de haillons venant solliciter à tout prix l'ouvrage qui, arrosé de ses pleurs, lui fournit à peine le pain nécessaire à trois enfans en bas âge, et dont elle ne peut cacher la nudité. Il n'entendait pas les soupirs d'un malheureux vieillard, exhalant une plainte inutile, et à qui on répond brutalement : Je monterai votre métier, mais à tel prix ; et ce prix quel est-il ? celui de 45 c. par aune d'un ouvrage dont il peut, en employant dix-huit à vingt heures consécutives, faire au plus trois aunes ; et si c'était tout bénéfice ! mais il faut prélever les frais de montage, de dévidage, etc., etc. Les ouvriers, au lieu de remplir nos rues, places et quais tous les soirs, et d'implorer par des chants lamentables la pitié d'un passant indifférent, ou d'un riche qu'un bon feu et les plaisirs d'une table splendide étourdissent sur les misères de la société ; les ouvriers, dis-je, étaient alors occupés à faire entendre des chants patriotiques, rehaussant la gloire de sa patrie, ou les faits d’armes de nos phalanges nombreuses. Cependant les négocians de ces temps ont fait leur fortune, les ouvriers avaient obtenu une certaine aisance, et tout cela sous l'influence d'un tarif ! Pourquoi serait-on plus malheureux aujourd'hui en employant les mêmes moyens ?… On nous promet une mercuriale qu'on pourra renouveler lorsque besoin sera. Attendons, espérons, et nous aurons sous peu le mons parturiens !...
[3.2]L'autorité militaire a fait placarder les arrêtés suivans, en date des 6 et 7 du courant : Le maréchal de France, ministre secrétaire-d'état de la guerre, En vertu des pouvoirs spéciaux qui lui ont été conférés par ordonnance royale du 24 novembre dernier ; Vu la loi du 12 avril 1803 et l'arrêté du gouvernement du 1erdécembre de la même année ; Arrête : Art. 1er Les livrets délivrés aux ouvriers non français par le ministre de l'intérieur, de même que les livrets délivrés aux ouvriers nés français par les maires des communes ou par les commissaires de police, sont et demeurent annulés, pour tous les ouvriers habitant les communes de Lyon, de la Guillotière, de la Croix-Rousse, de Vaise et de Cuire. Art. 2. Les ouvriers pourvus ou non pourvus de livrets seront tenus de se présenter immédiatement dans les mairies des communes qu'ils habitent, à l'effet d'y obtenir de nouveaux livrets, s'il y a lieu ; lesquels livrets seront toujours délivrés sans frais. Art. 3. Les chefs de manufactures, fabriques et ateliers quelconques, seront tenus de faire, devant le commissaire de police de leur arrondissement, ou devant le maire de leur commune, la déclaration nominative de tous leurs ouvriers, garçons et compagnons ; cette déclaration devra être faite dans le délai de deux jours, à compter de celui de la publication du présent arrêté. Art. 4. Les maires des communes ci-dessus désignées seront tenus, sous leur responsabilité personnelle, de faire vérifier la sincérité des déclarations prescrites dans l'article précédent. Ils feront dresser des procès-verbaux de contravention contre les chefs d'ateliers et autres, qui ne se seraient pas conformés aux dispositions de l'article ci-dessus, ou qui auraient fait de fausses déclarations. Les contrevenans seront traduits devant les tribunaux de police pour y être condamnés aux peines portées par la loi. Art. 5. Les ouvriers, garçons et compagnons qui, dans le délai de trois jours, à compter de la publication du présent arrêté, ne se seraient pas présentés dans leurs mairies respectives, pour obtenir la délivrance de nouveaux livrets, seront réputés vagabonds, arrêtés et punis comme tels, conformément aux dispositions de l'arrêté du gouvernement du 1erdécembre 1803, titre 1er, article 3. MM. les maires auront le soin de se conformer, pour la délivrance des livrets, à ce qui est prescrit par l'art. 11, titre 3 de l'arrêté du gouvernement précité, et exigeront, en outre, un certificat du commissaire de police du quartier habité par l'ouvrier, constatant sa bonne conduite. Les ouvriers, garçons et compagnons auxquels les administrations municipales ne jugeraient pas convenable d'accorder de nouveaux livrets, recevront des passe-ports d'indigens, valables seulement pour le temps nécessaire à leur retour dans leur pays natal, ou à leur arrivée à la frontière, s'ils sont nés hors de France. Art. 7. Le préfet du département du Rhône est chargé de tenir la main à l'exécution du présent arrêté, lequel sera immédiatement imprimé et affiché à Lyon et dans les communes de la Guillotière, de la Croix-Rousse, Vaise et Cuire. Fait au quartier-général, à Lyon, le 6 décembre 1831. Le ministre de la guerre, Signé Maréchal duc de Dalmatie. [4.1]Le maréchal de France, ministre de la guerre, En vertu des pouvoirs spéciaux conférés par l'ordonnance royale du 24 novembre dernier ; Vu l’art. 14 du titre III de la loi du 22 germinal