L'Echo de la Fabrique : 27 octobre 1833 - Numéro 43

 

Des Ouvriers Tailleurs.

Aujourd’hui que cette industrie a, comme toutes les autres, acquis un haut degré de perfection, et pour l’élégance, et pour la régularité de la couture ; n’est-il pas déplorable d’avoir à signaler que, pour cette classe de travailleurs comme pour toutes en général, une monstrueuse [3.1]réduction dans les salaires soit tout le prix du perfectionnement apporté dans tous les modes de confection : voila pourtant l’un des brillans résultats de notre liberté illimitée du commerce, tant vantée par les hommes du jour.

A quelques exceptions près, un ouvrier tailleur rend une pièce par semaine, c’est-à-dire un habit ; cette pièce, dans les ateliers de 1er, 2e et 3e ordres, est payée 18, 16, et 14 fr. – Maintenant, qu’on veuille bien se rappeler, qu’il y a peu d’années encore, les façons, beaucoup moins compliquées qu’aujourd’hui, lui permettaient de rendre ses deux pièces dans le même laps de temps, au prix de 12 fr. l’une ; et certes on ne sera point étonné que les ouvriers tailleurs se soient crus en droit de réclamer une augmentation ; ce qu’ils viennent de faire.

Peut-être, vont nous dire certains intéressés, 18 fr. (nous prenons le maximum) sont suffisans, et un ouvrier peut bien vivre avec cette somme par semaine. – Nous admettons cette assertion (bien que nous pensions, nous, qu’il serait de toute justice que les ouvriers pussent participer aux jouissances que procurent à d’autres le progrès et le perfectionnement de l’industrie) ; mais afin d’éclairer la conscience publique, nous devons dire que ce n’est guère que pendant six mois de l’année environ que les ouvriers tailleurs ont du travail assuré ; savoir : d’avril à juillet et d’octobre à janvier ; et c’est à grand’peine si, pour les six autres mois, ils peuvent compter sur une demi-pièce par semaine, ce qui ferait 9 fr.

Alors aussi, c’est à ce temps-là que l’égoïsme pèse sur eux de tout son poids ; et qu’ils n’échappent à la faim qu’en se soumettant au bon plaisir des maîtres qui profitent de la morte-saison pour les exploiter à leur guise. – C’est ainsi, par exemple, que l’été dernier, plusieurs maisons ayant des commissions à rem­plir, demandèrent de bons ouvriers : ceux qui se présentèrent devaient croire que les façons seraient au moins dans ce cas raisonnablement payées ; eh bien ! pour confectionner des redingotes croisées avec anglaises et poches de côté, il leur fut offert la somme de 6 FRANCS ! Ceci pourrait paraître étrange : – et pourtant nous sommes bien certains de ne pas être démentis.

Désirant, comme de raison, se soustraire aux tristes résultats d’une aussi déplorable situation, les ouvriers tailleurs de Lyon, à l’exemple de ceux de Paris, formèrent une association ayant tout simplement pour but de s’entr’aider et se secourir mutuellement. – Aucune pensée hostile n’avait présidé à la fondation de cette société, existante depuis quelques mois ; et néanmoins, si nous sommes bien informés, elle viendrait d’être dénoncée à M. le procureur du roi comme coalition, par ceux de MM. les marchands tailleurs qui ont cru devoir refuser l’augmentation de salaire réclamée. – D’autres, au contraire, reconnaissant sans doute la justice de cette demande, se sont empressés d’y souscrire. On cite MM. Reynaud jeune, Fleury, Bretonville et Duverger, Girardon et Flasseur.

La presse étant l’arme la plus sûre pour la ruine des abus, en même temps qu’elle est le meilleur garant de la paix publique (quoi qu’en disent certains messieurs), nous prévenons MM. les ouvriers tailleurs que nous sommes prêts à leur ouvrir nos colonnes dans le cas où ils auraient à recourir à la publicité.

 

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