L'Echo de la Fabrique : 14 juillet 1833 - Numéro 28

Sur l’amélioration sociale des femmes.

(extrait de la Revue Encyclopédique1.)

Depuis quarante ans que l’on bouleverse les institutions sociales, en cherchant à y apporter des améliorations successives, quel est le philosophe ou le législateur qui se soit occupé d’une amélioration sociale pour les femmes ? Les femmes elles-mêmes n’y ont point songé ; accoutumées à souffrir et à se tenir dans la gêne, leur état est devenu comme une seconde nature, qu’elles n’imaginent point pouvoir changer. Elles souffrent sans réfléchir et sans chercher à remonter à la cause de leurs maux ; et lorsque le premier mot de leur émancipation future fut jeté en avant et porté jusqu’à elles, de même que ce prisonnier de la Bastille qui, après trente ans d’esclavage, rendu tout-à-coup à la liberté, ne savait plus se mouvoir ni soutenir l’éclat du soleil, et demandait avec instance l’asile de son cachot, de même les femmes, s’effrayant à l’idée d’une indépendance sociale et d’un progrès intellectuel, priviléges jusqu’à ce jour étrangers à leur sexe, ont dès la première parole fermé avec épouvante leurs yeux et leurs oreilles sans consentir à rien regarder et à rien entendre…

Sans doute les femmes ont fait d’immenses progrès depuis le christianisme ; elles ne sont plus, du moins dans les pays civilisés de l’Europe, achetées et vendues comme un vil bétail ; on daigne cultiver leur intelligence ; elles ont des droits devant la loi, et elles jouissent effectivement d’une sorte de liberté apparente. C’est là sans doute un progrès réel, mais qui marque bien plus le chemin qui reste à faire, qu’il ne marque la dernière borne de la carrière ouverte à leur sexe par la Providence.

Les femmes, dit-on, sont faites pour être épouses et mères ! elles sont émancipées à leur majorité ! elles sont libres de droit ! Quelle triste raillerie, quelle dérision amère dans chacune de ces paroles, lorsque l’on considère à quoi viennent aboutir en réalité tous ces droits chimériques ! les femmes sont faites pour être épouses et mères ! mais il y a au moins un tiers des femmes auxquelles leur position fait obstacle, et qui ne peuvent remplir cette sainte destination.

Les mariages qui engendrent d’ordinaire les plus grandes calamités, et ce sont peut-être les plus communs, sont ceux où l’on s’engage en quelque sorte forcément et par contrainte de position. C’est là que se révèle dans toute son étendue le malheur et l’injustice de la condition sociale des femmes. Pour elles, le mariage est d’une nécessité si rigoureuse ; hors du mariage elles demeurent dans un tel état de dépendance, de nullité et d’isolement, que la plupart, au risque de faire le malheur de leur vie tout entière, se marient sans autre but que celui de se marier. C’est ainsi que l’on voit de jeunes et charmantes personnes épouser des hommes vieux et usés ; des femmes aimables et spirituelles se donner à des hommes grossiers et mal élevés ; des femmes modestes et pures s’unir à des hommes vicieux et corrompus : au premier abord on s’étonne d’unions aussi discordantes et aussi folles, et cependant que l’on cherche, que l’on interroge, et si l’on arrive à la vérité [8.1]on verra qu’à toutes se rencontre une raison suffisante tirée des nécessités de la position sociale.

Aujourd’hui que l’on prétend que les femmes sont affranchies par le fait autant que par le droit, quelle étrange contradiction n’y a-t-il pas à leur donner, en même temps que cette liberté de se mouvoir, d’agir et de penser, une sorte d’éducation négative qui étouffe leur pensée et la charge d’entraves ? La femme est, dit-on, l’égale de l’homme dans tous les rapports de famille et de société : de droit, sans doute ; mais de fait, étrangère à toutes les grandes idées et à toutes les grandes choses qui captivent les hommes, ne leur demeure-t-elle pas constamment inférieure ? La femme est légalement émancipée à sa majorité : oui ; mais de fait, lorsqu’elle est sans fortune et sans protecteurs, dépourvue comme elle l’est de connaissances spéciales, qu’est-ce donc que cette chimérique émancipation ? La femme est libre dans ses actions ; mais de fait elle est, dans chacun de ses gestes, garrottée par les convenances et tenue sous le joug de l’opinion. Elle est libre d’exercer dans la société les fonctions qui rentrent dans les attributions de son sexe ; mais, de fait, son éducation lui permet bien rarement d’en trouver les moyens, et d’ailleurs l’opinion du monde, inflexible dans sa tyrannie et dans ses exigences, lui défend de travailler de sa propre industrie, sous peine de déroger et de décheoir de sa considération et de son rang.

La question de l’amélioration de la condition des femmes, est donc une question fort complexe, car elle dépend à la fois de la réforme de l’éducation et de la réforme des mœurs. Aux hommes appartient la réforme des lois, aux femmes appartient celle des mœurs, c’est donc sur ce point qu’elles peuvent diriger spontanément leurs efforts, car, en modifiant peu à peu les mœurs, elles modifieront aussi peu à peu leur condition sociale. (Livraison de décembre 1832, p. 598 et suiv.)

Notes de base de page numériques:

1 L’article « De la condition des femmes au xixsiècle », publié dans la Revue encyclopédique de décembre 1832 était signé Marie de G***.

 

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