L'Echo de la Fabrique : 24 juin 1833 - Numéro 25

DE LA CONDITION SOCIALE DES FEMMES

au dix-neuvième siècle.

Lorsqu’une nouvelle école vint jeter au monde ces paroles hardies : Abolition de tous les priviléges ; affranchissement de la femme et du prolétaire ; ce fut une voix générale de réprobation, et chacun s’empressa, tout d’abord, de crier au scandale. Le moyen de contenir son indignation en voyant surgir un système politique et moral, qui devait s’appuyer, croyait-on, sur la communauté des femmes et la loi agraire, révoltante promiscuité d’une part, inique spoliation de l’autre !

Cependant les théories de M. Enfantin, que les uns ont qualifiées d’absurdes, les autres d’immorales, que les trois quarts n’ont pas comprises, et que l’imprudente parole d’un de ses disciples a fort indiscrètement compromises, ont au moins servi à fixer l’attention du grand nombre sur la question toute neuve de l’amélioration du sort des femmes ; et c’est un progrès immense que d’avoir posé en question un fait dont nul ne s’occupait. Il ne serait pas impossible qu’un jour ces idées mieux développées, mieux saisies, et surtout convenablement modifiées, ne fussent l’occasion de grands perfectionnemens moraux, comme le cri en faveur du prolétaire est devenu le signal de nombreuses améliorations sociales.

Déjà des pétitions ont demandé aux chambres qu’on s’occupât sérieusement d’apporter dans l’éducation des femmes les réformes et les innovations capables de mettre leur condition plus en harmonie avec les progrès de la civilisation ; et nous avons vu avec plaisir le gouvernement lui-même tenter d’introduire dans la législation, quoique d’une manière bien vague, quelques dispositions à cet égard.

Du reste, qu’on exalte ou qu’on rabaisse outre mesure le mérite des femmes, qu’on fasse pleuvoir les traits malins, les railleries, les épigrammes auxquels la grave question de leur émancipation progressive peut donner naissance, cela n’empêchera point l’histoire de nous montrer partout leur double influence sur les mœurs et sur la politique. Dans les diverses formes des sociétés humaines, leur condition sociale apparaît avec un caractère qui est en quelque sorte le type moral de l’époque ; c’est une vérité que, de nos jours, un économiste a parfaitement résumée quand il a dit : « Si les barbares adoptaient le mariage exclusif, ils deviendraient en même temps civilisés par cette seule innovation ; et si nous adoptions la réclusion ou la vente des femmes, nous deviendrions barbares par cette innovation seule. »

Il est évident qu’il s’est opéré dans la condition sociale des femmes, comme dans celle des hommes, un perfectionnement graduel ; et peut-il être douteux pour qui veut y réfléchir sérieusement et les juger avec une impartialité réelle, et autrement que du point de vue étroit de ses propres passions, que ce perfectionnement [7.2]doit toujours aller au progrès, parce qu’il est dans la nature des choses que la condition des femmes agisse incessamment sur la civilisation, et que la civilisation à son tour réagisse sur elle ? Si l’attribution des droits civils à l’épouse a été le bienfait de cette civilisation, pourquoi la liberté ne paierait-elle point aussi son tribut à cette moitié si intéressante et si belle du genre humain ? L’humanité n’est-elle point perfectible dans toutes ses parties ; et pourquoi, par exemple, lorsque nous aurons obtenu l’abolition des privilèges qui pèsent sur l’homme, et qui retiennent encore l’immense majorité des citoyens sous le joug d’une minorité que le hasard a faite riche, la femme ne serait-elle pas dégagée également des entraves qui la retiendraient, comme au temps de la féodalité, sous la dépendance d’un seigneur et maître ? Si la femme a cessé d’être esclave, pourquoi ne cesserait-elle pas aussi d’être serve ? Pourquoi ne deviendrait-elle pas autre chose qu’un ustensile de ménage ou un meuble de salon ? Pourquoi n’obtiendrait-elle pas dans la grande association la place qui lui convient, et qu’une éducation mieux dirigée lui aurait appris à remplir ? Pourquoi ne trouverait-elle pas dans l’industrie mieux organisée des travaux de son sexe assez lucratifs pour lui donner une position qu’elle ne devrait qu’à elle-même, sans attendre la fortune et le rang d’un époux ? le mariage serait-il moins heureux parce qu’il cesserait d’être une affaire d’intérêt et de spéculation, et l’union de l’homme et de la femme serait-elle moins morale parce qu’elle serait une vérité au lieu d’être un mensonge, un trafic ?

Toutes questions sont graves, et le temps leur apportera sans doute une solution que nous croyons prochaine, et que semble préparer la proposition de loi sur le divorce plusieurs fois renouvelée à la chambre des députés, et qui lui est soumise de nouveau.

Jullien.

 

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