L'Echo de la Fabrique : 9 juin 1833 - Numéro 23

 PAIX ET TRAVAIL.

Nous ne sommes point de ces novateurs ardens, impétueux, qui bouleversent tout soudainement pour le seul plaisir de détruire, et qui sont ensuite impuissans à remplacer ce qu’ils ont détruit ; nous croyons à la perfectibilité, mais à la perfectibilité progressive de l’homme. [7.2]Il y aurait folie, aveuglement à en douter : ce progrès est visible ; les annales des peuples nous l’enseignent ; tout concourt à le prouver, à le rendre évident. La leçon du temps nous montre l’humanité poussée par le passé, dont elle ne veut plus, sollicitée par l’avenir qui l’attend, dans un mouvement continuel de transition : elle ne s’arrête ni ne recule ; on prétendrait en vain enchaîner le présent au passé, l’avenir au présent ; il nest point de croyances éternelles, point de constitutions immuables ; tout se transforme, tout s’améliore : mais l’expérience nous l’apprend aussi, le travail de la civilisation est lent et graduel, il faut des siècles pour transmuter les sociétés : trois cents ans ont à peine suffi pour renverser les institutions vieillies du moyen âge, édifice vermoulu que la féodalité avait élevé à si grands frais : il a fallu tout ce tems au génie hardi de la réforme et de la philosophie, pour ébranler dans sa base ce monument séculaire que la révolution française a détruit pierre à pierre. Le bruit de sa chute a réveillé tous les peuples de leur assoupissement : La France a initié l’Europe à un progrès nouveau ; et bientôt l’humanité tout entière s’est avancée dans une ère de civilisation nouvelle.

Les grandes révolutions du monde prennent leur source dans une vérité d’avenir qui a long-temps à lutter contre les souvenirs du passé et contre les illusions du présent, mais qui triomphe enfin de l’un et de l’autre. Le fait moral qui ressort du mouvement social que le christianisme a commencé, auquel les philosophes ont imprimé une force d’action si vive, dont la révolution de 1789 a été le complément, et dont celle de 1830 doit être la consécration, c’est un progrès opéré au profit du travail, contre le régime violent, injuste et oppressif de la féodalité. Voila le principe pour lequel le monde est agité depuis près de deux mille ans : il est enfin fixé ; que la société se coordonne avec ce principe ; qu’il pénètre toutes nos institutions, qu’il les domine : les usages, les habitudes, les mœurs, les besoins ont progressivement changé, que les lois changent avec eux, que la législation se mette en harmonie avec la civilisation : il y va du salut de la société tout entière. La politique ne doit plus être l’art sanglant et machiavélique de tromper et d’opprimer les peuples ; qu’elle abjure, qu’elle apostasie toute violence, tout sentiment de haine et de fureur ; qu’elle revête le caractère divin de franchise et de concorde, qui convient à sa mission nouvelle ; au-dehors, qu’elle unisse toutes les nations par une égale horreur pour le sang, par un même amour de la liberté ; qu’elle excite entre elles des sentimens d’association pour l’échange mutuel de leurs productions ; au dedans, qu’elle combine, soutienne et développe les intérêts du travail chez les peuples ; que la politique enfin soit industrielle ; que les enseignemens de Manchester, de Birmingham, de Lyon ne soient point perdus. Nous ne concevons point de paix, de sécurité, de stabilité possible sans une juste et équitable répartition des produits du travail. Tout pour les uns, rien pour les autres, sera toujours un élément de désordre et de trouble. Rois, puissans de la terre, n’oubliez pas que la voix du peuple est la voix de Dieu ! Prêtez une oreille attentive, cette voix vous crie : du travail et du pain !

Jullien.

 

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