an XI, ainsi conçu : « Les conventions de bonne foi, entre les ouvriers et ceux qui les emploient, seront exécutées. » Vu le décret du 3 août 1810, titre 1er, art. 1er, où il est dit : « Les conseils de prud’hommes sont autorisés à juger toutes les contestations qui naîtront entre les marchands-fabricans, chefs d’ateliers, contre-maîtres, ouvriers, compagnons et apprentis, quelle que soit la quotité de la somme dont elles seraient l’objet, au terme de l’art. 23 du décret du 11 juin 1809. » Considérant que le conseil des prud'hommes de la ville de Lyon est seul appelé à juger d'abord, si les conventions faites entre les ouvriers et ceux qui les emploient, sont, ou non, de bonne foi, et que, d'après les lois, il lui appartient d'en connaître, sauf, s'il y a lieu, le recours devant les tribunaux ; Considérant que, dès-lors, l'autorité administrative n’avait point à s’immiscer dans les contestations qui s’étaient élevées entre des fabricans et des ouvriers de la ville de Lyon, Arrête : Art. 1er Les tarifs relatifs à la fabrication des étoffes de soie et de rubans, publiés à Lyon, sous les dates des 26 et 31 octobre 1831, ainsi que les délibérations du conseil des prud'hommes, en date du 11 du même mois, de la chambre de commerce, en date du 15 octobre, du conseil municipal de Lyon, en date du 1er novembre, et les avis publiés par le maire de Lyon, le préfet du Rhône, et le lieutenant-général Roguet, sous les dates des 22 et 26 novembre, même année, et enfin tous autres actes relatifs à des tarifs quelconques, sur les façons d'étoffes de soie et rubans, qui seraient intervenus pendant cette période, sont déclarés nuls et comme non avenus, sauf aux parties à se pourvoir, au besoin, pardevant leurs juges naturels. Art. 2. Le présent arrêté sera adressé à M. le préfet du département du Rhône, pour être notifié aux autorités administratives qui doivent en connaître, ainsi qu'à la chambre du commerce et au conseil des prud'hommes de la ville de Lyon. Au quartier-général, à Lyon, le 7 décembre 1831. Maréchal duc de Dalmatie. M. le maréchal-ministre a bien voulu nous citer les articles de différentes lois ou décrets, dont il s’est appuié pour prononcer militairement l'annulation du tarif et de tout ce qui a été publié, sous ce rapport, depuis le 11 octobre jusques et y compris le 26 novembre dernier ; mais il a omis, pour ne les avoir sans doute pas lus, comme étant étrangers à la dignité de maréchal d’empire ou de France : 1• l'arrêté du 28 février 1807, de M. Fay-Sathonnay, maire de Lyon à cette époque, pour l’exécution du tarif alors en vigueur, et dont la réimpression fut sollicitée et demandée par le conseil des prud'hommes ; 2• l'addition faite à ce même tarif en 1811; 3• l'ordonnance du 29 décembre 1817, de M. le comte Lezay-Marnésia, alors préfet de notre département, pour en assurer la pleine et entière exécution. Le tarif est une convention de bonne foi entre les ouvriers et ceux qui les emploient, et convention signée par les deux parties… Sous ce double rapport, on aurait préféré voir affichée la loi du 22 germinal au XI, sur les manufactures, et à la suite l’art. 414 du code pénal, ainsi conçu : « Toute coalition entre ceux qui font travailler des ouvriers, [4.2]tendant à forcer injustement et abusivement l’abaissement des salaires, suivie d'une tentative ou d'un commencement d'exécution, sera punie d'une amende de cent francs au moins, de trois mille francs au plus ; et, s’il y a lieu, d'un emprisonnement qui ne pourra excéder un mois. »
Nous avons lu sur nos murs, le 7 de ce mois, la proclamation suivante : Préfecture du rhône. Le Préfet provisoire du département du Rhône aux habitans de ce département. Habitans du Rhône ! Le gouvernement veut bien me charger de remplacer provisoirement votre préfet pendant son absence. Mon administration dans deux départemens voisins est le titre que j'invoque pour obtenir votre confiance. Tolérance pour les opinions, sévère répression de tous les actes illégaux, dévoûment sans bornes au gouvernement de notre patrie, au Roi que ses vertus ont placé à notre tête ; tel on m'a connu dans la Loire et dans l'Isère, tel je me montrerai à vos yeux. Lyonnais ! De déplorables événemens se sont passés parmi vous. Votre industrie, votre commerce, la subsistance de vos ouvriers, les fortunes publiques et particulières, que dis-je, l'existence même de votre ville, tout s'est trouvé compromis, tout a pensé périr dans cette lutte impie entre des concitoyens. Pour vous sauver de tant de maux, pour rétablir l'ordre légal méconnu, le Roi vous a envoyé son propre fils, l'héritier du trône qui vient au milieu de vous pour tendre la main à l'infortune, pour ramener le calme et l'union dans votre ville. Vous avez entendu sa voix ; avec la paix intérieure, se rouvriront pour vous toutes les ressources de la