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11 décembre 1831 - Numéro 7
 
 

 



 
 
    

On ne cesse de répéter que la concurrence étrangère est la seule cause du mal-aise de nos manufactures1. Nous pouvons assurer que les commissionnaires en général aiment mieux commettre à Lyon qu' à Zurich, par la raison que les étoffes y sont bien plus belles, plus soyeuses et mieux fabriquées qu'en Suisse. La teinture de Lyon sera toujours sans rivale ; et l'on ne pourra jamais obtenir à Zurich ni à Eberfeld une livraison à terme fixe, puisque huit mille métiers ne fabriquent pas autant d'étoffes que trois mille dans nos manufactures. Ainsi les commissionnaires préféreront toujours acheter à Lyon à 20 et même à 30 c. par aune au-dessus des prix de l'étranger. Tous les négocians de cette ville en sont convaincus. Quel est donc le but du fabricant lorsqu'il nous fait un épouvantail de la concurrence de la Suisse et de Spitafieldsi2 ? Ne devrait-il pas avouer franchement que la [6.2]seule qu'il redoute est celle que lui fait son confrère qui, moins humain et moins délicat que lui, spécule sur le salaire de l'ouvrier, en le payant à 15 et quelquefois à 20 c. au-dessous du cours ; ne fait employer que des matières inférieures ou dénaturées par une teinture trop chargée, matières qu'il tient encore dans des placards humides, et qui, par ces moyens, peut livrer à tous prix aux commissionnaires.

Voilà la véritable plaie de la fabrique de Lyon, celle qui ruine l'honnête négociant et le force souvent, contre sa conscience, à diminuer les prix des façons. De là la misère et le désespoir de la classe ouvrière.

Notes (On ne cesse de répéter que la concurrence...)
1 L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Quartier de Londres situé à l'Est de la City et tenant son nom d'un ancien hôpital. De nombreux tisseurs de soie protestants venant de Lyon et de Tours et fuyant les persécutions religieuses après la Révocation de l'Édit de Nantes par Louis XIV (1685) s'y installèrent. Cette immigration fut à l'origine du rapide dévoloppement de la production de soieries en Grande-Bretagne et fit de Spitalfields le principal centre de cette activité. Au début des années 1830 on estimait à 50 000 les personnes dépendant du travail de la soie et à 13 000 le nombre de métiers fonctionnant à Londres contre 31 000 à Lyon. Les mesures de dérégulation et de libéralisation de l'industrie de la soie britannique décidées au cours des années 1824-1826 contribuèrent au déclin de Spitalfields. En 1853 on n'y comptait plus que 5 000 métiers en 1853 contre 60 000 dépendant de la Fabrique lyonnaise (une moitié étant installée à Lyon et l'autre dans les campagnes alentour). Références : Frank Warner, The Silk Industry of the United Kingdom. Its Origin and Development, London, Drane's Danegeld House, p. 51 sq. et Alain Cottereau, « The Fate of Collective Manufactures in the Industrial World : The Silk Industries of Lyons and London, 1800-1850 », art. cit., p. 75-152.

 

 

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