L'Echo de la Fabrique : 9 juin 1833 - Numéro 23

 Littérature.Résurrection
du
CAVEAU LYONNAIS.

Les Lyonnais n?ont pas encore perdu le souvenir de la Société Epicurienne qui jeta quelque éclat sur notre ville ; l?invasion étrangère et les dissensions politiques, qui en furent la suite la détruisirent. Dans ce temps déjà loin de nous, la voix seule de Béranger put se faire entendre. Elle seule vibra de telle force que les maux de la patrie qu?elle ne pouvait totalement guérir, en furent soulagés. La politique régnait seule ; nous sommes loin de lui en faire un reproche banal, mais plus tolérante aujourd?hui ou mieux comprise, elle consent à n?occuper que la moitié du trône.

Pendant ces longues années où se jouait la double comédie dont nous avons vu le honteux dénoûment, la Société Epicurienne essaya bien de se reformer tantôt sous le nom d?Amis des Muses, tantôt sous celui de Moderne Caveau. Ses efforts furent vains : comment faire revivre une gaîté qui n?était plus. Le 11 janvier 1827 un Caveau Lyonnais fut encore fondé, mais il n?a pas prolongé son existence au-delà de 1829.

MM. Léon Boitel1, Eugène Lamerlière et Kauffmann, viennent de faire une tentative pour ressusciter l?ancien Caveau lyonnais. Dimanche dernier a eu lieu une séance préparatoire dont nous augurons le plus heureux résultat ; aux trois professeurs émérites dans la science du gai savoir, que nous venons de citer, et à côté quelques anciens membres du Caveau, qui se sont revus avec plaisir, sont venus s?asseoir quelques jeunes poètes d?un grand avenir, auxquels l?Echo de la Fabrique a eu le bonheur d?ouvrir plusieurs fois ses colonnes, MM. Corréard, Amédée Roussillac, Berthaud, Léopold Curez, etc. Nous tiendrons nos lecteurs au courant de ces réunions poétiques.

[6.1]Nous offrons aujourd?hui à nos lecteurs une chanson composée par M. Amédée Roussillac pour cette fête inaugurative :

UNISSONS-NOUS.

Air de la République.

« Unissez-vous, nous dit le journalisme,
« Pour conjurer les caprices des rois ;
« Au bon plaisir d?un bâtard despotisme
« Opposez-vous, en invoquant les lois. »
A vous, à moi les rois ne plaisent guère?
Mais, en ce jour, contre eux point de courroux !
C?est aux flacons que nous faisons la guerre :
Unissons-nous, amis, unissons-nous.

Invoquons tous (fussions-nous romantiques),
Invoquons tous et Comus et Momus.
Moi, me brouiller avec de tels classiques !
Non ; et mon Dieu toujours sera Bacchus.
Or, dépouillons la haine littéraire ;
A nos voisins laissons suivre leurs goûts,
Mais à l?ennui, pour déclarer la guerre,
Unissons-nous, amis, unissons-nous.

Nous, chansonniers, ici donnons asile
A la musique aux célestes accords,
Au drame en pleurs, au malin vaudeville,
A la peinture aux magiques trésors.
Poète, artiste, éloquent prolétaire,
Dans nos caveaux, tous frères, pressez-vous.
Pour faire aux sots une implacable guerre
Unissons-nous, amis, unissons-nous.

Qu?au Zodiaque arrive un nouveau signe,
Chacun de vous par vous tous est requis
De nous livrer une chanson maligne,
Un gai motif, un proverbe, un croquis.
Au froid calcul inféodé naguère,
D?autres lauriers Lyon devient jaloux ;
Pour concourir à cette noble guerre.
Unissons-nous, amis, unissons-nous.

Notes de base de page numériques:

1 Léon Boitel (1806-1855), imprimeur et éditeur lyonnais, lié à l?opinion républicaine. Partisan de la « décentralisation littéraire », il venait de coordonner l?ouvrage Lyon vu de Fourvières, et il lancera en 1835 la Revue du Lyonnais.

 

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