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8 septembre 1833 - Numéro 36
 
 

 



 
 
    

DU CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

Réponse à M. A. D.

Labondance des matières ne nous ayant pas permis de répondre plus tôt à la lettre de M. A. D. sur le conseil des prud’hommes, insérée dans notre numéro du 25 août dernier, nous allons essayer de le faire en expliquant toute notre pensée sur le besoin d’une législation écrite que divers intérêts réclament, et que cette absence compromet tous les jours.

Sans espérer que cette jurisprudence remédie entièrement à tous les abus qui sapent les intérêts des ouvriers jusque dans leurs fondemens, nous avons dû émettre une opinion qui est la nôtre, opinion partagée par la totalité des chefs d’atelier qui n’ont certainement pas plus que nous la prétention de croire que cette jurisprudence puisse être le panacée propre à guérir tous les maux qui rongent notre industrie ; mais qui aurait à coup-sûr l’inappréciable avantage d’en détruire les principales causes dont les effets sont d’un si grand poids dans nos discordes.

Nous devons dire auparavant que nous partageons entièrement l’avis de notre correspondant quand il dit que : Le principe de l’égalité devant la loi est très-beau et très-libéral en théorie, mais qu’en pratique il est souvent vide de sens et de justice. Nous comprenons qu’il en soit ainsi sous une législation vicieuse, faite par une minorité puissante et riche qui ne s’occupe des intérêts de la majorité pauvre et sans appui que pour lui faire supporter toutes les charges de la loi sans lui en garantir les bénéfices ; sous un système qui fait fort peu pour [1.2]l’instruction du peuple et rien pour assurer et protéger son pain de chaque jour, et le livre ainsi sans défense aux chances des besoins, et par contre aux tribunaux chargés de punir ses fautes qu’il ne doit souvent qu’à l’abandon dans lequel la société le laisse. Eh ! oui, nous comprenons qu’alors le principe de l’égalité devant la loi soit une amère dérision. Aussi, c’est parce que nous le comprenons que nous réclamons, dans ce qui est de notre ressort, une législation créée par nos pairs, par les élus de notre choix, qui puisse à l’avenir défendre le faible contre les turpitudes du puissant et lui assurer le produit de son travail, qui lui permette enfin d’élever et d’instruire sa famille, et de pourvoir à ses besoins journaliers. Notre correspondant est dans l’erreur, selon nous, quand il pense qu’une telle jurisprudence écrite serait plus pernicieuse à l’ouvrier qu’au négociant ; et pourquoi le serait-elle plus à l’un qu’à l’autre des justiciables ? Il nous semble qu’une loi ainsi faite ne peut être pernicieuse que pour celui qui voudrait la transgresser ; mais alors tant pis pour celui qui tomberait dans le péché, il ne pourrait point prétexter de son ignorance et se récrier sur l’injustice d’une loi qu’il aurait consentie parce qu’elle protégerait également les intérêts de tous et garantirait à chacun les mêmes chances de justice. C’est ce que nous espérons de celle que nous appelons de tous nos vœux.

D’ailleurs notre correspondant ignore-t-il que la plus grande partie des causes soumise au conseil des prud’hommes, sont des réclamations des ouvriers contre les négocians ; que la plupart de ces contestations ne viennent que de l’obstination que montrent quelques-uns de ces derniers à se refuser dans leurs rapports avec les maîtres, à l’exécution des arrêts verbaux du conseil que rien ne les oblige à suivre, avant qu’ils n’aient été eux-mêmes frappés d’un arrêt, ce qui perpétue éternellement ces appels à la barre que la loi écrite aurait l’avantage de faire disparaître ou tout au moins de rendre plus rares.

Nous n’ignorons pas certainement que parmi les nombreux rapports qui existent entre les chefs d’atelier et les négocians, il en est qui sont tellement variés et tellement minimes, qu’il serait absurde de penser faire une législation assez détaillée pour les prévoir et les empêcher tous ; mais ce sont de ces petits rien qui découlent nécessairement d’abus plus grands, dont la source, une [2.1]fois tarie, la fabrique serait totalement débarrassée.

Si notre correspondant nous fait un reproche de trop généraliser, nous lui dirons à notre tour qu’il tombe dans l’excès contraire quand il conseille comme remède universel d’établir tout simplement le prix moyen de la journée de travail d’un métier, et d’après ce, arrêter en principe général que toute perte de temps provenant du fait du négociant, serait payée à l’ouvrier à raison du prix de la journée de travail. Certainement cette mesure apporterait une amélioration marquante aux intérêts des chefs d’atelier si elle était consacrée par une loi ; mais elle serait encore loin de remplir tout ce qui reste à désirer pour établir l’équilibre et donner à chacun la part qui lui revient.

Sans prétention aucune de donner conseil à ceux qui seront un jour appelés, nous l’espérons, à créer cette législation bienfaisante, nous allons donner un aperçu de quelques cas généraux que la loi pourrait régler.

Montage de métiers. Etablir une garantie pour que le négociant ne puisse plus, quand il le veut, et comme il l’entend, exploiter le travail et les instrumens du travail du chef d’atelier, au détriment de ce dernier. Emploi des matières inférieures. Le tissage des étoffes étant la filière où viennent passer toutes les maladresses, incuries ou incapacités des divers manipuleurs des soies, etc., tels que mouliniers, teinturiers, ourdisseurs, chineurs, liseurs, etc. Il serait de toute justice que l’on s’occupât d’une loi qui rendît chacun responsable de ses méfaits, car jusqu’à ce jour ils ont été supportés par l’ouvrier tisseur qui est bien lui responsable de ses propres fautes. Des déchets. Ne pourrait-on pas régler par un mode général la quotité des déchets à accorder dans telle ou telle qualité de matières ; ce qui aujourd’hui est à la merci des négocians, et ce qui contribue le plus à l’encouragement de l’immoral et ruineux piquage d’once dont on ne s’occupe nullement. La loi sur les livrets qui est tombée dans l’oubli. De l’enlaçage des cartons. Malgré les décisions du conseil, plusieurs maisons se refusent encore à payer l’enlaçage des cartons, et nous croyons, nous, que si la loi en faisait une obligation, tous s’y conformerait. De l’inscription du prix de la façon des étoffes sur les livres des maîtres. Ne serait-il pas à désirer qu’une amende fût prononcée par la loi envers les contrevenans, pour que nous ne voyions plus de pauvres ouvriers à la merci des baissiers, etc., etc.

Nous ne pensons donner ici qu’une légère idée de ce qu’on pourrait faire pour améliorer le sort des ouvriers en créant une jurisprudence écrite, et faire comprendre à notre correspondant qu’il y a plus à faire qu’il ne pense pour satisfaire les besoins des réclamans, et si quelque jour notre espoir se réalise, nous dirons avec lui, que : cette détermination remédiera à bien des abus en obligeant le négociant à plus d’ordre et de prévoyance ; tout le monde y gagnera, les négocians aussi bien que les ouvriers, car la réforme des abus profite à tous, même à ceux qui les commettent.

B......

 

 

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