L'Echo de la Fabrique : 29 septembre 1833 - Numéro 39

NOUVEAU MODE

de conditionnement des soies.

Un grand nombre de causes diverses concourent à rendre essentiellement vicieux le mode actuel de conditionnement des soies.

Dans les établissemens existans, la température, la pression atmosphérique, l?état hygrométrique ne sont pas les mêmes pour tous les établissemens, mais varient dans les diverses parties du même établissement.

De là les différences dans le poids vénal des soies, non-seulement d?une place à une autre place, d?un jour à un autre jour, mais le même jour et dans le même établissement.

Il y a plus ; un ou plusieurs ballots très chargés d?humidité, arrivant à la condition, cèdent très facilement cet excès d?humidité aux soies déposées dans les armoires voisines ; de sorte qu?un ballot qui avait perdu, reprend ainsi une partie de sa déperdition.

De là encore aucune certitude dans l?opération (Cette [2.1]variation peut être de 1 à 3 p. %, et même beaucoup plus dans quelques circonstances anormales).

De là, enfin, nécessité absolue de perfectionner les moyens de conditionnement.

Trois procédés ont été proposés : leur exposition complète nous entraînerait trop loin ; d?ailleurs il ne s?agit pas d?en adopter un, mais d?emprunter à l?un un principe nouveau, à l?autre une idée ingénieuse, à l?autre enfin un procédé d?application simple et facile.

La discussion ouverte à Lyon par M. Darcet, envoyé par M. le ministre du commerce pour examiner la question concurremment avec une commission composée d?hommes spéciaux, a confirmé un résultat qui servira de base au procédé à adopter.

Une soie bien tenue, sortant d?une condition faite dans des circonstances moyennes, contient 90 parties de soie, 10 parties d?eau.

Ainsi, pour avoir une condition uniforme, un moyen certain serait de dessécher complètement un ballot, d?ajouter 10 p. % à son poids absolu, et l?on aura un poids de condition ou poids vénal qui sera le même à Nîmes et à Lyon, par un temps vif et sec, et par un temps doux et humide, à la sortie de la filature et à celle du moulinage.

Plus d?à peu près, plus d?incertitude.

C?est pour reconnaître si ce terme de 10 p. % est uniforme dans toutes les localités que M. Darcet a été chargé de les visiter.

Le procès-verbal des expériences faites à Nîmes le 18 juin, en présence de la commission, constate les résultats obtenus.

Le meilleur moyen de les confirmer est de multiplier les expériences.

L?idée, qui fait la base du nouveau système, présente une fixité si heureusement appropriée aux besoins du commerce des soies, qu?il a été reconnu que lors même que la série d?expériences que l?on entreprend sur divers points ne présenterait pas un résultat complètement identique, il serait désirable que ce point fixe fût universellement adopté ; de sorte que partout le poids vénal des soies serait un poids fictif si l?on veut, mais uniforme. Ce mode d?opérer n?est pas nouveau dans le commerce, et n?est pas autre chose que l?emploi des monnaies fictives dans les opérations de change. Mais tout porte à croire que l?on n?aura à cet égard aucune concession à faire à la vérité presque mathématique, puisque toutes les expériences faites jusqu?aujourd?hui présentent des résultats qui ne diffèrent que sur les millièmes, fractions que les balances des conditions ne permettent pas d?apprécier.

Les moyens employés pour les expériences faites à Nîmes ont donné lieu à quelques observations que nous allons retracer.

A défaut d?appareil de dessication, M. Darcet a procédé par une marche fort ingénieuse.

Il a pesé trois échantillons de soie, il les a plongés chacun dans un vase contenant du suif fondu, après s?être assuré avec exactitude du poids de chaque vase et de son contenu.

Les vases ont été chauffés, le dégagement de l?air s?est opéré sous formes de globules, et a cessé lorsque la soie en a été complètement purgée.

Mais lorsque les thermomètres plongés dans chacun des vases ont dépassé 100°, l?eau contenue dans la soie s?est vaporisée et a occasionné un nouveau dégagement de globules qui a été beaucoup plus considérable pour la soie que l?on savait être plus chargée d?humidité, et [2.2]beaucoup moindre pour celle que l?on savait être dans des circonstances contraires.

La température a été portée à 170°, et maintenue jusqu?à ce que le dégagement ait à peu près cessé.

A ce point, on a repesé chaque vase après l?avoir ramené à la température primitive, et la différence de ce poids avec la somme de ceux de chaque échantillon et du vase dans lequel il avait été plongé, a donné le poids de l?eau que la soie avait perdu.

Les résultats, ainsi que le constate le procès-verbal, ont été conformes aux prévisions.

