L'Echo de la Fabrique : 21 juillet 1833 - Numéro 29

Le commissaire central de police Prat,

et les ouvriers.

De quel limon sont-ils donc pétris les hommes du pouvoir ? En endossant l?habit chamarré sous lequel souvent la nullité la plus complète se cache, cessent-ils donc d?être les égaux de leurs concitoyens ? L?oubli de tout sentiment honnête et libéral est-il la conséquence nécessaire de l?élévation des citoyens à des fonctions quelconques ? Ou bien croient-ils devoir se venger envers ceux qui leur sont momentanément subordonnés, des avanies qui leur pleuvent d?un peu plus haut ? Nous cherchons vainement un motif à cette aberration de l?esprit humain. Nous ne le trouvons point.

Ces réflexions nous sont inspirées par la conduite de M. Prat. Nous n?avons pas eu personnellement à nous en plaindre dans sa visite au bureau de l?Echo ; faut-il n?attribuer cette mansuétude de sa part qu?à la crainte de se commettre avec des gens qui ne fléchissent pas aisément le genou devant l?arbitraire, et qui sont armés pour le combat par la plus puissante des divinités modernes, la liberté de la presse ! Nous sommes obligés de le croire d?après sa conduite envers ceux dont il a craint moins de résistance. Comme si nous n?étions pas là pour venir au secours de nos frères ! pour les défendre contre l?arbitraire, le caprice d?un commissaire central de police, et même de fonctionnaires plus élevés s?il était nécessaire !

M. Prat a reçu, dit-on, des pouvoirs illimités ; il en a usé, tant pis pour lui ; il n?y a plus en France de pouvoirs illimités. Il n?y a de pouvoir discrétionnaire qu?à la charge d?en user avec discrétion. Il s?est permis de faire arrêter préventivement deux chefs d?atelier dont l?un est âgé de plus de 70 ans, et un compagnon? Pourquoi cette rigueur. Pourquoi choisir quelques-uns lorsque tous sont solidaires ?? Et lors même qu?en vertu d?une loi écrite dans le code pénal de 1810, mais que nos m?urs repoussent aujourd?hui, on voudrait imputer à quelques-uns ce qui est le résultat d?un concert unanime ; où a-t-il vu, M. Prat, qu?il était équitable d?arrêter préventivement des hommes dont la peine légale serait au plus de quelques mois de prison?, par son bon plaisir il transforme en crime ce que la loi elle-même n?a qualifié que de délit? Un cachot et le secret à des hommes dont la culpabilité est douteuse, à des hommes qui soutiendront devant les tribunaux qu?ils ont le droit de s?associer, de prendre telles mesures qu?ils jugent convenables à leurs intérêts? à des hommes qui pourront bien être condamnés, mais que la société ne rejettera pas de son sein, que leurs amis continueront d?environner de leur estime et de leur amitié? Cessez, M. Prat, ces persécutions odieuses !? Informez, faites tout ce qu?il vous plaira, traduisez devant la justice, mais attendez qu?elle ait prononcé ; n?anticipez pas sur ses arrêts qu?il faut respecter, lors même qu?ils seraient le fruit de l?erreur ; ? ne vous rendez pas coupable d?attentats à la liberté individuelle. Vous savez que vous êtes responsable de vos actes.

Post-Scriptum. ? Nous apprenons que les ouvriers [6.1]arrêtés viennent d?être mis en liberté. Nous ne savons pas encore si c?est sous caution ou par suite d?une ordonnance de non lieu de la chambre du conseil, ou simplement par l?ordre du juge instructeur.

 

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