prospérité, tous les moyens de travail. Vous pouvez envisager maintenant, de sang froid, les dangers que vous avez courus. C'était peu du pillage et de la dévastation de la ville, vous alliez être retranchés du reste de la France ; un mur de séparation allait s'élever entre vous et les départemens voisins ; la famine aurait été le précurseur des maux de la guerre ; et, après des malheurs inouïs, Lyon aurait tristement végété pendant de longues années, avant de pouvoir reprendre son rang dans le monde. Heureusement la courte durée de vos troubles n'a pas compromis aussi profondément votre avenir. Que la soumission aux lois soit sincère, et tout sera bientôt oublié. Que chacun fasse son devoir ; que chacun contribue au retour de l'ordre : les uns en retournant à leurs ateliers, les autres en s'efforçant par tous les moyens à fournir du travail aux classes laborieuses ; la richesse en secourant l'infortune, la pauvreté en attendant les secours qui ne lui manqueront pas, avec cette résignation dont elle a si souvent donné des preuves ; que chacun songe que l'on n'acquiert des droits au bienfait de la loi, que quand on la respecte, et tous les maux seront réparés, et le gouvernement contribuera lui-même à alléger vos souffrances. Mais, en même temps, il doit offrir sécurité aux bons citoyens ; il doit leur servir de point de ralliement ; et il ne le peut qu'en leur donnant l’assurance qu'il ne transigera jamais avec le désordre, que toute tentative sera, [5.1]sur-le-champ, sévèrement réprimée, et que ce ne serait pas en vain qu'on essaierait de le détourner des œuvres de bienfaisance auxquelles il veut s'appliquer, pour s'occuper encore à rétablir une tranquillité qui ne doit plus être troublée. M. le Maréchal ministre de la guerre, avec le coup-d'œil d'un homme d'état, a compris votre situation, et a pris les mesures les plus efficaces pour consolider la paix dans votre ville. Le désarmement général dont le terme s'approche, et qui ne sera pas un vain mot ; l'arrêté qui prescrit le renouvellement des livrets, et dont l'effet sera de délivrer le pays de tous les gens sans aveu, qui, sous le faux nom d'ouvriers, cherchent à ravir aux hommes laborieux le repos sans lequel il n'est point de travail ; la mise en vigueur de tous les réglemens relatifs aux passe-ports, une forte garnison prêtant son appui aux organes de la loi ; les généraux, les magistrats de la cité et du département disposés à ne pas céder aux exigences illégales, tout doit faire renaître la confiance si nécessaire en ce moment, et à bannir ces vaines terreurs, ces fantômes grossis par les imaginations ébranlées encore par les événemens récens, mais qui, vinssent-ils à se réaliser, échoueraient contre notre inébranlable fermeté et la force publique, qui ne cessera pas de nous entourer. Fait à l'Hôtel de la Préfecture, Lyon, le 7 décembre 1831. Le Préfet de l'Isère, Préfet provisoire du département du Rhône. GASPARIN1. M. le préfet provisoire nous dit d'envisager les dangers que nous avons courus... ; que la famine aurait été le précurseur des maux de la guerre, et que Lyon aurait tristement végété pendant de longues années. Quand M. le préfet provisoire sera nommé préfet définitif, il nous dira sans doute que la famine avait devancé déjà, et, bien plus, provoqué le duel sanglant qui vient d'avoir lieu ; que, depuis plusieurs années, Lyon ne végète pas seulement, mais meurt chaque jour et à chaque instant. Par le mot famine, nous n'entendons pas la disette de denrées dans la ville, mais la faim, conséquence inévitable de l'impossibilité où est l'ouvrier de se les procurer par le trop minime salaire de son travail. Les mesures efficaces prises par M. le Maréchal, et dont parle M. le Préfet provisoire, ne tendent à rien moins qu'à l'amélioration de la classe ouvrière. La garnison trop forte dans une ville bien populeuse, absorbe en si grande quantité les denrées de première nécessité pour le malheureux, que ce qui en reste lui est offert et vendu au prix de l'or. Singulière amélioration ! mesure vraiment efficace !
AVIS.
Le conseil des prud'hommes, réuni en séance extraordinaire, Porte à la connaissance du public qu'il va s'occuper d'établir, par voie d'enquête, une mercuriale ou prix commun des façons des étoffes de soie, pour servir de règle à sa jurisprudence, lorsqu'il y aura contestation entre le fabricant et l'ouvrier ; laquelle mercuriale sera renouvelée toutes les fois que besoin sera. Lyon, le 7 décembre 1831. J.M.Guerin, A.E. Second, P. Rey, J. Estienne, S. Garnier, Audibert, Rousset, Gàillard, B. Bouillon. MM. les signataires de cet avis nous annoncent que la mercuriale sera faite par voie d'enquête ; ils auraient dû [5.2]nous dire aussi par qui et chez qui elle sera faite. C'est encore un oubli involontaire comme tant d'autres.
DU TARIF ET D'UNE MERCURIALE 1.
Divers bruits circulent et tiennent les esprits en suspens. Les diverses affiches qui ont paru n'ont laissé aucun doute sur l'annulation du tarif2. L'autorité annonce pourtant qu'elle veut adoucir le sort de la classe ouvrière, nous allons examiner quels peuvent être ses moyens ; car pour nous, nous croyons que celui qu'elle repousse était le seul possible. Nous l'avons déjà dit, le tarif était incomplet ; mais au moyen d'une révision ne pouvait-on pas le rendre exécutable ? et de l'aveu de beaucoup de négocians honorables, avec lesquels nous sommes en rapport, on aurait par là concilié tous les intérêts. On nous objectera la charte ; nul plus que nous n'a de respect pour la constitution : nous n'en appellerons jamais à des lois exceptionnelles ; mais serait-elle une loi d'exception celle qui réglerait, dans une ville manufacturière, le prix au minimum de la main-d'œuvre, afin de préserver d'un anéantissement total une branche de commerce, qui, à elle seule, fait vivre 200,000 individus ; et surtout lorsque ce prix serait établi, après avoir été débattu par les parties, non pas avec précipitation, mais avec calme, et que chacune des parties y aurait apporté toute la bonne foi possible ; lorsque chaque article aurait été médité, calculé et discuté pendant plusieurs jours s'il était nécessaire ? Jugerait-t-on qu'un tarif ainsi basé serait une loi arbitraire ? nous ne le pensons pas ; et nous croyons que là seulement serait l'ancre de salut pour les manufactures d'étoffes de soie de Lyon. Voyons maintenant les moyens à employer pour parvenir au même but, sans effrayer par le mot tarif MM. les négocians : On parle d'abord d'une mercuriale par laquelle les prix des façons seraient établis sur ceux les plus élevés, payés par les meilleures maisons de commerce. Jusques-là nous acceptons : mais qui nous garantira que les maisons réputées pour payer le prix le plus élevé, il y a deux mois, plus ou moins, ne le réduiront pas au minimum des maisons d'un commerce inférieur, lorsqu'il sera question de mercuriale ? Et pourquoi le négociant se soumettrait-il mieux à la mercuriale qu'au tarif ? ne dira-t-il pas que c'est porter atteinte à la liberté ; que telle maison est maîtresse de payer à tel prix, de se ruiner même si bon lui semble ; mais que lui, il ne peut payer ainsi, qu'il va cesser de faire fabriquer ; et voilà l'autorité dans le même chaos. D'ailleurs un autre embarras se présente naturellement. Telle maison de commerce paie aux prix les plus élevés les façonnés tandis qu'elle paie au prix le plus minime les unis, et telle autre par une espèce de fluctuation commerciale paie bien les unis et mal les façonnés : voilà deux maisons bien différentes, sans cesser pourtant d'être des premières maisons de commerce. Or, sur quel prix se basera-t-on ? voilà la question posée, nous ne chercherons point à la résoudre. Optons pour une mercuriale, et voyons-en les conséquences. Quelle est l'autorité qui réglera le prix ? est-ce le conseil des prud'hommes ? et de quel droit, s'il vous plaît ? A-t-il pu faire exécuter ses arrêts pour le tarif ?... aura-t-il plus de force pour la mercuriale ? nous ne le pensons point. Et d'ailleurs sur quel prix la réglera-t-on ? sur les prix les plus élevés ? soit, mais qui donnera ces prix ? les meilleures maisons de commerce ? Ainsi trente [6.1]mille ouvriers seront à la merci de deux ou trois maisons. Ce n'est pas tout encore : supposons que le conseil des prud'hommes subisse une autre organisation, et qu'elle soit telle qu'on nous la donne d'après les bruits qui circulent, organisation à laquelle nous applaudirions, qui composerait le conseil de huit négocians élus par eux, et de huit chefs d'ateliers nommés aussi par les intéressés de cette classe ; qu'en résulterait-il pour la mercuriale ? le conseil ne pourrait point faire le bien. Irait-il, pour fixer les prix, fouiller dans le secret de la correspondance du négociant ? lui ferait-il exhiber ses livres ? à Dieu ne plaise que nous pensions un seul moment à de telles monstruosités. Les livres, la correspondance sont des choses sacrées, et de là dépend souvent la prospérité du commerce. Ainsi, nous ne voyons pas de quelle manière on pourrait établir une mercuriale ; et fut-elle même établie, elle ne serait qu'une mesure illusoire. Nous nous féliciterions de la réorganisation du conseil des prud'hommes, telle que nous l'avons rapportée plus haut ; mais nous soutiendrons que le tarif pouvait seul concilier tous les intérêts ; non pas tel qu'il a été fait, mais révisé avec soin et débattu de nouveau contradictoirement entre les parties. Ce n'est pas seulement nous qui pensons ainsi, mais nous pouvons affirmer que beaucoup de négocians sont de notre avis, et que plusieurs d'entre eux sont venus à notre bureau manifester le désir que le tarif fut révisé avec soin et enfin exécuté.
Jeudi, M. le Maire a présenté à Mgr. le duc d'Orléans une députation des chefs d'ateliers. S. A. R. les a reçus avec l'affabilité qui la distingue ; elle a daigné les entretenir pendant plus d'une heure et leur assurer qu'elle s'occuperait, par tous les moyens convenables, d'améliorer leur sort et celui du commerce en général. Dans cet entretien il a été question de lever les droits sur l'importation des soies étrangères, de faire une police sévère pour empêcher l'exportation des soies teintes non tissées, et de la réorganisation du conseil des prud'hommes. Si les intentions de S. A. R. sont bien remplies, nous devons nous attendre à des jours de paix, de bonheur et de prospérité ! Le lendemain, Mgr. le duc d'Orléans et M. le ministre de la guerre sont partis pour Paris en passant par St-Etienne.
On ne cesse de répéter que la concurrence étrangère est la seule cause du mal-aise de nos manufactures1. Nous pouvons assurer que les commissionnaires en général aiment mieux commettre à Lyon qu' à Zurich, par la raison que les étoffes y sont bien plus belles, plus soyeuses et mieux fabriquées qu'en Suisse. La teinture de Lyon sera toujours sans rivale ; et l'on ne pourra jamais obtenir à Zurich ni à Eberfeld une livraison à terme fixe, puisque huit mille métiers ne fabriquent pas autant d'étoffes que trois mille dans nos manufactures. Ainsi les commissionnaires préféreront toujours acheter à Lyon à 20 et même à 30 c. par aune au-dessus des prix de l'étranger. Tous les négocians de cette ville en sont convaincus. Quel est donc le but du fabricant lorsqu'il nous fait un épouvantail de la concurrence de la Suisse et de Spitafieldsi2 ? Ne devrait-il pas avouer franchement que la [6.2]seule qu'il redoute est celle que lui fait son confrère qui, moins humain et moins délicat que lui, spécule sur le salaire de l'ouvrier, en le payant à 15 et quelquefois à 20 c. au-dessous du cours ; ne fait employer que des matières inférieures ou dénaturées par une teinture trop chargée, matières qu'il tient encore dans des placards humides, et qui, par ces moyens, peut livrer à tous prix aux commissionnaires. Voilà la véritable plaie de la fabrique de Lyon, celle qui ruine l'honnête négociant et le force souvent, contre sa conscience, à diminuer les prix des façons. De là la misère et le désespoir de la classe ouvrière.
i Spitafields ne doit sa réputation qu’aux étoffes achetées à Lyon, sur lesquelles il pose son timbre, avant de les expérdier pour d’ Amérique.
Nous avons reçu d'un négociant une lettre signée C. M.1, que sa longueur nous empêche d'insérer. L'auteur de cette lettre nous annonce qu’il n'a rien lu dans nos numéros qui eût pour but de ramener entre deux classes qui ne peuvent se passer l'une de l’autre, une confiance et une bienveillance si nécessaires à leurs rapports. Nous pouvons affirmer à M. C. M. que s'il eût réellement lu notre journal, il aurait vu que dans nos deux derniers numéros, nous avons prêché l'oubli du passé, l'union et la concorde entre les citoyens et les commerçans, que l'erreur avaient rendus un instant ennemis. D'autre part, nous demanderons à M. C. M. quels moyens expéditifs MM. les négocians ont fournis pour revenir aux sentimens d'estime et de concorde si précieux dans nos travaux ; si déjà ils ont cherché, par une conduite moins déloyale, à chasser la faim qui désole les familles, et à réparer en aucune manière les maux incalculables dont ils sont les auteurs volontaires et réfléchis ? M. C. M. nous accuse d'avoir généralisé la classe du commerce dans nos attaques. Nous lui répondrons que nous avons attaqué le commerce en général sous le rapport de la cupidité, et que nous avons cru inutile de répéter à cet égard, ce que tout le monde sait, qu'il n'y a jamais eu de règle sans exception ; et pour prouver encore contre M. C. M. que la majorité n'était pas en faveur de l'ouvrier, c'est que le tarif aujourd'hui est rejeté, et que comme convention libre entre tous les ouvriers et tous les négocians, représentés chacun en particulier par les délégués que chacune des parties avait nommés, le tarif pouvait avoir son exécution sans porter atteinte aux institutions qui nous régissent, sans avoir besoin d'en informer même le gouvernement, puisque l'autorité compétente était là pour en régler toutes les contestations. Quant à la baisse des prix de la main-d'œuvre, M. C. M. l'attribue en grande partie à l'admission dans les ateliers d'un grand nombre d'étrangers à la ville, au département, à la France même. A ce sujet il s'exprime ainsi, en s'adressant aux fabricans et aux chefs d'ateliers : « Plusieurs d'entre vous se rappellent cependant très-bien que, lorsqu’après le siège de Lyon, ils se réfugièrent en Suisse, et voulurent, pour y gagner du pain, y travailler comme compagnons en soierie, les ouvriers des fabriques s'y opposèrent, et obtinrent même leur éloignement. » Il propose d'user aujourd'hui de représailles. Nous demanderons à M. C. M. si une pareille mesure serait possible en France ; et dans le cas où il répondrait affirmativement, nous lui répéterions encore : Pourquoi le tarif ne le serait-il pas ? M. C. M. parle ensuite de grands sacrifices auxquels est disposée la grande majorité de ses confrères envers les ouvriers. [7.1]Nous lui répliquerons : Comment ces sacrifices pourraient-ils être mieux utilisés qu'en payant à l'ouvrier un salaire conforme à ses besoins ? Et alors vous revenez au tarif qui n'est qu'un prix au minimum des façons. M. C. M. termine en nous priant de recevoir quelques idées sur les moyens à employer pour remédier aux maux qui affligent notre industrie ; nous le prévenons d'avance que nous nous ferons un plaisir et de les agréer et de leur donner place dans nos divers numéros.
M. T. ..., fabricant d’unis, tenait, lundi dernier, dans le café du Commerce, le langage suivant à qui voulait bien l'entendre : « Je ne donnerai pas une pièce à la Croix-Rousse, elle n'est peuplée que de canaille… Qu'avions-nous fait, je le demande, aux propriétaires, aux aubergistes, etc., pour prendre parti contre nous avec les ouvriers ? Ces derniers seraient en quelque sorte excusables ; ils avaient peut-être une espèce de raison, ils croyaient défendre leurs droits ; eh bien ! à ceux-là seuls je pardonne. Mais quant aux individus étrangers à la profession d'ouvrier en soierie, je ne leur pardonnerai jamais. D'ailleurs, je serai forcé, ainsi que quelques collègues, de quitter Lyon pour aller en Suisse ; impossible qu'il nous est d'habiter une ville dont toute la population est contre nous, et dans laquelle, nous et nos commis, ne pouvons aller sans appréhension et sans crainte visiter les métiers que nous occupons. » M. T...., à son départ, ne dirait pas sans doute comme Sylla : J'ai gouverné sans peur et j'abdique sans crainte ; mais on pourrait, au contraire, lui traduire ainsi le même vers : Quand on est sans reproche, on doit être sans crainte. M. T.... peut partir quand il voudra, nos vœux appellent cette détermination, et nous l'accompagnerons de toute la reconnaissance qu'il a si bien acquise. Cependant, en amis, nous lui conseillerons de ne pas prendre à Zurich un magasin aussi humide que celui qu'il a à Lyon ; de veiller à ce que ses teintures ne soient pas trop chargées ; de ne pas tenir ses ouvriers continuellement en solde, et de se garder surtout de leur dire, lorsqu'ils exigeront le règlement de leurs comptes : « Vous êtes en solde de 600 grammes, vous ne m'en paierez que 300 ; vous voyez que je suis très-coulant avec vous, etc. » Ce M. T.... est très-coulant en effet, et sous ce rapport nous lui souhaitons d'aller bien vite couler en Suisse. Là du moins il n'aura pas à se plaindre de l'élévation des prix portés au tarif, prix bien inférieurs à ceux des premières maisons de commerce, puisque les cravates 4/4 payées par M. T.... 1 fr. 10 c. étaient payées par MM. P.-G. 1 fr. 80 c. ; et cependant c'étaient le même compte de chaîne et la même réduction. Partez, M. T...., partez pour la Suisse, nous vous y engageons ; et si tous vos quelques collègues pouvaient prendre le même parti, que quelques centaines de maîtres et d'ouvriers voulussent vous y accompagner, outre que vous auriez perdu la seconde ville du royaume pour ne pas dire la France entière, vous auriez dans quelque temps la satisfaction de payer en Suisse 3 et 4 fr. ce que vous payez ici 1 fr. 50 c. à 2. fr.
On assure, d'une manière positive, que la chambre de commerce et le conseil des prud'hommes, réunis au palais [7.2]du commerce et des arts, le 6 du courant, ont arrêté, de concert, d'adresser à la chambre des députés une demande pour la réorganisation du conseil des prud'hommes. D'après leurs vœux, ce tribunal serait composé de huit membres pris dans le sein de la classe des négocians-fabricans et choisis par eux. L'autorité civile diviserait la ville et ses faubourgs en huit sections, et chacune d'elles élirait un prud'homme-ouvrier. Nul chef d'atelier ne pourrait être électeur s'il n'a deux métiers au moins, six ans d'établissement, s'il ne sait ni lire ni écrire, et s'il n'est né français. Nous ne pouvons qu'applaudir à une mesure aussi juste, et qui, si elle ne rencontre pas de contradicteurs, devra rassurer le négociant honnête contre l'impéritie ou la négligence de l'ouvrier, et l'ouvrier probe et habile contre la fraude ou la rapacité du négociant sans pudeur et de mauvaise foi.
La misère est à son comble, la faim promène dans nos rues et sur nos places publiques son visage pâle et défait, ses yeux mornes et abattus, ses membres exténués ; et une garnison de 10,000 hommes est assurée à notre ville pour faire disparaître les maux énormes qui pèsent sur elle ! Nous ressentons déjà les heureux effets de cette mesure : le pauvre que l'espoir de manger un peu de pommes de terre pendant la rigoureuse saison de l'hiver, retenait encore à la vie, sera forcé d'aller au-devant de la mort. Les denrées de la campagne augmentent chaque jour d'une manière extraordinaire, et le salaire de l'ouvrier diminue en proportion. Pauvres moutons, ah ! vous avez beau faire ! Toujours on vous tondra...
Suite. (Voyez notre N° 3.) Jacques avait revu son drapeau ; et croyant voir un terme à tant de misères, doutait encore s'il était dans le meilleur des mondes possibles. En effet, les cruelles vicissitudes auxquelles la vie de l'artisan est en proie, vinrent obscurcir de nouveau l'horizon. Jacques délégué par ses concitoyens avait obtenu, de concert avec d'autres députés, des stipulations où l'ouvrier aurait trouvé un refuge contre l'infortune. Mais un génie malfaisant suggéra au riche de ne faire aucun cas du contrat d'honneur qui assurait au pauvre son salaire. On parla de lois, de constitution, et on oublia de parler de l'amélioration du sort de la classe ouvrière. Jacques voyait venir l'orage et soupirait parce qu'il aimait son pays, parce qu'il redoutait les dissensions civiles. Ses funestes prévisions s'accomplirent ; le jour marqué par la mort arriva... Il ne fut point de ceux qui soutinrent le choc ; son ame généreuse répugnait à la seule pensée de répandre le sang Français ; et celui qui avait bravé vingt ans la mort sur le champ de bataille, resta spectateur immobile du drame sanglant qui désola pendant plusieurs jours la cité qui le vit naître. Il était au milieu de sa famille, et son cœur se brisait chaque fois que les détonations de l'artillerie ou les feux de bataillons lui annonçaient que ses concitoyens s'immolaient entr'eux. Vingt fois il saisit son arme pour aller se ranger auprès de ses amis ; mais les pleurs de ses enfans, les angoisses de sa compagne, et plus encore, la pensée que