L'Echo de la Fabrique : 17 novembre 1833 - Numéro 46

 

AU RÉDACTEUR.

Lyon, 7 novembre 1833.

Monsieur,

Une nouvelle fraternité vient de surgir dans notre ville ; les maîtres et ouvriers tireurs d’or, guimpiers, passementiers et enjoliveurs, fraternisent aujourd’hui entr’eux sous la dénomination des Frères-Unis.

Cette Société pense que tout homme qui sent battre son cœur pour les sympathies fraternelles, s’empressera de trouver les moyens de faire partie de notre nouvelle famille, s’y faisant admettre avec un cœur pur, une ame droite, sans passion contraire au progrès de l’humanité, sans haine intérieure ni arrière-pensée. Mais s’il est au contraire d’une nature différente, qu’il reste en dehors de nous, nous ne le verrons que d’un œil de pitié, puisqu’il est égoïste, puisqu’il repousse l’union qui ne forme qu’une société de frères ; là, seulement, on y trouve secours, protection, aide, morale de tous pour tous.

La honte et le regret de voir ses concitoyens professionnels être unis par des liens indissolubles, s’entr’aider les uns les autres, sera un ver rongeur qui troublera ses veilles et son sommeil, pendant que nous jouirons d’une paix inaltérable ; parce que, pour être reçu parmi nous, il faut être homme de bien, et l’homme de bien est toujours tranquille.

Depuis long-temps nous désirions nous associer, mais chacun désespérait de réussir… Il a fallu que les Mutuellistes aient commencé pour nous montrer le chemin de l’émancipation. Il était urgent d’entrer dans cette voie pour faire augmenter notre salaire si restreint aujourd’hui, qu’il nous est de toute impossibilité de vivre du produit de notre labeur ; par conséquent, nous n’avons d’autre perspective d’avenir que la misère, réservée aux dernières années d’une vie passée dans toutes sortes de peines et de privations.

Tandis que nos exploiteurs ne mettent qu’un tiers ou tout au plus une moitié de leur existence pour de grandes fortunes, aux dépens de nos sueurs ; et, pour comble de maux, quand nous leur demandons une légère augmentation, ils nous répondent, eux ou leurs subordonnés : « Que nous sommes bien heureux d’être occupés ; que tel ou tel s’en accommode à ce prix ; que si l’on n’en veut pas, ils ne sont point en peine de le faire fabriquer ; que d’ailleurs le gain qu’ils font est plus minime que le nôtre. » Alors le grand besoin oblige à succomber sous le poids de ce machiavélisme, et nous ne nous tromperions peut-être pas en disant : Que c’est toujours en offrant le bon [6.2]marché (à peu d’exceptions près) pour soutenir la concurrence, que les commissions se remplissent à gros bénéfices.

C’est pour remédier à cet état de choses que les Unistes viennent auprès de vous, pleins de confiance, solliciter la haute faveur de vouloir bien être leur organe auprès du Mutuellisme pour marcher ensemble dans l’émancipation, qui tous les jours perce à travers les obstacles que leur suscitent sans cesse les monopoleurs du commerce.

Nous pensons que si toutes les fraternités voulaient s’entendre et se donner la main pour se soutenir contre l’oppression, elles seraient assez fortes pour arrêter le torrent dévastateur qui s’oppose aux progrès du siècle, et pour briser les chaînes de l’indigence que nous portons depuis si long-temps.

mutuellistes !

Déjà on sait, de toutes parts, que les Stéphanois sont unis avec vous, veuillez ajouter notre union à la vôtre ; que désormais votre journal (le seul que nous lisions), soit l’écho fraternel des prolétaires, afin de recevoir dans vos colonnes le motif de nos justes plaintes.

Unissons-nous. D’autres associations fraternelles viendront se grouper autour de nous pour accélérer la solution du problème industriel.

Veuillez, M. le rédacteur, donner la publicité de cette pièce dans votre estimable journal, avec votre commentaire, si vous le jugez à propos ; vous obligerez infiniment vos serviteurs.

Les délégués de l’association des frères-unis

Note du rédacteur. – Nous accueillons avec joie la lettre que nous adressent les Unistes. Notre journal a toujours eu ses colonnes à leur disposition ; il est l’organe de tous les travailleurs, et tous les travailleurs peuvent y recourir. L’association des Unistes repose sur de sages bases ; que les ouvriers s’y adjoignent librement et volontairement ; que son action soit toute de persuasion, de raisonnement ; que jamais elle n’ait recours aux menaces, à la violence, elle pourra marcher la tête haute. Elle use d’un droit imprescriptible, préexistant à toutes lois écrites, celui de ne céder son labeur qu’aux conditions qu’elle juge convenables. Ces associations sont, selon nous, le seul moyen de ramener en France la prospérité et l’égalité que l’égoïsme seul peut étouffer. Jusqu’à ce jour le commerce s’est divisé en deux classes : l’une très riche, l’autre très pauvre ; l’une despote, l’autre esclave ; il faut que cet état de choses cesse dans notre pays de liberté ; l’aristocratie nobiliaire est morte, faisons que l’aristocratie d’argent ne puisse recueillir et conserver son héritage : nous le pouvons par l’association. Avec elle nous obtiendrons une plus juste répartition des produits commerciaux ; on ne verra plus des maisons s’accroître outre mesure des richesses arrachées aux veilles et aux sueurs des ouvriers ; ces ouvriers, à leur tour, pourront amasser une petite fortune pour leurs vieux jours. Point de fortunes colossales, mais point de misères excessives. Nous aurons un bien-être général, et, par une conséquence nécessaire, l’égalité et la fraternité règneront entre les citoyens. Enfin, grace aux associations, nous aurons conquis légalement et pacifiquement l’émancipation de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre.

 

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