L'Echo de la Fabrique : 1 décembre 1833 - Numéro 48

Voici venir les jours d’hiver, temps de misère et de souffrance pour le pauvre ouvrier… Bientôt la rigueur du froid ajoutera ses angoisses à celles qui le dévorent et lui arrachera ses dernières ressources… Et tandis qu’il gémira dans son triste asile, que ses membres glacés se raidiront en luttant contre un pénible travail, tandis que sa femme, pressant dans ses bras ses enfans engourdis, s’efforcera de leur rendre un peu de chaleur et de vie !… le riche organisera ses fêtes et ses plaisirs. Il lui faut des spectacles, des bals, des jeux, des concerts, pendant cette saison du deuil de la nature. C’est alors qu’il déploie son luxe superbe, qu’il cherche à s’entourer de toutes les jouissances qu’il peut se procurer pour de l’or. – Et des milliers d’infortunés manquent autour de lui des premières nécessités de l’existence ! Et pourtant ils ne sont pas tous durs, impitoyables, ces heureux de la terre que l’on accuse et que l’on envie ; il en est dont le cœur généreux voudrait secourir toutes les infortunes, soulager toutes les douleurs. Mais que peuvent leurs vains efforts contre les calamités, les fléaux qui ravagent le monde ?… Ils donnent, ils font l’aumône. – L’aumône ! Ah ! ce n’est pas avec l’aumône qu’on peut établir le bien-être, arrêter le torrent des vices destructeurs ! – L’aumône, trop souvent dégrade, flétrit l’âme de celui qui la reçoit, et ses bienfaits passagers n’offrent point d’avenir.

Voila notre civilisation tant vantée ! voila tout ce qu’elle a su produire : le désordre et l’injustice. – Voila tout ce que peuvent nos gouvernemens si chèrement payés ! voila tout le fruit de nos fastueux sentimens de philantropie… Cruelle déception !

Le mal est-il donc sans remède ? Faut-il désespérer de le voir finir un jour ? Sommes-nous voués à son odieux empire ? – Cette pensée serait injurieuse au Créateur. Non, il est un moyen d’en délivrer la terre, de la régénérer par la justice et le bonheur. Ce moyen, Charles fourier l’a trouvé : c’est l’ASSOCIATION HARMONIENNE C’est elle qui doit assurer à tous, par un travail plein de charmes, la possession, l’indépendance et la moralité. C’est elle qui doit, comme un baume réparateur, comme une sève vivifiante, rendre la vie à tous les rameaux desséchés, et leur faire porter d’heureux fruits. – Des expositions publiques de théorie sociétaire ont eu lieu à Paris et dans plusieurs villes de France, où cette doctrine a trouvé un très grand nombre d’adhérens. A Lyon, un disciple avoué du maître (M. Berbrugger), dans un cours analytique de réforme industrielle, nous en a fait comprendre toute la portée, et a laissé parmi nous les bases d’une école qui doit avoir des réunions suivies. La société de civilisation la propage, et bientôt cette science si féconde sera le lot du genre humain. Enfin, une application réelle, expérimentale, se prépare à Condé-sur-Vesgre, [7.1]près de Paris, pour recevoir, au printemps prochain, son plein développement.

Mais, en attendant un résultat dont les bienfaits ne nous appartiennent encore qu’en espérance, ne pourrions-nous pas essayer quelque association charitable pour adoucir, autant que possible, l’affreuse misère qui pèse sur l’indigent ? Ce froid qui s’avance, si dur à supporter, n’est-il point de moyen de lui en diminuer la souffrance ? Des chauffoirs publics, établis dans cette grande cité, pourraient recevoir les plus nécessiteux. On pourrait y faire des distributions de soupe, y introduire même le travail. Sans doute, il ne serait pas attrayant ; notre ordre subversif en a fait un supplice que le malheureux n’accepte que par nécessité ; mais il serait productif, et les personnes chargées d’y pourvoir s’efforceraient d’y faire régner du moins l’ordre et la propreté. C’est aux femmes à répondre à cet appel, elles dont l’âme sensible et compatissante est si dévouée pour le bien, si ingénieuse à en trouver les moyens favorables ; ce serait par leur douce influence, plutôt que par des mesures de rigueur, que l’on y établirait un sentiment de moralité et de bonnes mœurs. Des dames formant un comité, d’un nombre égal à la division qui serait adoptée, réussiraient promptement à l’organisation de cette association bienfaisante. L’examen de cette simple proposition peut conduire un esprit appréciateur à quelques données sur les économies et les avantages immenses que produirait l’association générale du genre humain, dans tous les rapports sociaux et toutes les branches de l’industrie, bases de l’ASSOCIATION HARMONIENNE.

(Une Phalanstérienne.)

 

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