L'Echo de la Fabrique : 28 avril 1833 - Numéro 17

 Littérature.
Les Contrebandiers.

chanson adressée a m. joseph bernard, député du var,
auteur du
bon sens d’un homme de rien1.

Air : Cette chaumière-là vaut un palais.

Malheur ! malheur aux commis !
A nous, bonheur et richesse !
Le peuple à nous s’intéresse :
Il est de nos amis.
Oui, le peuple est partout de nos amis.
Oui, le peuple est partout, partout de nos amis.

Il est minuit. Çà, qu’on me suive,
Hommes, pacotille et mulets,
Marchons, attentifs au qui vive ;
Armons fusils et pistolets.
Les douaniers sont en nombre ;
Mais le plomb n’est pas cher ;
Et l’on sait que dans l’ombre
Nos balles verront clair.
Malheur, etc.

Camarades, la noble vie !
Que de hauts faits à publier !
Combien notre belle est ravie
Quand l’or pleut dans son tablier !
Château, maison, cabane,
Nous sont ouverts partout.
Si la loi nous condamne,
Le peuple nous absout.
Malheur, etc.

Bravant neige, froid, pluie, orage,
Au bruit des torrens nous dormons.
Ah ! qu’on aspire de courage,
Dans l’air pur du sommet des monts !
Cimes à nous connues,
Cent fois vous nous voyez
La tête dans les nues
Et la mort sous nos pieds.
Malheur, etc.

Aux échanges l’homme s’exerce,
Mais l’impôt barre les chemins.
Passons : c’est nous qui du commerce
Tiendrons la balance en nos mains
Partout la Providence
Veut, en nous protégeant,
Niveler l’abondance,
Eparpiller l’argent.
Malheur, etc.

Nos gouvernans pris de vertige,
Des biens du ciel triplant le taux,
Font mourir le fruit sur sa tige,
Du travail brisent les marteaux,
Pour qu’au loin il abreuve
Le sol et l’habitant,
Le bon Dieu crée un fleuve,
Ils en font un étang.
Malheur ! etc.

Quoi ! l’on veut qu’uni de langage,
Aux mêmes lois long-temps soumis,
Tout peuple qu’un traité partage
Forme deux peuples d’ennemis.
Non, grâce à notre peine,
Ils ne vont pas en vain
[6.2]Filer la même laine,
Sourire au même vin.
Malheur, etc.

A la frontière où l’oiseau vole,
Rien ne lui dit : Suis d’autres lois.
L’été vient tarir la rigole
Qui sert de limite à deux rois.
Prix du sang qu’ils répandent,
Là, leurs droits sont perçus.
Ces bornes qu’ils défendent,
Nous sautons par-dessus.
Malheur, etc.

On nous chante dans nos campagnes,
Nous, dont le fusil redouté
En frappant l’écho des montagnes,
Peut réveiller la liberté.
Quand tombe la patrie
Sous des voisins altiers,
Mourante elle s’écrie :
A moi, contrebandiers !
Malheur, etc.

P. J. de Béranger.
(Extrait de ses nouvelles et dernières chansons.)

Note du rédacteur. – Cette chanson est la dernière du poète populaire dont la France s’honore, que nous insérerons dans ce journal ; nous croirions commettre une indiscrétion en agissant autrement ; d’ailleurs il nous faudrait transcrire tout Béranger ; car il est difficile avec lui de faire un choix. L’Echo a déjà enrichi ses colonnes de la Prédiction de Nostradamus ou le roi mendiant (n° 7, p. 54) ; de Denys, maître d’école (n° 16, p. 129) ; des Contrebandiers (voy. ci-dessus). Nous recommandons aux lecteurs le Vieux Caporal, Emile Debrauxi2, Conseil aux Belges, le Vieux Vagabond, Jacques ou l’huissier du roi, les Fous, le Suicide sur la mort de Victor Escousse et Auguste Lebras ; les Tombeaux de Juillet.

Les chansons nouvelles et dernières de Béranger se composent en tout de 53 chansons et de trois couplets séparés, elles forment un volume in-18 de 250 pag.ii. Elles sont dédiées à Lucien Bonaparte, auquel Béranger a dû en 1803 la protection qui, en le sauvant de la misère, lui a permis de réaliser ce que son génie avait conçu ; Béranger les a fait précéder d’une préface remarquable à plus d’un titre, et dans laquelle il promet une espèce de Dictionnaire Historique, « où, dit-il, sous chaque nom de nos notabilités politiques et littéraires, jeunes ou vieilles, viendront se placer mes nombreux souvenirs et les jugemens que je me permettrai de porter ou que j’emprunterai aux autorités compétentes. Ce travail… remplira le reste de ma vie. » Béranger, dans cette préface, nous révèle un véritable talent comme prosateur ; mais nous devons espérer qu’il chantera encore ; il nous l’a dit lui-même,
Chanter, ou je m’abuse,
Est ma tâche ici-bas.

Pour mettre à même les lecteurs d’apprécier encore plus l’illustre chansonnier, nous avons extrait de sa préface l’article inséré dans ce numéro sous le titre : Du peuple.

Notes de base de page numériques:

1 Joseph Bernard (1792-1864), alors député du Var depuis 1831, avait rédigé un pamphlet libéral, Le bon sens d’un homme de rien, ou la vraie politique à l’usage des simples, d’abord publié en 1829, puis réédité en 1833.
2 Paul-Émile Debraux (1796-1831), chansonnier et poète lyrique populaire.

Notes de fin littérales:

i Emile DebrauxÉmile Debraux, auteur des chansons de la Colonne, Soldat, t’en souviens-tu, Fanfan Latulipe, Mon petit Mimile, est mort dans l’indigence au commencement de 1831, à l’âge de 33.
ii Chez tous les libraires, prix : 5 fr.

 

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