L'Echo de la Fabrique : 1 décembre 1833 - Numéro 48

Encore des Coalitions.

ce qu’elles annoncent ; ce qu’elles produiront.

Voici venir les forts de la monarchie, qui voyant à la surface du pays fourmiller les associations d’ouvriers, ont dit, se croisant les bras, contrefaisant les penseurs et hochant superbement la tête : « Le serpent de la république est là-dessous », et ont pétitionné leur gouvernement : « Faites-nous des lois, beaucoup de lois ; que ces gens-ci ne se puissent plus réunir, si ce n’est, au plus, au nombre de deux. »

Or, messieurs de la monarchie, vous pensez en avoir fini avec l’esprit d’association sitôt que vous aurez tapissé nos murs de vos craintes avec glose et préface industrielle de M. Prunelle ? Pauvres gens ! de grace, écoutez-donc la grande voix de l’avenir qui prophétise, à qui veut entendre, les causes du grand phénomène des coalitions et les destinées du travail, écoutez :

Du sein des associations doit éclore une organisation prochaine ; ces associations, à cette heure, dispersées sur le sol, sont des germes qui bientôt grandiront ; ce sont des matériaux épars que le présent apprête et amasse, que la main de l’avenir trouvera là, qu’elle ajustera et alignera pour fonder une administration générale du travail.

Avez-vous donc espéré, messieurs du pouvoir, que long-temps encore les travailleurs français, aujourd’hui instruits et nombreux plus qu’autrefois, pourront se résigner tous les matins à aller à la découverte du hasard [1.2]auquel ils doivent chaque jour le travail et la vie ? pourront se résigner à se rencontrer chaque soir, eux et les leurs, face à face avec la faim, sans rêver, sans poursuivre une organisation qui leur épargne cet affreux tête-à-tête et qui les rassure pour leurs vieux jours ? Ils l’ont bien senti, les travailleurs, la république doit réaliser un jour ce souhait, ce désir légitime pour lequel provisoirement ils se liguent entr’eux ; et si vous ne prenez les devants, messieurs de la monarchie, vous y serez pris ; c’est rassurante chose que la police et la finance, mais qui ne suffit à tout, messieurs ! Votre clé d’or s’y pourrait briser.

En France, vous vous perdez dans la foule des gardes-champêtres, agens, commissaires, procureurs du roi, administrateurs, directeurs, percepteurs de toutes sortes et de tous habits ; vous comptez ces agens par milliers. Eh bien ! parmi ces armées de fonctionnaires, lequel est pour le travail ? Demandez-le ; on vous rit au visage ; il s’agit bien vraiment d’avoir une administration qui s’occupe de faire vivre les Français ! Un directeur de haras, à la bonne heure ; c’est parler, cela ! Améliorer les bêtes, cela se conçoit ; mais prendre soin de l’espèce humaine et du travail qui nourrit cette espèce, c’est indigne d’une monarchie ! Voyez aussi, que des circonstances imprévues, que des événemens extraordinaires viennent suspendre ou briser les métiers d’un million d’ouvriers, voila des familles sans pain, et aucune administration n’est là pour y prendre garde ; la monarchie dîne et passe outre.

Que des ouvriers tombent malades ; en quelques jours leurs familles sont dans la plus profonde misère, la monarchie dîne et passe outre.

Que la mort enlève un père de famille et laisse la faim à de petits enfans, la monarchie dîne et passe outre.

Que dans l’intérêt de l’ordre de choses, messieurs du parquet emprisonnent avant jugement et sous leur bon plaisir un chef de famille ; si les enfans du captif ont faim, le parquet dîne et passe outre.

Et vous voulez que les ouvriers, qui se voient chaque jour victimes de ces affreux malheurs, ne s’associent pas pour en conjurer le retour ? Il ne vous est donc jamais arrivé de vous dira : Si je n’avais rien pour demain, si le pain même me manquait ! si j’avais des enfans !… » et que la faim fût là !… car, à ces pensées, vous sentiriez [2.1]le froid de la crainte vous courir par le corps, et alors vous comprendriez l’effrayante anxiété qui doit tourmenter les 28 millions de travailleurs français ; vous comprendriez l’entraînement du sentiment commun du besoin qui les oblige de se serrer, de se presser poitrine contre poitrine, pour s’étourdir dans l’orage et résister ensemble. Il faut bien qu’ils organisent leur travail ; car enfin, l’avez-vous organisé, vous ? Voulez-vous, pouvez-vous l’organiser ? Non, vous dînez et passez outre. – Mais le Samaritain viendra qui ne passera pas outre.

Que feront ces lois que vous préméditez ? Que feront vos prisons, vos baïonnettes, vos balles ? Quand vous aurez emprisonné ou fusillé la moitié des ouvriers, le reste sera-t-il plus sûr de son avenir ? Sentira-t-il moins la nécessité toujours incessante d’une confédération ?

Faites du moins, pour assurer l’existence de vos semblables, ce que vous faites pour préserver les récoltes, les baliveaux, les routes, les créances des capitalistes ; pour chacune de ces choses, vous avez créé des administrations spéciales, l’administration des gardes-champêtres, celle des eaux et forêts, des ponts et chaussées, des hypothèques, etc., etc. N’est-il donc pas temps encore de songer à une institution qui préserve vos semblables de la faim ?

Vous nous donnez une administration des cultes qui nous charme par les chants grégoriens et les serpens, par l’harmonie des cloches et par la magnificence des cérémonies ; nous pouvons aller à confesse, au catéchisme, à la messe, à vêpres, voire même à complies : rien de mieux ; chaque commune a son église, son missel à olives, sa crécelle, sa vierge, son marguillier et son curé ; c’est bien vu, sans doute. Quand on veut des prières ou l’absolution, on sait où aller ; mais pour trouver du travail ! mais du pain ! ne vous adressez à personne, personne n’y prend peine, comme vous voyez. Vous avez tout organisé pour gagner la vie éternelle, que nous vous souhaitons ; mais vous n’avez rien fait pour la vie actuelle que nous tenons et que nous voudrions garder, ne vous en déplaise ?

Or, cette anarchie dans la propriété du travail ne peut plus durer, messieurs, et le temps approche où ces paroles vont s’accomplir ; on verra, par commune, un administrateur industriel pour les travailleurs, comme on y voit un curé pour les dévots ; on y verra un temple ou une bourse comme on y voit une église ; une liste dans un cadre doré, contenant, non pas les noms de messieurs de la confrérie du St-Sacrement, mais de messieurs les ouvriers et leur genre de talent ; et au lieu de messes, homélies, sermons, benedicat vos, etc., on ouïra un bel et bon journal, aux frais du pays, notant le prix de tous les objets travaillés, le taux et le mouvement des marchandises, en tous les lieux ; les endroits où manque le travail et où il regorge ; les réclamations de tous ; enfin tout ce qui concerne l’industrie et l’œuvre ; et le prêtre commercial, élu des siens, tiendra registre exact des intérêts industriels de sa commune, saura chaque jours ceux qui sont privés de moyens d’existence. A lui viendront les pauvres ouvriers et les négocians qui sollicitent et offrent la façon, et dans chaque localité, constamment on tiendra prêts des travaux utiles à tout le monde, faciles et toujours accroissant la prospérité de l’endroit ; travaux à bon prix, de manière que l’industriel, s’y livrant, y gagne sa vie, et passe dire au capitaliste qui voudrait le serrer à la gorge dans les temps mauvais, et lui marchander la journée : Merci, je m’en vais à mon prêtre ; il me fournit [2.2]travail à meilleur taux, et je ne suis plus dans la nécessité de prendre le vôtre ou de mourir de faim ; merci.

Ayant telle organisation en France, vous ne craindrez plus ni interruptions, ni inégalités capricieuses dans les opérations, ni chute d’une branche d’industrie par laquelle sont dépostés les pauvres ouvriers, et jetés, misérables, sur la place ; ainsi 28 millions d’hommes ne vivoteront plus au hasard et n’auront que faire de se coaliser, et les préfets pourront dormir.

De plus, à côté de cela vous élèverez des établissemens de secours publics pour les vieillards, les infirmes, les malades, les enfans abandonnés, que le prêtre industriel vous fera connaître, et vous serez délivrés du paupérisme, des monts-de-piété et des bureaux de bienfaisance ; trois fléaux, les deux premiers surtout, qui vont corrompant le peuple et l’excitant au mal.

Ainsi se réaliseront les saintes inspirations de la Convention dans les décrets du 28 juin et 8 messidor 17931 ; car elle avait eu souci des malheurs du peuple, cette grande Convention, que MM. les doctrinaires calomnient, eux, petits, ne pouvant saisir l’immensité de son œuvre ; mais le monde, que sa mais a lancé sur la tangente de l’avenir, roulant sans dévier, docile à l’impulsion qu’elle seule pouvait oser lui imprimer, témoigne assez de la sainteté de ses intentions ; et vos monarchies, qui voudraient bien enrayer le monde, se jetant au devant, seront écrasées chétives !

F. C.

Notes de base de page numériques:

1. Référence une nouvelle fois ici à la Constitution de l’an I (juin 1793).

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique