L'Echo de la Fabrique : 21 avril 1833 - Numéro 16

Denys, maître d’écolei.

Air : Il faut bientôt quitter l’empire.

Denys, chassé de Syracuse,
A Corinthe se fait pédant.
Ce roi que tout un peuple accuse,
Pauvre et déchu, se console en grondant. (bis.)
Maître d’école au moins il prime ;
Son bon plaisir fait et défait des lois. (bis.)
Il règne encor, car il opprime.
Jamais l’exil n’a corrigé les rois, (bis.)

Sur le dîner de chaque élève,
Le tyran des Syracusains,
Comme impôt, chaque jour prélève
Trois quarts des noix, du miel et des raisins.
Çà, dit-il, qu’on le reconnaisse :
J’ai droit sur tout, je l’ai prouvé cent fois.
Baisez la main : je vous en laisse.
Jamais l’exil n’a corrigé les rois.

Un sournois, dernier de sa classe,
Au bas d’un thème mal tourné,
Met ces mots ; Grand roi, qu’un dieu fasse
Périr tous ceux qui vous ont détrôné !
Vite un prix au sot qui l’adule !
Mon fils, dit-il, tout sceptre est un grand poids.
Sois mon second ; prends la férule.
Jamais l’exil n’a corrigé les rois.

Un autre en secret vient lui dire :
Seigneur, un écolier transcrit
Là-bas, je crois, quelque satire :
C’est contre vous ; car voyez comme il rit.
Ce maître d’humeur répressive,
De l’accusé courant tordre les doigts,
Dit : Je ne veux plus qu’on écrive.
Jamais l’exil n’a corrigé les rois.

Rêvant un jour que l’on conspire ;
Rêvant qu’il court de grands dangers,
Ce fou tremblant pour son empire,
Voit ses marmots narguer deux étrangers.
Chers étrangers, dans ce repaire
Entrez, dit-il, sur eux vengez mes droits ;
Frappez ; pour eux je suis un père.
Jamais l’exil n’a corrigé les rois.

Enfin, pères, mères, grand’mères
De maint enfant trop bien fessé,
L’accablant de plaintes amères,
L’ancien tyran, de Corinthe est chassé.
Mais pour agir encore en maître ;
Maudire encor sa patrie et ses lois,
De pédant, Denys se fait prêtre.
Jamais l’exil n’a corrigé les rois.

P. J. de Béranger.
(Extrait de ses nouvelles et dernières chansons.)

Notes de fin littérales:

i Denys II, dit le JeuneDenys II, dit le Jeune, roi ou tyran de SyracuseSyracuse (ces deux mots sont synonymes en grec), fut détrôné par TimoléonTimoléon et DionDion, 343 ans avant J.-C. – Réduit à la dernière misère, il ouvrit une école à CorintheCorinthe. Un philologue, M, HewmanHewman, prétend que cette dernière circonstance de la vie de DenysDenys II, dit le Jeune est une fable.

 

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