L'Echo de la Fabrique : 12 mai 1833 - Numéro 19

 ENCORE AUX ARISTOCRATES D’AUJOURD’HUI.

Malheureux ! vous nous traitez d’ambitieux, vous nous accusez de pousser à la révolte et vous ne voyez pas que c’est votre froid égoïsme, votre imprudent et barbare anathème qui vont porter le découragement et le désespoir dans le cœur généreux de ces travailleurs, que vous condamnez à l’ilotisme, à l’abrutissement, à la misère, sans espérance d’un meilleur avenir, puisque vous ne leur promettez que du travail, du travail et toujours du travail. Et de quel droit parlez-vous de jeter dédaigneusement au peuple quelques bribes de pain, quand c’est lui qui vous donne si généreusement vos somptueux repas et votre luxe ? Insensés ! lorsque le plus ardent défenseur de vos droits, oubliant sa noble origine, est venu vous dire : Les grands devant qui vous tremblez ne sont grands que parce que vous êtes à genoux ! vous vous êtes levés ; et vous ne craignez pas qu’un orateur, plus éloquent encore que Mirabeau, vous ne craignez pas que la misère ne crie à ceux que vous regardez en pitié : Les riches ne sont riches que parce que… n’achevons point, il n’est pas dans nos principes d’éveiller les haines, d’exciter les passions, d’irriter le malheur, de pousser aux catastrophes : nous voulons au contraire les prévenir.

Dédaignant une polémique oiseuse et dégoûtante, nous ne prêterons plus l’oreille aux paroles pleines de fiel et d’amertume dont on nous poursuit ; forts de notre conscience et de la pureté de nos intentions, de l’appui et du concours qui nous est offert, nous continuerons notre œuvre de progrès, nous redoublerons d’efforts pour préparer le triomphe de doctrines qui n’ont pas pour but d’ôter aux riches ce qu’elles veulent donner aux pauvres, mais qui tendent à mettre en association la richesse, la science et l’industrie, pour une nouvelle exploitation du globe, promettant à chacun un bien-être proportionné à la somme de travail, de talent et d’argent, qu’il apportera dans la société.

Souveraineté nationale, représentation réelle, protection égale des intérêts généraux, de ceux de l’artiste, du savant, du travailleur et du propriétaire ; abolition de tous les privilèges, voila les droits que nous réclamons.

Affranchir le commerce de la concurrence qui ruine le marchand sans avantage pour le consommateur ; protéger l’agriculture autrement que par des lois de prohibition, qui font payer cher le pain aux ouvriers, ne donnent rien de plus aux cultivateurs, et profitent seulement [7.1]à l’homme de loisir qui double le prix de son fermage ; abolir progressivement toutes les lois de douanes, qui, pour enrichir quelques négocians, aggravent les impôts, paralysent certaines industries, et n’en protègent aucune efficacement ; faciliter l’échange des produits par un système complet de communication intérieure, ce dont le gouvernement s’occupe en ce moment, et, avant tout, favoriser les associations formées en vue d’augmenter la production qui donnerait à tous, au lieu de prêcher dérisoirement l’économie à ceux qui n’ont que la misère et des privations, voila les moyens que nous proposons.

Ajouter à ces bienfaits une éducation générale, payée par la commune, égale pour le riche et pour le pauvre, développant les facultés de l’homme et de la femme, sans rétribution collégiale, sans impôt universitaire, sans influences mesquines, tracassières, qui lui donnent une direction fausse et ne font que des fanatiques ou des serviles, au lieu de faire des citoyens éclairés et religieux ; délivrer la presse des entraves du fisc, qui la tiennent garrottée, muselée ; des rigueurs du parquet, qui la jettent dans les cachots, et du fer des spadassins qui voudraient la tuer, voila notre espoir !

En un mot, préparer une complète régénération industrielle, une reconstitution pacifique et successive de l’ordre social, qui est encore, entaché de féodalité ; substituer l’association à la concurrence, la paix à la guerre, le travail au privilége, la production à la destruction et à la violence, améliorer le sort du travailleur, non point par la spoliation du riche ou par l’aumône avilissante, mais par le développement et l’emploi de ses facultés physiques et morales ; voila notre but, et nous ne craignons pas de l’avouer, voila nos sympathies populaires, qu’on nous impute à crime, et nous ne cherchons pas à les cacher.

Jullien,
Ancien élève de l’Ecole Normale.

 

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