« Peut-on supposer qu?une portion de la perte du poids reconnu doit être attribuée à une portion de suif vaporisée ? »

M. Darcet a établi que cette supposition ne pouvait être admise puisque ce n?était qu?à 250° que cet effet pouvait se produire d?une manière appréciable, et que, malgré l?odeur assez forte qui était répandue, tout se passait comme dans les émanations du musc, qui, dans un très long espace de temps, ne diminuait pas la masse, quoiqu?agissant fortement sur l?odorat.

« La dissolution de la gomme et de la résine, principes constitutifs de la soie, et ensuite leur vaporisation peuvent-elles entrer pour quelque chose dans la perte de poids reconnue ? »

M. Darcet a fait observer que tout portait à croire qu?elles n?y entraient pour rien, puisque les échantillons soumis au décreusage ont perdu 24, 25 p. 100, comme une soie ordinaire ; ce qui prouvait que sa constitution n?avait éprouvé aucune altération, ce que d?ailleurs l?inspection et l?essai de la tenaison à la main semblent confirmer. D?ailleurs, l?expulsion de l?eau faite au moyen de l?appareil de dessication présente à peu près les mêmes résultats, et les légères différences que l?on pourrait trouver sont dues à une petite quantité d?eau, dont il est plus difficile de purger la soie dans un milieu aussi résistant que le suif fondu, que dans l?air mu par une ventilation énergique que l?on se procure dans l?appareil de dessication.

Cette expérience ayant prouvé qu?une soie sortant de condition contenait 9,25 d?eau, on peut regarder comme certain le chiffe de 10, si l?on considère que le moyen employé rendait très difficile l?expulsion totale des dernières parties d?eau contenues dans la soie, et l?on peut dès à présent conclure que l?appareil de dessication aurait donné exactement ce chiffre de 10.

« La soie qui a servi à l?expérience et qui a été immergée pendant plusieurs heures dans du suif à la température de 170°, a-t-elle été altérée ? »

Nous avons déjà dit que cette soie s?était comportée comme une soie ordinaire dans l?opération du décreusage, mais dans la discussion de cette question spéciale, on a remarqué :

1° Que la dessication complète au moyen de l?appareil n?exigeait pas l?immersion dans le suif, et ne soumettait la soie qu?à une température de 103 à 104, au lieu de 170.

2° Que pour conditionner un ballot, on n?avait besoin de soumettre à la dessication que quelques décagrammes.

3° Que tout portait à croire que cette faible quantité ne serait pas perdue, mais, que pour plus de certitude, on avait opéré à Lyon la dessication complète de 10 kil. avec lesquels on fabriquait aujourd?hui des étoffes de diverses couleurs. Les résultats de cette expérience seront complets et concluans.

On a demandé comment dans un ballot, on pourrait choisir la portion de soie dont la dessication devait [3.1]servir à déterminer le poids vénal du ballot, de manière à garantir les intérêts du vendeur et de l?acheteur.

Cette question, d?une importance radicale, se trouve résolue par la découverte d?un fait tout-à-fait nouveau, qui tient à la propriété hygrométrique de la soie : deux ou plusieurs parties de soie chargées de quantités d?eau différentes, placées toutes ensemble sous un récipient, s?égalisent en peu de temps, de telle sorte que toutes les parties de soie contiennent la même quantité d?eau. On voit que l?application de ce procédé rend tout-à-fait indifférent le choix de l?échantillon régulateur.

On a reconnu que toutes les soies soumises aux mêmes circonstances contenaient la même quantité d?eau, quels que fussent leur qualité, leur titre, leur apprêt plus ou moins forcé. Il n?y a de variable que le temps nécessaire pour leur faire perdre cette quantité d?eau. Et ce qui confirme ce résultat, c?est qu?après leur dessication, elles reprennent cette même quantité d?eau, quelle que soit leur nature, seulement elles la reprennent dans des termes différens. Un tableau qui établit ce fait sur un très grand nombre d?expériences a été communiqué à la commission.

Dans le système actuel, on connaît l?heure fixe où l?opération de la condition est terminée, de sorte que les parties intéressées peuvent, avec un dérangement momentané, se trouver présentes au moment où l?on en constate les résultats.

On a fait observer que le nouveau procédé dont la durée était incertaine, n?offrirait pas le même avantage ; mais on a remarqué que ce n?était qu?une question d?organisation dont la solution serait aisée.

Si l?on se pénètre bien de cette vérité, que les bases du nouveau système ne sont pas plus rigoureuses, mais seulement plus exactes que celles de l?ancien, ce dernier sera universellement abandonné. Une fois bien établi que le poids vénal de soie est composé de 90 parties de soie pure et 10 parties d?eau, les prix se nivelleront sur cette donnée.

(Journal des Marchands, etc.)

 

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