L'Echo de la Fabrique : 28 avril 1833 - Numéro 17

 AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Victimes d’une violence que nous croyons illégale et qui devrait, selon nous, attirer sur la tête du fonctionnaire qui l’a autorisée une punition sévère, nous vous prions de la publier, afin que du moins l’opinion atteigne ceux que protègent les lois et le pouvoir, et qui s’en servent pour attenter aux droits des citoyens.

Le mardi 9 avril, nous étions ensemble dans un café de la place Confort. Un brigadier de la gendarmerie de Neuville, nommé Rousset, s’y trouvait aussi. Nous parlâmes de différens crimes récemment commis, notamment de l’assassinat d’une jeune femme par l’aide du bourreau. Cette conversation parut-elle suspecte au brigadier ; la police y ajouta-t-elle des mensonges officieux pour grossir ses rapports ? Nous l’ignorons. Mais vendredi soir, 19 courant, l’un de nous (M. Laroze Chédiffer) rentrant chez lui, fut invité par un inconnu à venir visiter un bâtiment où des travaux étaient à faire ; mais arrivé près du pont de la Feuillée, il fut arrêté sans explication et jeté à la cave. Le lendemain, pareille exécution avait lieu contre M. Margolet. Traduits devant M. Prat, commissaire de police, nous eûmes beau observer que nous étions établis, pères de famille, domiciliés et patentés ; expliquer minutieusement l’emploi de notre temps, et répondre aux questions les plus indiscrètes ; on nous fit conduire par le brigadier Rousset et des agens de police sur le bateau à vapeur, et de là à St-Germain-au-Mont-d’Or, devant M. le maire qui déclara à l’instant que nous n’avions pas la moindre ressemblance avec les individus soupçonnés d’un vol dont nous n’avions jamais entendu parler.

Nous demandons, M. le rédacteur, s’il est permis de se jouer ainsi de la liberté de deux citoyens ? si les lois autorisent M. le procureur du roi à lancer des mandats d’arrêt contre des chefs d’industrie, à les arracher à leurs occupations, à leur faire subir, sans réparation possible, le déshonneur d’une translation publique dans le contact impur de ses gendarmes et de ses agens de police ?

S’il en est ainsi, il faut bien se soumettre, mais on doit convenir que la liberté est encore bien mal assise en France, et que les magistrats usent sans ménagement de l’arbitraire qui leur est laissé.

Mais si, comme nous le pensons, M. le procureur du roi est sorti des limites qui lui sont tracées, s’il a témérairement satisfait aux fantaisies de sa police dont il devrait être le souverain et non le valet, ne méritait-il pas plus qu’un blâme moral ?

Quoi qu’il en soit, M. le rédacteur, nous voulons attirer la publicité sur ces faits, afin qu’on sache bien comment M. le procureur du [3.1]roi remplit ses devoirs, et que sans motif il incarcère et fait voyager comme criminels des citoyens innocens, domiciliés depuis de longues années à Lyon, et sur la conduite desquels le moindre soupçon ne s’est jamais élevé.

Nous avons l’honneur d’être, etc.

Margolet, ferblantier, rue Mercière, n° 58,
Chediffer, pompier, quai Humbert, n° 2

Note du rédacteur. – Cette lettre, que nous sommes priés d’insérer, a paru mardi dernier dans le Précurseur. M. Chegaray n’a rien répondu. Est-il trop au-dessus des sieurs Margolet et Chediffer pour descendre jusqu’à eux, ou leur plainte est-elle si légère qu’elle ne mérite pas de réponse. Voila les effets de la faculté d’arrestation préventive ? Deux citoyens sans reproches, deux commerçans, deux pères de famille sont arrêtés sur un soupçon, arrachés à leurs affaires, donnés en spectacle à toute une population ; sans égard pour leur crédit, qui aurait pu être ébranlé, pour leur honneur compromis, pour l’anxiété de leurs familles. Ils sont innocens, on les met en liberté. Grand merci ! Mais l’insulte a été publique. On ne leur en demandera pas excuse, ils ne recevront aucune indemnité morale ou pécuniaire ! Oh ! vous avez bien raison vous qui dites : La légalité actuelle nous tue !

Vendredi 26. M. le procureur du roi vient de faire une réponse qui, selon nous, ne répond à rien. Elle est insérée dans le numéro de ce jour du Précurseur qui l’a fait suivre des judicieuses observations de Me Favre. Si nous en sommes requis nous insérerons dans notre prochain numéro la lettre de M. Chegaray que nous ferons suivre en ce cas de la note du Précurseur.

 

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