L'Echo de la Fabrique : 20 octobre 1833 - Numéro 42

M. Jules Favre
ET LE COURRIER DE LYON.

Nous n?aimons point à remuer des cendres dès longtemps éteintes, et notre continuel but est d?assoupir des ressentimens funestes et de réveiller l?esprit de concorde et d?association universelle qui peut seul mettre fin à nos misères industrielles. Aussi ne nous voyons-nous forcés qu?avec le plus vif regret de ramener nos lecteurs vers les scènes de deuil qui ont signalé, et le bon droit et la triste victoire des ouvriers de Lyon, dans les journées de novembre : mais nous manquerions à notre devoir si nous laissions passer sans commentaire les assertions du Courrier de Lyon, à propos de la brochure de M. Jules Favre sur le procès des Mutuellistes.

[2.1]Le Courrier de Lyon prétend que le tarif ne fut surpris qu?à un très-petit nombre de négocians, et plus loin : que la majorité des négocians, par amour pour la paix publique, se conformait provisoirement au tarif en attendant la décision de l?autorité supérieure.

Vraiment nous avons peine à être calmes et modérés en entendant ces paroles, nous qui avons été témoins des vociférations presque universelles des négocians, non contre le tarif, mais contre les ouvriers à cette époque, Nous pourrions citer un bien grand nombre de faits que nous défierions de nier et qui prouveraient d?une manière authentique l?amour de la paix publique qui régnait alors ; mais les questions ainsi posées pourraient devenir des personnalités, et jamais les colonnes de notre journal ne leur seront ouvertes, Nous adresserons seulement quelques questions au Courrier de Lyon, et nous le ferons avec brièveté et sang-froid.

Nous lui demanderons comment il se fait, puisque si peu de négocians accédaient au tarif, que pas une protestation signée n?ait paru de la part des opposans ? Et qu?on ne vienne pas nous dire qu?on avait peur ; il serait commode de se réfugier ainsi dans l?infamie. Non, les négocians ne devaient pas avoir de craintes, ou du moins, forts de leur bon droit, ils devaient avoir le courage de le soutenir, Que la masse opposante se fût réunie dès la première convocation de M. de Boisset ; qu?elle eût hautement protesté contre l?établissement du tarif, et que cette protestation, signée de tous, eut paru dans tous les journaux ; que les délégués eux-mêmes, au lieu de laisser faire en dehors d?eux une longue protestation dont l?auteur priait qu?on voulût bien taire le nom ; que les délégués eussent dès le lendemain déclaré que la réunion inoffensive, sans doute, mais certainement imposante des ouvriers, avait laissé entrer la méfiance et la crainte dans leur ame ; que tous enfin eussent hautement et publiquement protesté contre ces expressions de librement débattu et consenti, oh ! alors, nous le concevons, ils seraient bien venus à venir lancer anathème contre les ouvriers qui auraient réclamé l?exécution d?une promesse arrachée par la violence, d?un pacte particulier qui n?était de nature à engager que ses signataires ; mais comment veut-on que lorsque les ouvriers ont vu affiché sur tous les coins de murs : tarif librement débattu et consenti par les délégués des ouvriers et des négocians, comment veut-on qu?ils aient pu deviner que, in petto, ces mêmes négocians désapprouvaient, honnissaient le tarif qu?on affichait en leur nom ; comment veut-on, qu?éprouvant de toutes parts le refus d?observation du tarif par ceux qui les croyaient dégagés par leur silence, les ouvriers n?aient pas cru à une flagrante violation du droit des gens, à une mauvaise foi insigne et calculée ? Qu?on réponde à cette demande, qu?on nous prouve que l?absence de protestations publiques n?a pas dû prouver aux ouvriers l?authenticité de la convention, et alors nous nous reconnaîtrons dans notre tort ; mais jusque-là nous avons droit de demander compte de nos désastres à ceux qui, par faiblesse, nous voulons bien le croire, plutôt que par perfidie, furent cause de tant de malheurs.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique