L'Echo de la Fabrique : 1 décembre 1833 - Numéro 48

Nous insérons la lettre suivante que nous ont adressée MM. les maîtres charrons. – Nous attendons, pour donner les observations que cette lettre nous a suggérées, que MM. les ouvriers nous aient donné leur réplique, pour laquelle ils nous ont demandé place dans nos colonnes.

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Dans l’intérêt de la vérité, de la justice, nous vous prions d’insérer dans votre prochain numéro la présente lettre.

Nous avons tous été peinés de la tournure que l’on a donnée à notre démarche auprès de M. le maire ; voici les faits tels qu’ils se sont passés. Nous n’avons point accusé les ouvriers charrons de complot politique ; la plupart d’entre nous ne connaissent et ne se mêlent jamais de gouvernement ; notre visite a eu pour unique but de demander liberté pour tous, et de réclamer assistance de l’autorité en faveur des ouvriers qui, comprenant mieux leurs intérêts, voudraient travailler en sûreté. D’après cette déclaration, vous voyez, monsieur le rédacteur, que ce n’est point une dénonciation, ainsi qu’on a semblé l’insinuer.

Nous allons mettre sous vos yeux la position des ouvriers et la nôtre : ici, la tâche est facile à remplir.

Presque tous, nous avons fait notre tour de France ; les mêmes maux, nous les avons endurés ; seulement, c’était la privation de travail qui causait les nôtres, et pourtant le prix de nos journées était généralement moindre ou au plus égal à celui du moment actuel, la nourriture était presque toujours plus chère que pendant les deux années qui viennent de s’écouler. Il est un conseil de père que nous adressons à nos ouvriers ; ce serait de quitter cette habitude qu’ont la plupart de faire le lundi ; ils y trouveraient une double économie, celle de la journée perdue et celle d’une dépense ordinairement plus forte ce jour-là ; nous croyons de plus que leur moralité y gagnerait quelque chose.

Ainsi, monsieur le rédacteur, nul ne peut mieux que nous connaître la position de l’ouvrier, puisqu’elle a été la nôtre et qu’elle sera la leur dès le jour où ils deviendront maîtres à leur tour. C’est alors qu’ils verront mieux notre position, nos responsabilités et nos devoirs envers l’ouvrier ; enfin ils reconnaîtront que leur intérêt est lié au maître par un si grand rapprochement, que la distance en est des plus petites.

On a annoncé que nous faisions des bénéfices énormes ; ici il y a ignorance totale des faits : sur environ soixante-dix maîtres charrons qui exercent à Lyon et dans ses faubourgs, il serait difficile d’en citer plus de huit ou neuf qui aient acquis une honnête aisance ; mais en [5.2]revanche, on en compte vingt-cinq qui ont fait la triste expérience que les bénéfices à réaliser n’étaient pas énormes, puisqu’ils ont été contraints de fermer boutique. Neuf d’entre eux travaillent encore dans nos ateliers, et nous vous prions d’observer en passant que ce sont eux qui tiennent le plus à l’opposition.

Nous faisons remarquer qu’il y a eu erreur dans l’évaluation des journées ; des charrons peuvent gagner, soit aux pièces, soit à la journée, depuis 2 fr. 50 c. jusqu’à 4 à 5 fr., en proportion de leur activité et de leurs talens. Ainsi, en n’admettant pas les prétentions de nos ouvriers, nous pensons que personne ne nous taxera d’égoïsme ou de mauvaise volonté. Ces messieurs savent aussi bien que nous (et c’est là une raison pour que l’accord, qui a duré jusqu’à présent entre nous, se continue), ils savent, dis-je, que nous avons à soutenir une double concurrence : celle des environs, pour le gros charronnage, et pour la carrosserie, et celle de Genève, qui, pour utiliser ses produits, se sert de la voie de la contrebande.

Avant de terminer notre exposé, M. le rédacteur, nous faisons connaître que le sort de nos ouvriers ne nous a jamais été indifférent ; car antérieurement quelques-uns de nous avaient fait la proposition d’une souscription entre maîtres, dont le produit serait destiné à faire apprendre à nos ouvriers la lecture, l’écriture, les droits et les devoirs du citoyen.

Nous formons des vœux pour que l’accord se rétablisse, nous proposons même de nommer cinq membres chargés d’empêcher les injustices ou les diminutions de salaire.

Nous désirons qu’on trouve dans nos explications franches et toutes bienveillantes le gage d’une paix que nous désirons tous.

Recevez, M. le rédacteur, nos salutations sincères.

(les délégués de tous les maîtres charrons de la ville et des faubourgs.)

(Suivent les signatures.)

 

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