L'Echo de la Fabrique : 22 décembre 1833 - Numéro 51

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

On ne cesse de nous effrayer de la prétendue concurrence étrangère, et chaque jour mes confrères et moi sommes victimes de ces manœuvres contre lesquelles il est temps enfin qu’on se tienne en garde. Le fait suivant vient à l’appui de ce que j’avance.

Il y a peu de temps que je montai un article nouveau créé par une maison de fabrique et qui nécessita de ma part plusieurs jours d’essai et de démarches pour l’amener à perfection. Sur ces entrefaites, et je ne sais par quel moyen, un fabricant concurrent trouva celui de copier l’article, et l’offrit à la vente à quelques centimes de moins que la maison créatrice, qui avait nécessairement fait des frais, et qui comptait sur la réussite pour les rembourser. Trompé dans sa spéculation, le fabricant, qui ne veut rien perdre, ne trouva pas de meilleur moyen, pour s’en tirer, que de diminuer à ses ouvriers 10 c. par aune, et soutenir ainsi la concurrence de son plagiaire. Force fut à nous, pauvres diables, qui avions disposé nos métiers, de subir cette diminution au risque de faire de nouveaux frais. Voila, monsieur, cette terrible concurrence étrangère dont on cherche à nous effrayer, mais dont nous ne sommes pas dupes, et que nous sommes décidés à combattre à outrance par notre propre force, puisque nos administrateurs ne font rien et ne veulent rien faire pour protéger les intérêts de la classe nombreuse de nos travailleurs, dont ils ne s’occupent que pour les charger d’impôts.

Ce déplorable état de choses nous confirme de plus en plus dans la croyance qu’une jurisprudence écrite est indispensable, parce que nous espérons que par elle on pourra prévoir et décider que le prix d’un article, une fois établi, ne devra plus diminuer, et par là un chef d’atelier aura la certitude de rentrer, par son travail, dans les frais toujours très onéreux qu’il fait pour monter un genre à un prix quelquefois assez minime, et qu’il se voit trop souvent obligé de diminuer à la seconde pièce pour soutenir, d’après le dire du fabricant, la concurrence étrangère, ou, pour parler plus juste, celle de son adroit voisin.

Agréez, etc.

C........t, chef d’atelier.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique