L'Echo de la Fabrique : 30 juin 1833 - Numéro 26

UN DISCIPLE DE CHARLES FOURRIER

a ses concitoyens.

Suite. (Voy. N° 25, pag. 206.)

Maintenant que nous avons jeté quelques rayons de lumière sur les tristes effets, que, pour le plus grand bien de la morale et de la philosophie, la civilisation a aussi obtenus des quatre passions animiques : ambition, amitié, amour, et amour de la famille ; maintenant qu’il est devenu au moins difficile de se faire l’apologiste de ce que nous appelons encore progrès de la raison humaine ! Nous ne pousserons pas plus loin nos réflexions : nous nous contenterons de mettre en regard une esquisse rapide de la carrière que ces passions pourront parcourir dans l’ordre sociétaire. Ainsi :

L’ambition ! qui, comme nous l’avons dit, présente à l’homme un double but à atteindre, fortune ou gloire ! pourra se développer, grandir ou s’alimenter au sein de cette mine féconde et intarissable ; car non content d’abolir à toujours oisiveté et misère, l’ordre sociétaire doit encore ouvrir à tous le chemin des richesses, en assurant à chacun le développement de ses facultés et une juste répartition en bénéfices de capital, travail et talent. Et Dieu merci, nous qui comprenons une autre gloire que celle de culbuter peuples et trônes ! qui voyons bien d’autres lauriers à cueillir que ceux que l’on fauche avec le canon ! Nous trouvons vaste et fertile, ce champ à côté duquel la civilisation a usé quelques milliers d’années en essais toujours fatals à l’humanité !

Oisiveté, vol, assassinat, dégradation, pauvreté, pestes et sanglantes révolutions, tel est son brillant cortège ! et voila le monstre aux mille têtes, que bientôt les hommes frapperont de mort avec l’arme pacifique du travail attrayant ! pivot essentiel du mécanisme sociétaire.

L’amitié ! ce besoin de l’ame que nous promenons partout avec notre languissante vie, ne sera plus pour l’homme un amer poison. – Déjà les idées que nous avons précédemment émises sur le travail à séances courtes et variées, suffiraient pour l’attester : si, rappelant ce que nous en avons dit, nous n’ajoutions encore que, cédant à l’irrésistible volonté de ses passions et au besoin d’activité que lui a départi la nature, l’homme interviendra chaque jour, à chaque instant, et de sa libre spontanéité, dans une foule de travaux d’industrie, d’agriculture et d’arts, riches de cet attrait à triple corps : travail de son choix, composition du groupe et esprit corporatif ou assemblage gradué et compact de tous les groupes affectés à chaque subdivision d’une industrie.

[6.2]Dès-lors, il est facile de comprendre que le lien d’amitié sera promptement établi entre la presque totalité des hommes ; car dès qu’intéressés à l’action sociale, par leur participation intégrale aux richesses, honneurs et fonctions, ils auront reconquis leur dignité et seront ainsi rentrés dans la voie du destin, ils auront aussi bientôt dépouillé l’un sa grossièreté, l’autre sa morgue insolente, et alors s’opérera naturellement la fusion des trois classes, riche, moyenne et pauvre, aujourd’hui si profondément ennemies les unes des autres.

L’amour ! cette passion qu’à tant de titres nous avons nommée décevante illusion, ce sentiment qui exalte l’âme et lui transmet une énergie délirante, source de tant de nobles impulsions, retournant bientôt vers le point d’où il est parti pour entrer dans la voie qui lui fut assignée par Dieu, puisera une nouvelle vie dans l’ordre sociétaire. – Là, justement affranchie du servage honteux dans lequel l’ont brutalement froissée les hommes avec leurs codes de sociabilité morale et philosophique ! délivrée de cette raison morale et philosophique, délivrée de cette prison étroite que nous nommons famille et rendue à la liberté par sa venue au travail et sa participation aux choses humaines, affranchie enfin de cette triple fatalité qui la condamne à un isolement éternel, ou bien l’accouple à la misère, ou encore en fait l’objet d’un marché pompeusement décoré du nom de mariage, la femme dépouillera bientôt cette défiance de l’homme et cette contrainte de soi-même, fruit de l’éducation faussée qu’elle reçoit parmi nous, mais trop bien justifiées d’ailleurs par le déplorable état dans lequel la société est enfin descendue. – Puis, face à face avec l’homme libre des fers qu’il s’était lui-même forgés ; l’entraînant au travail de toute sa magique puissance, et partout rivalisant avec lui, tous deux alors retrouveront dans l’amour, un attrait si long-temps perdu, si long-temps étouffé, et l’homme ne pourra que s’applaudir d’avoir enfin compris qu’un destin plus riant les attendait tous deux.

L’amour de la famille, dégagé à son tour des étroites limites du ménage civilisé vivant dans un complet isolement ; délivré de tous les élémens de désordre, qui bien souvent font d’une famille une arène scandaleuse dans laquelle nous rencontrons à chaque pas le fils luttant contre le père, la fille contre la mère, l’époux contre l’épouse, et au milieu de laquelle, hélas ! viennent encore tomber d’autres brandons de discorde, comme la misère aux prises avec le besoin ou le scandale d’une union mal assortie consommée pour la vie ; ce sentiment se développera sous un double aspect dans l’ordre sociétaire. – Souvent, et chacun de nous a pu le reconnaître, souvent les liens de famille ne sont pas aussi puissans, aussi intimes que ceux qu’établissent parfois la conformité de goûts et la convenance de caractères. – Cette sorte de parenté toute spirituelle, dont l’ordre actuel même nous offre quelques exemples par de rares adoptions, sera très-fréquente en association, sans rien diminuer toutefois de la puissance des liens de famille qui viendront au contraire y puiser une nouvelle force.

Alors seulement, pères et mères pourront en toute sécurité se livrer à cette passion : suivre avec plus d’intérêt encore le développement et les heureux progrès de leurs enfans, qui, délivrés à leur tour de toutes les entraves dont on affuble leur éducation et des corrections toutes paternelles qui en sont le corollaire, mettront toute leur gloire à leur plaire et à les charmer !

Enfin, jouir de la vie sans regret du passé, sans souci du présent et sans amère prévision de l’avenir ! [7.1]Tel doit être le résultat de l’organisation sociétaire : tel n’est point certainement celui qu’ont produit et que produiraient encore avec une progression indéfinie, l’isolement, l’incohérence des familles et l’usage des saines doctrines de la morale et de la philosophie, si nous ne nous hâtions de sortir de cette voie tortueuse toute hérissée d’écueils, pour entrer dans celle qui nous est ouverte par Charles Fourrier.

R…… cadet.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique