L'Echo de la Fabrique : 6 octobre 1833 - Numéro 40

DU COMPAGNONAGE.

Lundi dernier, les habitans1 des rues Grôlée et Port-Charlet ont été témoins d’un spectacle à la fois barbare et immoral qu’ont offert des Français, des industriels, des hommes enfin, se livrant un combat que nos mœurs réprouvent et que les progrès seuls de la civilisation sont appelés à empêcher. Cette rixe déplorable, où le sang a coulé, vient, nous dit-on, de ce que les compagnons cordonniers se seraient emparés, par force ou par adresse, il y a déjà long-temps, des mots et des règlemens qui constituent le compagnonage des ouvriers corroyeurs ; dans le courant du mois dernier, cette spoliation avait déjà motivé une sérieuse dispute entre ces deux corps de métier, à la suite de laquelle deux ouvriers corroyeurs auraient été traduits en police correctionnelle, et condamnés. C’est, nous assure-t-on, pour se venger de cette condamnation que les corroyeurs ont cherché une nouvelle chicane aux cordonniers. Beau moyen, ma foi, pour adoucir le sort des prisonniers en s’exposant à la mort, ou tout au moins à des blessures graves, et aussi à un temps de prison plus ou moins long ; car quelques-uns des combattans ont été arrêtés, et Dieu sait quand ils seront rendus à la liberté.

Jusqu’à quand les ouvriers de toutes les industries fermeront-ils les yeux sur leurs véritables intérêts ? Quand voudront-ils donc comprendre que ces divisions particulières ne servent qu’à river de plus en plus les anneaux de la chaîne, dont les entourent l’égoïsme et la cupidité ? Ah ! qu’ils apprennent, ces hommes, que nous avons la mission d’éclairer et de défendre, que ce [1.2]n’est que par la plus parfaite harmonie entre les diverses classes d’industriels qu’ils parviendront à s’affranchir de ce malaise incessant qui pèse si lourdement sur les travailleurs. Prolétaires de tout état, assez de maux vous accablent, n’augmentez pas encore par vos haines et par vos divisions, la somme de misère attachée à votre sort ; unissez-vous, au contraire, pour vous entr’aider, le fardeau s’allégera. Donnez à ces compagnonages qui sont pour vous des sujets trop souvent réitérés de discordes, où votre sang généreux coule sans profit pour une chimère, donnez-leur le véritable but où doivent tendre tous vos vœux, et réunissant en un même faisceau tous les élémens de force que vous offrent vos diverses industries, vous arriverez sans secousse et sans effort au terme de vos désirs : le bonheur et l’émancipation.

Que les ouvriers de toutes les parties, quelle que soit d’ailleurs leur agrégation, réfléchissent donc sur les faits qui viennent de se consommer. Nous devons leur parler sévèrement, nous qui nous sommes voués à leur défense, et notre voix ne saurait leur être suspecte ; ainsi nous ne leur tairons pas que, honteux de ce qui vient de se passer, révoltés de ce combat atroce et barbare, nous briserions notre plume et cesserions d’être leur organe, si des actes d’une aussi affreuse barbarie se renouvelaient jamais ; car, pour nous, ce serait alors descendre à la complicité !

Nous apprenons, avec un véritable plaisir, qu’aucune blessure grave, n’a été reçue.

B......

Notes de base de page numériques:

1. L’affirmation de la solidarité des travailleurs de toutes les professions s’accompagne dans L’Écho de la Fabrique de la dénonciation croissante des moindres vestiges de l’ancien monde corporatiste. En novembre 1833, par exemple, le journal dénoncera le maintien, par Adolphe Thiers, des règles prohibitives de la corporation des boulangers. En janvier suivant L’Écho de la Fabrique expliquera que cette corporation qui entrave le travail des fariniers est « lésive des intérêts de notre population laborieuse » (numéro du 5 janvier 1834).

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique