L'Echo de la Fabrique : 29 septembre 1833 - Numéro 39

Châles.1

Depuis que des expositions plus rapprochées les unes des autres permettent de comparer, à de courts intervalles, notre industrie avec elle-même, l?observateur qui s?applique à en étudier la marche, ne peut voir sans étonnement la rapidité de ses progrès dans la fabrication des châles, et l?importance des combinaisons commerciales que cet art nouveau a fait naître.

A des conjectures plus ou moins fondées sur la forme et sur le mécanisme des métiers dont les Cachemiriens font usage, à des essais par lesquels on s?efforçait d?imiter un travail admirable dans ses résultats, mais dont les procédés étaient environnés de mystère, a succédé, en peu d?années, un art complet, appuyé sur une théorie certaine, occupant un grand nombre d?ouvriers habiles, et donnant lieu à la création d?une masse considérable de produits.

L?Inde peut redoubler de vigilance pour soustraire à nos regards les ateliers où sont fabriqués ses précieux tissus ; elle peut les couvrir d?un voile aussi impénétrable que celui qui cache son origine et ses dieux : nous n?avons plus rien à apprendre d?elle dans un art où elle semblait inimitable, et qu?à notre tour nous avons inventé.

L?espoulinage, ou le procédé à l?aide duquel on parvient à une imitation exacte des châles indiens, est maintenant bien connu de tous les négocians ; tous pourraient [3.2]le pratiquer. Il n?est même plus un secret pour le public puisqu?un métier à espoulins, monté par M. Rey, a fonctionné dans une des salles du Louvre pendant toute la durée de l?exposition de 1827.

Si la perfection absolue des produits était le but unique des arts manufacturiers, l?espoulinage serait exclusivement adopté par nos fabricans, puisque ce procédé est jusqu?ici le seul qui puisse donner naissance à des tissus semblables aux magnifiques modèles que l?Inde nous envoie. Mais une fabrication qui n?intéresse pas les premiers besoins de la vie, ne devient importante, et conséquemment nationale, qu?autant qu?elle pourvoit aux jouissances des classes moyennes de la société, parce que c?est là que se trouve la grande majorité des consommateurs. Or, nos châles espoulinés, bien que moins chers que les vrais cachemires, sont cependant d?un prix où il n?y a guère que l?opulence qui puisse atteindre ; et, puisque le débit en est très limité, la production n?en peut être considérable.

La cherté de ce bel article tient à ce qu?il résulte uniquement d?un travail manuel, et nécessairement très coûteux ; de sorte que la substitution d?un effet mécanique à l?action de la main de l?homme est le seul moyen possible d?en abaisser le prix. Le perfectionnement que nous indiquons, et que nous appelons de tous nos v?ux, présente, il est vrai, de grandes difficultés ; mais 1?avantage en serait immense. Il doit, à ce double titre, exciter l?émulation de nos artistes.

Le lancé est le procédé qu?adoptent presque tous nos fabricans. Il est beaucoup moins coûteux que l?espoulinage, parce qu?il admet une action mécanique ; aussi les châles qui en résultent sont-ils à la portée des fortunes moyennes. On donne à ces châles le nom de cachemires français.

Les châles de laine, composés d?une chaîne en soie organsin et d?une trame en laine, sont aussi exécutés au lancé.

Considérée dans son ensemble, la fabrication des châles prend chaque jour un nouvel accroissement. On estime à trente millions la valeur des produits qu?elle livre annuellement au commerce, et dont une grande partie est expédiée à l?étranger.

Notes de base de page numériques:

1. Le secteur des châles avait été créé à Lyon en 1816. Ce secteur avait fait sensation en utilisant une matière première autre que la soie (déchets de soie et laine cachemire). Son essor avait pu bénéficier des techniques ayant fait leurs preuves dans la production des façonnés, notamment l?utilisation du métier Jacquard. En 1836, un article de la Revue du Lyonnais expliquera : « Le genre cachemire de l?Inde a tellement envahi depuis quelque temps la Fabrique de Lyon, que presque tous les châles depuis les plus simples aux plus compliqués ont imité les dessins de l?Inde » (cité dans Pierre Cayez, Métiers Jacquard et hauts fourneaux. Aux origines de l?industrie lyonnaise, Lyon, PUL, 1978, p. 175).

 

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