L'Echo de la Fabrique : 15 décembre 1833 - Numéro 50

 

Extrait du National.

Nous empruntons ce qui suit au National qui, ce nous semble, a beaucoup mieux étudié le peuple, que ne l?ont fait M. dupin et les siens, tous gens de beaucoup d?esprit sans doute, mais dont l?esprit n?est plus de ce siècle ; fait suffisamment attesté par la peine grande que se donnent tous ces savans personnages à rejeter sur l?anarchie, la mauvaise presse, etc., la cause de la manifestation des prétendus besoins du peuple d?aujourd?hui.

« À titre de savant, M. Ch. Dupin s?est chargé d?embrouiller une question fort simple, en mettant au nombre des propriétaires les familles campagnardes dont la contribution foncière est de 20 fr. et au-dessous, dans l?espérance de les séparer de la classe qui ne vit que de son travail, et de leur faire accroire que leur intérêt se confond avec l?intérêt que peut avoir la grande propriété à ne pas voir s?élever le salaire des ouvriers. Si M. Ch. Dupin s?était contenté de regarder bonnement ce qui se passe dans le département où il est né, qui ressemble à la plupart des départemens de la France, il se serait aperçu que le bon sens y a classé la population vivant de son travail sous trois dénominations qui indiquent leur position réelle, savoir : les gens à gages, les ouvriers et les journaliers.

Les gens à gages se louent à l?année, soit chez les possesseurs de terres, soit chez les fermiers. Outre leurs gages, on les nourrit, on les loge, car ils n?ont pas de domicile à eux ; comme ils doivent tout leur temps à celui qui les a loués, leur existence n?est fondée que sur leur travail.

Pour les ouvriers charpentiers, menuisiers, maréchaux, occupés à la campagne, ils sont dans la même situation que les ouvriers du même état employés dans les villes ; à cette seule différence que les maîtres les logent et les nourrissent souvent, parce qu?on trouve dans peu de villages des chambres en location. Si ces ouvriers sont propriétaires quelque part, ce n?est certainement pas du revenu de leur propriété qu?ils vivent.

Reste les journaliers, qui presque tous possèdent une maisonnette, une chaumière et quelques morceaux de terre ; ils sont réellement attachés au sol, et paient une contribution foncière ; nous verrons bientôt à quelles conditions. Leur titre de journalier indique suffisamment que le travail sur lequel ils peuvent compter est plus incertain que le travail des gens à gages et des ouvriers, sans leur être moins nécessaire.

Ce sont ces journaliers propriétaires, leurs femmes et leurs enfans, qui voyagent en troupes dans le temps des moissons et des vendanges, pour occuper leurs bras moyennant un faible salaire, mais toujours à la condition [4.2]d?être nourris, afin de ménager, pour leur retour, les produits qu?ils ont récoltés chez eux. L?argent qu?ils ont gagné, et qu?ils remportent, leur sert presque toujours à payer leurs contributions.

Il en est de même des enfans de l?Auvergne et de la Savoie, qui viennent à Paris et dans les grandes villes employer leurs forces et leur intelligence au service de tout le monde, quoiqu?ils soient fils de propriétaires, c?est-à-dire, des gens qui possèdent une maison payant l?impôt foncier. S?ils n?en avaient pas, ils ne trouveraient pas à se loger. C?est cette impossibilité qui porte l?excédent de la population des campagnes dans les villes, qui leur offrent toujours l?espérance de pouvoir s?y placer.

Nous nous sommes engagés à montrer quel est trop souvent le sort des villageois qui, propriétaires territoriaux, paient 20 fr. de contribution et au-dessous. Au-dessous est le plus grand nombre.

Un journalier est à son aise lorsqu?il possède une maison de la valeur de 1,200 fr., y compris le peu de terre qui en dépend ; mais cette aisance tient entièrement à son travail. Qu?il meure et laisse trois enfans en bas âge, une succession est ouverte. Pour cette succession, il faut élire une tutelle, faire autant d?actes notariés, remplir autant de formalités que pour tout autre succession, et payer des droits d?enregistrement dans la proportion du bien. Le défunt n?a pas laissé d?argent, et nous admettons qu?il n?avait pas de dettes. Le notaire se charge de tout, fait les avances pour ce que réclame le fisc, et tient un compte dans lequel il ajoute l?intérêt légal de l?argent qu?il a déboursé jusqu?à la majorité des enfans. Que deviennent-ils, en attendant ? La charité de quelques propriétaires du même genre ou de quelque fermier s?en charge et les emploie ; car, à la campagne, les enfans servent de bonne heure.

A défaut, des mendians du pays s?en emparent pour s?en faire des compagnons productifs. A mesure que leurs forces se déploient, ils entrent en service pour leur nourriture et leur entretien, Enfin, ils obtiennent des gages ; l?argent qu?ils reçoivent, ils le portent chez le notaire qui fait leurs affaires, et il n?est pas rare qu?à l?époque où ils sont entièrement libérés, leur portion d?héritage leur coûte plus que s?ils l?avaient achetée. Telle est l?histoire trop réelle d?une grande partie des familles que M.Ch. Dupin compte au nombre des heureux propriétaires. »

 

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