L'Echo de la Fabrique : 28 juillet 1833 - Numéro 30

LE SALON.

Suite (Voy. l?Echo, n° 27, p. 222.)

Un ramoneur se présente rarement aux yeux d?un millionnaire : c?est un objet dont on aime à s?épargner la vue autant que possible. Au Musée, il faut les voir, hideux, moins de la saleté et de la suie qui les couvrent, que de la douleur empreinte sur leur visage. Pauvres enfans ! si jeunes, et déjà la souffrance, avec sa main de fer, a sillonné prématurément vos traits. Il y a des gens qui, en voyant des tableaux de ce genre, s?écrient que les artistes ne savent que donner des cauchemars ! Mais, en vérité, qu?on me dise où les artistes pourraient puiser de riantes inspirations ? La société ne leur offre que des scènes d?égoïsme et de dureté d?un côté, de douleur et de misère de l?autre.

Un tableau de M. Lessore1 représente Une pauvre famille se recueillant et priant avant de prendre son modeste repas : c?est bien, priez, bonnes gens, le pauvre n?est jamais sûr du lendemain ; et quand il espère, il est heureux. Vous avez besoin d?espérer?

Le Ménage du savetier, de M. Roehn, fait plaisir à voir. Il rentre, et sa femme est mécontente ; car il a négligé son ouvrage, il a dépensé peut-être tout l?argent destiné à sa famille ; et pourtant je n?ai pas la force de lui en vouloir, au pauvre savetier : pour nourrir trois enfans et sa ménagère, il lui faut être avant l?aurore au travail, et veiller bien tard. Un jour de liberté fait tant de bien à l?esclave ! Les gens du beau monde le blâment : ah ! s?ils étaient seulement durant huit jours, obligés de tenir sa place, ils le condamneraient ensuite moins légèrement.

Le Mauvais c?ur? C?est une femme, une femme brillante de parure et de beauté ; elle foule d?un pied chaussé de satin le sol couvert de neige, sur lequel sont agenouillés deux jeunes enfans qui mendient ; elle va monter en carrosse, et jette à peine un coup-d??il dédaigneux sur les pauvres petits transis de froid. Heureusement que toutes les femmes ne sont pas des mauvais c?urs. Ce tableau est l??uvre d?une femme, mademoiselle Goblain.

J?ai déjà parlé du tableau de Cristophe Colomb, dû au talent de M. Jollivet. J?ai vu depuis un tableau du même auteur représentant l?Intérieur d?un atelier de forgerie. Des hommes aux larges épaules, aux membres carrés, soulèvent d?énormes marteaux qu?ils font retomber sur une masse de fer rougie à blanc, dont les reflets éclairent leurs brunes figures, cette vue m?a fait plaisir. Il y a de la gloire dans le courage patient qui produit, comme dans le courage bouillant qui fait braver la mort sur les champs de bataille. Le tableau de M. Jollivet est un hommage aux travailleurs ; il est juste qu?un travailleur l?en remercie.

Un tableau de M. Bellangé représenta des Paysans ouvrant leurs cabanes et offrant un asile aux Polonais réfugiés, après la dernière et désastreuse campagne qui a anéanti la Pologne. Ils sont reçus comme des frères, des fils qu?on aime, qu?on attendait avec impatience ; les femmes, les enfans, dont les caresses sont si douces au c?ur des malheureux, s?empressent à l?envi de leur faire accueil : et le peuple, qui aime la [7.1]générosité, trouve, et avec raison, que c?est là un charmant tableau. Un peu plus loin, le même auteur met en présence d?Un marchand de figures de plâtre toute une famille villageoise : chacun choisit ou admire selon son goût ; une petite fille montre à sa mère une Vierge qu?elle brûle de posséder, tandis que le père, homme de cinquante ans, au visage bronzé par le soleil d?Espagne et d?Italie, demeure en extase devant la ressemblance imparfaite, sans doute, mais toujours si expressive, de son ancien général, Napoléon. Tout cela est bien simple, et tout cela fait plaisir pourtant, car c?est naïf, naturel et vrai.

(La suite au prochain numéro.)

Notes de base de page numériques:

1 Les principaux peintres évoqués ici sont Émile Lessore (1805-1876), Adolphe Roehn (1780-1867), Pierre-Jules Jollivet (1794-1871), Joseph-Hippolyte Bellangé (1800-1866).

 

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