L'Echo de la Fabrique : 11 août 1833 - Numéro 32

AU REDACTEUR, SUR LES AVOUÉS D?APPEL.

Monsieur,

Dans l?un de vos derniers numéros M. Bourget s?est plaint du privilège créé au profit des avoués ; un autre de vos correspondans est venu lui prêter un timide secours ; il s?est contenté de critiquer la robe noire imposée aux avocats et avoués, et s?est applaudi d?avoir, dans une audience du tribunal de commerce, compté plusieurs avocats ou avoués faisant des réquisitions sans être affublés de ce vêtement. Il attribue à Me Augier ce progrès, cette déviation des vieilles habitudes. Votre correspondant se trompe, car de tout temps il en a été ainsi ; toujours à la petite audience du tribunal consulaire on a été libre de prendre ou laisser la robe ; ceux qui s?en couvrent ne le font que pour appeler les regards des plaideurs, c?est l?enseigne offerte aux retardataires qui n?ont pu, avant l?audience, faire choix d?un défenseur. A la grande audience, au contraire, la robe est de rigueur ; nul jusqu?à présent n?a pu se soustraire à l?empire des vieux usages. Ainsi, que votre correspondant cesse de s?applaudir, le ridicule costume du barreau est encore plein de vie. Mais qu?importe ? Devons-nous nous en occuper ! Ce n?est pas la robe qui grossit les états de frais i ; ce n?est pas la robe qui ruine les plaideurs. Voulez-vous cependant que cette robe disparaisse, frappez ceux qui la portent, supprimez les avoués, leur corporation est incompatible avec la liberté des industries ; c?est une lèpre qui ronge le corps social ; il faut l?en délivrer ; déjà la grande majorité de la nation a soif de cette amélioration ; elle en comprend l?urgente nécessité. Que la presse descende dans la rue l?ennemie des priviléges, qu?elle écrase celui des [5.2]avoués, et ce service rendu au pays ne sera pas le moindre de ses titres à la reconnaissance générale.

Aujourd?hui je viens porter le premier coup à ce privilége ; je parlerai des avoués d?appel seulement ii ; j?essaierai de démontrer leur inutilité pour les plaideurs : cette inutilité bien constatée, on en déduira la conséquence rigoureuse que tous les frais qui leur sont payés sont frustratoires et que les exécutoires qu?ils sont si prompts à exiger du greffier, sont dans leurs mains le poignard à l?aide duquel on demande au passant la bourse on la vie. Que MM. du privilége ne se fâchent pas, c?est un plaideur, ruiné qui parle, il s?empresse de reconnaître que le mal est dans l?institution avant d?être dans les personnes, et pour qu?on ne l?accuse pas d?exagération, il va se hâter de fournir ses preuves.

Lorsqu?un plaideur mécontent d?un jugement en a interjeté appel, il remet ses pièces à un avoué près la cour, qui fait inscrire la cause au rôle ; l?avoué de la partie adverse ou de l?intimé signifie par huissier qu?il a pouvoir d?occuper, et la lutte est engagée. Mais qui en supporte les fatigues ? les avocats auxquels les pièces sont portées ; car les avoués n?ont d?autre souci que d?arrondir un bel état de frais. Là est tout le talent de l?avoué ; il ne fait que ça, suivre les audiences et faire mine de prêter aux avocats une petite assistance : je défie qui que ce soit de me donner un démenti. Le ministère d?avoué est donc une superfétation, une inutilité ruineuse ; car on ne prétendra pas que les écritures iii soient nécessaires à l?instruction du procès : les écritures, on le sait au barreau, ne sont lues par personne ; écrites par un clerc qui ne songe qu?à faire en peu de temps un grand nombre de rôles, elles ne méritent aucune attention ; aussi l?avocat se garde bien de perdre son temps à les parcourir. Elles n?ont qu?un seul lecteur, c?est le conseiller taxateur qui, parfois indigné de la rapacité de l?avoué, et voulant motiver les réductions qu?il veut lui imposer, parcourt les écritures et les bâtonne impitoyablement comme inutiles et par conséquent frustratoires. Je pourrais citer des faits incontestables, mais j?attaque l?institution et non les personnes ; je désire tuer le privilége et non ceux qui en profitent.

L?inutilité des avoués étant démontrée, il est du devoir d?un gouvernement de les supprimer avec indemnité préalable iv ; il est du devoir de tous les citoyens de provoquer cette suppression. C?est à la presse surtout, à la presse patriote qu?il appartient de se faire l?organe des besoins du pays. L?Echo de la Fabrique, qui s?est posé le défenseur des intérêts prolétaires, doit, plus que tout autre, protester contre cette corporation, car tant que la justice sera si coûteuse, le peuple ne pourra jamais l?obtenir, et cette égalité devant la loi, écrite avec tant d?emphase dans la charte, ne sera jamais qu?une déception.

Les avocats suffisent devant les cours d?appel v , puisque seuls ils étudient les procès et les discutent devant les magistrats ; le client ne les paiera pas davantage puisqu?ils ne travailleront pas davantage. Qu?on n?admette que la défense orale ou écrite de l?avocat ; qu?on proscrive à jamais ces formalités insignifiantes, inutiles à la découverte de la vérité et attentatoires à la fortune des plaideurs. Les avoués seuls peuvent en demander la conservation, et je les mets au défi d?en donner un motif plausible autre que leur intérêt personnel.

Lorsqu?ils ont palpé le montant d?un état de frais, peuvent-ils, la main sur la conscience, dire : en échange de cet argent j?ai rendu des services au plaideur ? Non, les avoués sont semblables aux plantes parasites qui absorbent tout le suc nourricier de la terre et ne sont pas même bonnes à jeter au feu. Avoués d?appel, votre profession est funeste à la société, sachez la répudier, choisissez une carrière où vous puissiez être utiles au pays, et l?estime de vos concitoyens vous récompensera de ce sacrifice fait à la justice, et à la probité.

Agréez, etc.

Un Plaideur, Ruiné par les écritures et les plaidoieries de renvoi.

Notes de fin littérales:

i Note du rédacteur. ? Notre correspondant se trompe. La robe comme la soutane de RichelieuRichelieu couvre beaucoup de choses.
ii Idem. ? C?est dommage. Nous prouverons dans un prochain article l?inutilité complète du corps des avoués même en première instance.
iii Idem. ? On appelle écritures un mémoire contenant les griefs des parties que les avoués se notifient respectivement ; il est impossible d?en donner une idée exacte à ceux qui ne connaissent pas le barreau. Tous les bons esprits sont d?accord pour en demander la suppression.
iv Idem. ? Nous ne voyons pas le fondement de cette indemnité. Le peuple rentrant dans un des droits dont [6.1]il a été spolié, doit-il une indemnité aux auteurs de cette spoliation ? Ceux qui achètent des priviléges se rendent complices de ceux qui les vendent ; ils font une mauvaise action, ils doivent en subir les conséquences. La révolution renversa les offices de judicature ; une nouvelle les renversera ; c?est dans l?ordre. Quand on abandonne la grande famille pour vivre dans celle des privilégiés, on contrevient à la loi naturelle, on se déclare ennemi de la liberté ; mais dans tous les cas on se lie avec le pouvoir par un contrat aléatoire. Qu?on ne se plaigne donc pas d?une chance facile à prévoir, et surtout qu?on ne nous accuse pas de porter atteinte à la propriété. Non, le privilège ne saurait à nos yeux constituer une propriété légale.
v Idem. ? Ils suffisent aussi en 1re instance si l?on veut simplifier quelques rouages et supprimer la chicane.

 

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