L'Echo de la Fabrique : 6 octobre 1833 - Numéro 40

Un Congrès.

Vite un congrès, deux congrès. (béranger.)1

Allons, battez le rappel, enfans des esclaves qui ont gémi sous le despotisme de Frédéric ! Battez bien fort, pour qu’il l’entende et qu’il vienne ce vieux roi de Prusse, qui tant de fois rêva de l’envahissement de la France, et tant de fois vit ses hauts grenadiers en déroute fuir devant nos petits voltigeurs que par mépris ils appelaient des moitiés d’hommes, des albemann !

Allons, Tartare, sonne de la trompette, et qu’il accoure ton empereur ! cet égorgeur de Polonais ! Qu’il apporte son knout pour frapper en passant ceux qui ne courberont pas la tête devant lui !

C’est un congrès qu’on va former ; un congrès de tyran ; n’oubliez pas de prévenir le geôlier du Spielberg2, François, le vieux, tant de fois tombé, tant de fois redressé, autour de qui s’agite toute une génération frémissante dont il n’étouffera pas les cris, malgré bâillon qu’il lui met.

Un congrès, aujourd’hui entre eux trois, pour aviser aux moyens de rendre plus pesantes les chaînes jetées sur les peuples ! pour étouffer dans leurs bras, ces nains ! la liberté qui naît et se fait jour, aux acclamations de tant de millions d’hommes !

C’est beau à voir un congrès ! Deux vieillards impuissans, caducs, tout deux éprouvés par les revers, tous deux incorrigibles, despotes sans pitié, froids devant le malheur des peuples, ne trouvant pas dans leur sèche paupière une larme pour l’infortune ; dans leur cœur aride un sentiment de générosité pour ceux que le hasard eut le tort de faire leurs sujets ; ne sachant donner que des chaînes et des échafauds à ceux qui rêvent le sublime rôle d’affranchir un jour leur patrie… Puis avec eux un bourreau… qui exécutera la sentence qu’ils auront portée ; un bourreau qui tuerait encore de sa main si la mode n’en étais pas flétrie dans notre Europe, qui vraiment est folle de détruire de si belles coutumes ; un bourreau, tout fier du courage qu’ont déployé ses soldats au passage des Balcans, alors qu’il dormait oisif dans son palais de Pétersbourg !

Voilà les trois hommes3 qui, fondant leurs espérances [5.2]sur l’abrutissement et l’ignorance des esclaves qu’ils gouvernent, ont aujourd’hui l’orgueilleuse prétention de dominer l’Europe, de rétrécir la sphère de l’intelligence si puissamment dirigée vers l’émancipation des peuples, et qui viennent peser dans la balance de tout le poids des populations qui leur obéissent.

Oh ! que si les peuples contre lesquels cette nouvelle sainte-alliance va lever l’étendard, étaient gouvernés par des hommes de bonne foi, les efforts du despotisme seraient ridicules et impuissans ! Oh ! qu’elle serait courte la guerre de l’esclavage contre la liberté où assaillans et assaillis ont le même intérêt ! Malheureusement les gouvernans ont mis leur intérêt dynastique à la place de l’intérêt populaire, et tout en désirant triompher des cours du Nord, ils redoutent les conséquences de la victoire, l’exaltation qu’elle produit et et les idées qu’elle fait naître ; car un peuple victorieux est difficile à museler, et celui qui vient de verser son sang pour le pays, veut que le pays en profite et non pas une famille. Aussi feront-ils tous leurs efforts pour éviter la guerre ; aussi se courberont-ils bien bas devant les trois colonnes qui soutiennent tout l’édifice vermoulu du système de la vieille Europe.

Plus ils se feront petits, plus on leur jettera de la boue à la face ; plus ils ramperont, plus on essaiera de les écraser, plus on les abreuvera d’affronts, jusqu’au jour où les peuples qu’ils régissent, se redresseront enfin, fatigués de tant d’humiliations, et la rougeur au visage courront aux armes, après s’être débarrassés de ceux qui s’effraient des suites d’un succès. Oh ! alors, malheur aux despotes ! Il est impossible aujourd’hui que deux peuples restent long-temps en présence sans se demander pourquoi ils se battent, sans comprendre qu’il est de leur intérêt de s’unir contre ceux qui les poussent et les font s’entre-heurter pour établir sur leurs cadavres un pouvoir cimenté de leur sang !

Oh ! faites des congrès, beaux sires ! renouvelez vos manifestes mensongers et vos menaces orgueilleuses, les enfans de la république savent comment leurs pères vous ont battus ! Il n’y aura plus aujourd’hui sous vos drapeaux cette vaillante jeunesse allemande qui sait où trouver ses véritables amis, et qui brûle de se venger de votre manque de foi. Ils ne descendront pas de leurs montagnes du Tyrol, que nous ne voulons plus envahir, ces adroits tireurs sur lesquels vous comptez. Les Bavarois s’impatientent de la duplicité de leur monarque, et ils ne tourneraient pas maintenant contre nous des armes que nous leur prêterions ; et la Hongrie frémit encore de votre cruauté contre les Polonais, en faveur desquels elle s’agitait naguère !

Allez…, le mot de liberté chez nous fera surgir encore bien des soldats ! L’odeur de la poudre fera, dans notre armée si brave, surgir encore bien des héros ; il s’y trouvera encore des Marceau, des Rochepanse, des Kléber et des Jourdan4 ; il s’y trouvera des Bonaparte… peut-être… ; mais il n’y aura plus de Napoléon !

K.

Notes de base de page numériques:

1. Passage tiré de Pierre-Jean Béranger, « La mort du roi Christophe ». Il s’agit du refrain de cette chanson composée en 1820 et qui avait été  publiée dans Chansons, 1815-1829.
2. Le Spielberg était une forteresse autrichienne où furent emprisonnés de nombreux nationalistes et révolutionnaires italiens.
3. Les trois monarques mentionnés ici sont Frédéric-Guillaume III de Prusse (1770-1840), François Ier (1768-1835) d’Autriche et Nicolas Ier de Russie (1796-1855), tous représentants de la Sainte-Alliance mise en place une vingtaine d’année auparavant lors du congrès de Vienne.
4. Référence est faite ici à des généraux s’étant illustrés contre les armées autrichiennes ou prussiennes, dont François Marceau (1769-1796), Antoine Richepanse (1770-1802), Jean-Baptiste Kléber (1753-1800) ou Jean-Baptiste Jourdan (1762-1833).

 

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