ce n'étaient point des étrangers mais des Français qu'il fallait combattre, firent tomber de ses mains cette arme autrefois si terrible contre les ennemis de sa patrie. [8.1]Enfin ces scènes sanglantes eurent un terme, et Jacques, pur du sang Français, ne songea qu'à préserver la cité du désordre, suite inévitable des guerres civiles. Les vainqueurs en appelaient aux bons citoyens. La voix de la patrie se faisait entendre au fond de toutes les ames généreuses. Jacques ne fut point sourd à cette voix ; il sortit de cet asile méprisé par l'opulence et qui devait servir de retraite à ceux qui avaient osé le dédaigner ; il rassembla les ouvriers dont il fut nommé le chef, et se porta aux lieux menacés par des êtres étrangers à la ville et à son industrie : sa présence ne contribua pas peu à ramener l’ordre. Les vainqueurs n'étaient mus par aucun sentiment de haine ; ils oubliaient déjà les mauvais procédés des grands, et le sang que leurs frères avaient versé en repoussant une injuste agression, quand Jacques fut reçu par eux avec acclamations ; le ruban qui parait sa boutonnière semblait briller d'un nouvel éclat. Arrivé au milieu de cette population admirable après la victoire, il lui montra le drapeau qui flottait sur l'Hôtel-de-Ville, et après une courte harangue où il invitait, au nom du la patrie et du Roi des Français, tous les citoyens à lui prêter aide pour rétablir l'ordre et la paix, il disposa lui-même des piquets pour empêcher toute dévastation. Enfin, ceux qui, quelques mois avant, l'avaient humilié, lui demandèrent un asile : il le leur donna dans sa modeste demeure, non pas comme une faveur, mais comme un devoir sacré pour tous les Français. La tranquillité fut rétablie, et Jacques se dérobant aux félicitations de ceux qu'il avait servis, rentra dans son humble réduit, le cœur plein du sentiment qu'éprouve l'homme vertueux après une bonne action. L'héritier du trône venait apporter la paix sur ces rives désolées ; il était entré dans cette cité fumant encore du sang de ses enfans. Jacques se précipita sur son passage. Sa voix ne fit point entendre des cris d'alégresse ; son cœur était oppressé par le souvenir de trop de malheurs ; mais l'œil du vieux guerrier s'enflammait à la vue du jeune prince, appelé à les réparer, et sur son front couvert de rides brillait ce feu qui l'animait à Dresde et à Leipsick. Le cortège avait disparu du milieu de l'immense population, et Jacques se retira en disant : Voilà l'espoir de la patrie ! et si jamais l'ennemi menaçait d’envahir notre territoire, alors, et seulement alors, je ressaisirais mes armes, et je tâcherais de vaincre ou de mourir auprès de S. A. R !
Il y a quelques jours, des malfaiteurs s'étaient réunis, dit-on, à Saint-Irénée, chez un boulanger-cabaretier, et y avaient formé l'odieux projet d'aller, la nuit, voler dans la maison de campagne d'un négociant, au territoire des Airs. Le poste bourgeois de la barrière de Saint-Just, informé par le boulanger du complot tramé chez lui, et de l'heure à laquelle il devait être mis à exécution, envoya sur les lieux désignés quatre hommes et un caporal. Embusqués derrière des haies, ils aperçurent une échelle qui déjà était placée à l'intérieur et adossée au mur de clôture. Peu d'instans après, quatre individus, armés de fusils, s'avancèrent ; on leur cria : Qui vive ! Ils répondirent : Amis, et ajoutèrent qu'ils étaient des ouvriers en soie, domiciliés à Saint-Irénée ; que, comme eux, ils étaient chargés de la surveillance et de la garde de cette habitation. Mais les hommes du poste, convaincus d'avance de la fausseté de ces allégations, se saisirent, non sans peine, de deux de ces individus, les [8.2]conduisirent au domicile qu'ils avaient déclaré être le leur, et là, inconnus à tout le monde de leur prétendu voisinage, ils furent contraints d'avouer qu'ils n'étaient ni ouvriers de la fabrique, ni habitans du quartier Saint-Irénée ; que leur mission était seulement de déplacer or, argent, nipes, hardes de la maison de M.***, pour en disposer à leur bénéfice. Déposés à la maison d'arrêt, ces deux gardiens fidèles sont mis à la disposition de l'autorité judiciaire. Les deux autres dont on n'a pu encore se saisir, sont en fuite ; des renseignemens ultérieurs les feront sans doute bientôt découvrir. On assure que M. *** a remis, à titre de gratification, au chef du poste, la somme de 40 fr. pour être partagée entre tous ceux qu'il avait sous ses ordres.
Des bruits plus sinistres les uns que les autres circulent depuis vendredi dans notre ville. Des coups de fusils, d'après ces on dit, auraient été tirés sur plusieurs points de la ville, notamment à la Croix-Rousse ; des sentinelles auraient été tuées dans ce faubourg ; la mise en état de siège de notre cité serait la conséquence de ces suppositions, et nous ne vivrions plus que sous un régime qui nous rappellerait des époques désastreuses. Nous pouvons affirmer que ces bruits sont entièrement dénués de fondement ; qu'ils ne sont l'œuvre que de quelques artisans de désordre, qui, désespérés de ce que la clémence l'a emporté sur les idées de vengeance qu'ils avaient ruminées, font jouer tous les ressorts de la calomnie et de l'intrigue pour attirer sur une classe malheureuse et innocente l'attention de la justice.
Une souscription est ouverte au bureau de l’Echo de la Fabrique en faveur des blessés, des veuves et des orphelins des trois journées de novembre. Nous en appelons à toutes les ames généreuses, à ces cœurs philantropes qui ont secouru l'infortune jusques sur des rives étrangères et dont l'humanité ne manquera pas de venir au secours de leurs concitoyens malheureux.
Dans notre dernier Numéro, nous avons, par erreur, omis la quête faite, dans les rues de l'Annonciade et Tholozan, par MM. Maurice et Journau, qui a produit 187 fr. 50 c., qu'ils ont versés immédiatement au bureau de la section des Chartreux.
ANNONCES DIVERSES.
On demande plusieurs ouvriers pour un atelier de velours unis. Les prix sont bons. S'adresser au Bureau du Journal. - On désire acheter de rencontre une presse fermante et en bon état. S'adresser au Bureau du Journal. - On demande, pour satins blanc mat, de 25 pouces de large, une dixaine de maîtres bien capables et munis de remisses sur cinq lisses en 67 portées, sans les cordons. Le prix est celui fixé par le tarif à 65 c. l'aune. S'adresser au Bureau du Journal. - Un homme, âgé de 35 ans, connaissant la fabrique d'étoffes de soie, ayant beaucoup voyagé, et connaissant aussi plusieurs langues, désirerait se placer dans une maison de commerce ; il peut fournir tous les renseignemens désirables. S'adresser au Bureau du Journal.
Notes (LYON. LES OUVRIERS DE LYON.)
L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832). Citation modifiée tirée d’une tragédie de Voltaire : « Une pauvreté noble est tout ce qui me reste. » (Zaïre, acte I, scène 4, 1732).
Notes (L'orage a cessé ! le calme a succédé à...)
L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
Notes (Nous avons lu sur nos murs, le 7 de ce mois,...)
Après une courte et brillante carrière militaire sous l’Empire, Adrien-Etienne (comte de) Gasparin (1783-1857) se consacra sous la Restauration à des recherches sur l’agronomie (il publiera ultérieurement un Cours d’agriculture, 3 volumes, 1843-1847). A partir de 1830 il inaugura une carrière administrative et sera préfet de la Loire, de l’Isère puis du Rhône. Plus tard il sera ministre de l’intérieur (1836-1837) puis ministre de l’agriculture (1839).
Notes (DU TARIF ET D'UNE MERCURIALE.)
L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832). L’annulation du tarif s’accompagnait de trois promesses de concessions que les autorités faisaient aux ouvriers : celle d’une caisse spéciale de prêts, celle d’une réforme des prud’hommes, celle d’une mercuriale. La distinction officielle entre une mercuriale et un tarif sera rappelée par le préfet Gasparin lors de l’installation des nouveaux prud’hommes, en mai 1832 : « On a longtemps voulu jeter de l’équivoque sur le mot de mercuriale, en la comparant aux tarifs que la loi ne peut autoriser. Un tarif fixe d’avance le prix auquel doit être payé tel objet, une mercuriale établit le prix auquel il a été payé ; l’une prévient le fait, l’autre le constate… . Ainsi, le tarif est une règle dont la durée peut être illimitée, parce que c’est une volonté arbitraire, despotique, qui l’a établi ; une mercuriale est nécessairement variable comme les mouvements de l’industrie » (L’Echo de la Fabrique, n°31, 27 mai 1832). Les canuts étaient très sceptiques vis-à-vis de ces subtilités comme le signale J. Falconnet dès ce numéro du 11 décembre. Lorsque paraîtra enfin la mercuriale, en juillet 1832, Marius Chastaing précisera encore qu’une mercuriale ne peut être utile et admissible par les ouvriers en soie qu’en ayant les caractéristiques d’un tarif. Il écrira significativement : « Il faut qu’en traitant avec ses commettans, le fabricant mette, en première ligne de compte, le prix de la main-d’œuvre, et cette main-d’œuvre, qui est bien en quelque sorte une matière première, doit être calculée, non pas suivant les chances du commerce, mais suivant le besoin réel de la dépense nécessaire à l’ouvrier… . Il faut donc une règle pour que le salaire ne descende pas au-dessous des besoins réels de l’ouvrier. Ce n’est que dans un tarif que cette règle peut se trouver. C’est en ce sens que nous comprenons et que nous acceptons la mercuriale » (L’Echo de la Fabrique, n°39, 22 juillet 1832).
Notes (On ne cesse de répéter que la concurrence...)
L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832). Quartier de Londres situé à l'Est de la City et tenant son nom d'un ancien hôpital. De nombreux tisseurs de soie protestants venant de Lyon et de Tours et fuyant les persécutions religieuses après la Révocation de l'Édit de Nantes par Louis XIV (1685) s'y installèrent. Cette immigration fut à l'origine du rapide dévoloppement de la production de soieries en Grande-Bretagne et fit de Spitalfields le principal centre de cette activité. Au début des années 1830 on estimait à 50 000 les personnes dépendant du travail de la soie et à 13 000 le nombre de métiers fonctionnant à Londres contre 31 000 à Lyon. Les mesures de dérégulation et de libéralisation de l'industrie de la soie britannique décidées au cours des années 1824-1826 contribuèrent au déclin de Spitalfields. En 1853 on n'y comptait plus que 5 000 métiers en 1853 contre 60 000 dépendant de la Fabrique lyonnaise (une moitié étant installée à Lyon et l'autre dans les campagnes alentour). Références : Frank Warner, The Silk Industry of the United Kingdom. Its Origin and Development, London, Drane's Danegeld House, p. 51 sq. et Alain Cottereau, « The Fate of Collective Manufactures in the Industrial World : The Silk Industries of Lyons and London, 1800-1850 », art. cit., p. 75-152.
Notes (Nous avons reçu d'un négociant une lettre...)
Ce négociant était Gamot. Voir le numéro suivant de L’Echo de la Fabrique.
Notes (HISTOIRE DE JACQUES.)
Antoine Vidal est l’auteur de cette Histoire de Jacques.
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