L'Echo de la Fabrique : 1 janvier 1832 - Numéro 10

LYON. LE 1er JANVIER.1

Ce jour, lorsque nos manufactures prospéraient, était un jour de fête pour chaque famille ; aujourd'hui il ne leur reste plus que de tristes souvenirs. Cependant tout n’est pas perdu, et nous pouvons, ouvriers, chefs d'ateliers et négocians, nous livrer à l'espérance. Avec les institutions qui nous régissent, la France manufacturière peut être encore sans rivale, comme elle peut être, avec le trône des barricades et son drapeau, la première et la plus puissante des nations. Nous croyons, au commencement d'une nouvelle année, pouvoir répéter ce que nous avons dit tant de fois : Il faut que tous les hommes se tendent la main ; que le passé s'oublie ; que l’ouvrier, le chef d'atelier et le fabricant, dont les intérêts sont liés, fassent le sacrifice de tout ressentiment [1.2]personnel pour l'intérêt de tous, afin que la paix, la concorde et la confiance se rétablissent pour durer éternellement entre des classes dépendantes les unes des autres.

Pour nous, empruntant un langage qu'un vieil usage a consacré, nous allons faire des souhaits ; puissent-ils s'accomplir pour le bien de l'humanité !

Nous souhaitons à M. le président du conseil des ministres qu'il connaisse les véritables causes de la misère des ouvriers de Lyon, et y porte remède.

Nous souhaitons à tous les préfets de mériter le titre glorieux que M. Du Molart a acquis parmi nous, de père des ouvriers.

Nous souhaitons à M. le maire de Lyon toute l’impartialité que commande le caractère dont il est revêtu, et surtout que si on lui demande de permettre la vente publique de la justification d'un ex-premier fonctionnaire il ne la refuse pas ; car il serait bien charmé qu'en pareil cas on permit la vente publique de la sienne, ce que nous ne lui souhaitons pas. Mais, dans ce siècle, qui peut compter sur la stabilité des places ?…

Nous souhaitons au député qui prétend que l'ouvrier peut vivre avec vingt-huit sous par jour, qu'il prenne pour lui cette somme et donne le superflu de ses revenus aux malheureux dont il n'a pas craint de mettre en doute la misère.

Nous souhaitons que les négocians honorables qui ne spéculent point sur la faim de l'ouvrier se fassent connaître, afin que chacun les comble de ses bénédictions.

Nous souhaitons que le petit nombre de négocians déhontés, vrais parasites commerciaux, soient démasqués et flétris par la réprobation publique.

[2.1]Nous souhaitons aux ouvriers que, par le tarif ou la mercuriale, ils voient enfin cesser cet état de détresse où l’égoïsme les a plongés.

Nous souhaitons aux philantropes qui, dans des jours de deuil, ont tendu une main bienfaisante aux infortunés ouvriers, que leurs noms nous soient connus, afin que nous puissions les publier et les transmettre à nos neveux comme des modèles d'humanité.

Nous souhaitons que toutes les ames généreuses, dans quelque classe qu'elles se trouvent, se réunissent pour faire cesser toutes les dissensions civiles ; dussent les ennemis de la France et de nos institutions en mourir de dépit.

Nous souhaitons que le commerce reprenne toute sa splendeur ; que Lyon redevienne, pour la soierie, le magasin du monde, et fasse, par son industrie, la gloire de la France.

Nous souhaitons, enfin, aux journalistes moins de procès et surtout point d'incarcération ; car ils ont à souffrir assez d'autres petites tracasseries.

Notes de base de page numériques:

1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
Antoine Vidal évoque ici la disgrâce du préfet Bouvier Du Molart, relevé de ses fonctions par Casimir Périer. Il s’élève également contre le refus, prononcé par le maire Prunelle de « crier et vendre dans les rues la justification de M. Du Molart » (voir plus loin dans ce même numéro). Mais dès ce numéro, les rédacteurs de L’Echo de la Fabrique annonceront parmi leurs « avis » la publication de Justification de M. Bouvier Du Molart, ex-préfet du Rhône.

 

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