L'Echo de la Fabrique : 19 mai 1833 - Numéro 20

Alliance industrielle et commerciale
entre la france et l?angleterre.
Mission de M. Bowring.

Le célèbre docteur Bowring poursuit activement l??uvre qu?il a entreprise. Nous voyons avec plaisir que tous les organes de la presse des principales villes commerçantes de France, reconnaissent aujourd?hui son système et savent apprécier la profondeur de ses vues. A Nantes, l?Ami de la Charte1 dans un premier article sur la politique industrielle fait ressortir les avantages et les bienfaits immenses qui peuvent résulter de l?alliance des deux peuples les plus commerçans et les plus industrieux du monde. Nous croyons devoir en reproduire quelques passages.

« La mission de M. Bowring en France a pour but de hâter l?union des deux peuples, qui sont le complément l?un de l?autre ; or, cette union qui commencera par des rapports commerciaux, ne sera pas moins utile sous tous les autres points de vue ; ainsi, le peuple anglais comprend mieux l?association, et le peuple français est plus liant ; ainsi, le peuple anglais est plus industriel et le peuple français plus artiste.

« Développons les industries naturelles à notre sol, encourageons-les en cherchant des acheteurs à nos producteurs, mais n?introduisons pas chez nous par des tarifs absurdes, quelques-unes des industries éphémères qui, semblables aux plantes équatoriales de nos terres, ne font que végéter, malgré les soins dont elles sont l?objet.

« Comprenons aussi que tous les préjugés qui existent entre la France et l?Angleterre doivent tomber, que si l?Angleterre achète pour 75 millions de nos produits, il faut qu?elle nous revende ostensiblement ou par contrebande pour environ la même somme des siens. »

« Comprenons encore que M. Bowring n?est pas venu en France avec le désir de la ruiner, car il ne le pourrait pas quand bien même il en aurait eu l?idée. D?ailleurs, c?est un homme d?un grand mérite et qui comprend à merveille l?utilité d?une union solide entre tous les producteurs. »

Le Précurseur dans son numéro de dimanche dernier contient un article qui professe les mêmes principes, et que nous regrettons même de ne pouvoir répéter en entier. Toutefois nous reproduisons le passage suivant qui suffira seul pour faire comprendre combien cette question importante est appréciée.

« L?idée d?association et celle de liberté illimitée, d?entière indépendance, se contredisent, c?est un point qu?il faut bien sentir, et que nous, amis de la réforme parlementaire, nous aimons à mettre en saillie. Comment comprendre, en effet, que nos fabricans de soieries puissent se résigner à perdre un aussi bon acheteur que [2.2]l?Angleterre ? Si nous acceptons, comme nous devons le faire dans notre intérêt et dans le sien, ses houilles, ses fontes, ses laines longues et ceux de ses produits que nous n?avons pas, comment concevoir que l?Angleterre puisse se priver à son tour du marché français ? Ce fait extrêmement important nous prouve d?une manière évidente le fatalisme providentiel, la nécessité logique qui gouverne le monde et dont nous subissons les lois.

« Nous avons cette confiance qu?une fois de grandes relations industrielles établies entre la France et l?Angleterre, il ne sera plus au pouvoir d?aucun caprice et d?aucune puissance, de les rompre et de désunir deux peuples qui n?en formeront plus qu?un. »

Ainsi, d?un bout de la France à l?autre, on sent le besoin d?échanger par un commerce sans entraves nos produits avec l?Angleterre. Partout on sent le besoin d?avoir en meilleure qualité et à meilleur marché les houilles, les fontes et les fers, dont la nature n?a que faiblement couvert notre sol ; les cotons numéros fins et les laines longues soies, que nous ne pouvons produire ; l?Angleterre sent aussi le besoin de s?approvisionner chez nous avec facilité, de nos vins, de nos huiles, de nos soieries et nouveautés. C?est un fait qui n?est plus contestable que l?association commerciale entre la France et l?Angleterre, profitera à tous deux et principalement aux peuples dont elle facilitera le développement de l?industrie naturelle. En abaissant les tarifs, plus de contrebande possible, plus de ces milliers d?hommes qui vivent sans rien produire, sans utilité pour la société et hors la loi sous les coups de laquelle ils finissent toujours par succomber, et sont une preuve vivante de la monstruosité des lois prohibitives.

L?association commerciale entre la France et l?Angleterre, est une question immense et de la plus haute portée, c?est le premier pas vers un nouveau système, c?est le premier anneau de la chaîne qui doit unir tous les peuples qui doit leur servir d?exemple et leur faire sentir le besoin de s?associer à leur tour ; de cultiver et d?apporter leurs produits sur nos marchés en échange des nôtres. Alors il y aura prospérité générale et durable.

Tous les peuples comprendront enfin que ces armées d?employés, de douaniers, et par contre, de contrebandiers, ne produisent rien, et vivent non-seulement à leurs dépens, mais les privent encore de tous les objets dont ils pourraient avoir besoin, ou les font monter au double et même au triple de leur valeur.

On ne saurait faire une meilleure critique des lois prohibitives qui ont rendu les peuples malheureux et ignorans, qu?en les comparant à deux propriétaires, dont l?un possédant un coteau ne récolterait que du vin, et l?autre possédant un terrain plat, ne recueillant que du blé, et se refuseraient tous deux à l?échange de leurs produits, ou échangeraient leur culture pour avoir chacun ce qui leur est nécessaire. On comprendra qu?un pareil système n?est pas soutenable, c?est celui de chacun chez soi ; malheureusement c?est encore celui que soutiennent divers gouvernemens, et dont quelques hommes sont entichés, peut-être par des préoccupations politiques qui sont loin sans doute d?être le fruit d?opinions libérales.

Espérons que les efforts de M. Bowring seront couronnés d?un plein succès, il a combattu les ennemis du système prohibitif, en Angleterre ; c?est à lui que nous devons la continuation de l?entrée de nos étoffes dans ce pays, que l?aristocratie du parlement voulait prohiber en s?appuyant sur la demande des manufacturiers de Londres et autres villes.

C?est à M. Bowring que nous devons le succès de nos v?ux, l?association et le bonheur des peuples. Mais [3.1]si nous comblons d?éloge un étranger nous ne devons pas oublier qu?il a été secondé par un homme éminemment recommandable de notre ville et que nous n?avons pas besoin de désigner plus amplement, qui a tout fait ici pour faire comprendre ce système, cette politique d?association ; il a eu le bonheur d?être compris par quelques-uns, il le sera bientôt de tous ; son dernier voyage en Angleterre n?a pas d?autre but.

F.......t.

Notes de base de page numériques:

1 L'Ami de la Charte. Journal politique, littéraire et d'avis de Nantes, publié depuis 1819.

 

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