Réponse à M. mazel jeune.
(Voyez le dernier numéro.)
Si M. Mazel n’avait pas poussé si loin la manie de présenter comme sienne la chose qui ne lui appartient pas, et si lui et les siens n’eussent pas saisi toute espèce d’occasion pour tromper la bonne foi des hommes que ce qu’ils appellent un système nouveau avait pu grouper autour d’eux, nous eussions, comme par le passé, gardé le silence sur cette branche de commerce assez lucrative du reste pour ceux qui n’ont pas même le petit mérite de l’avoir inventée, et nous l’eussions laissée périr de sa bonne mort.
Mais voici qu’enhardis par le silence de la presse, MM. de la Société d’Echanges s’en vont disant : les uns qu’ils sont disciples de Fourier (et M. Mazel ne niera pas qu’il ne nous ait tenu ce langage à nous personnellement) ; les autres qu’on ne peut arriver à la réalisation de son œuvre qu’en passant par l’échange, et puis de crier [5.1]bien fort aux oreilles de gens qui ne connaissent pas cet homme dont le nom a une grande célébrité ; de lui crier, disons-nous, de se garder des erreurs dans lesquelles sont tombés ses confrères les économistes, qui ont touché la plaie sans indiquer le remède. Comme s’il y avait quelque ressemblance entre la science des économistes et la découverte de M. Fourier ! Comme si M. Fourier avait des confrères !!!!… Halte-là, MM. de l’échange. Plus loin vous ne pousserez l’audace et la niaiserie de vos prétentions ; ne sentez-vous pas déjà le masque s’échapper de vos visages ?
Dans notre N° du 3 novembre 1833, un écrivain de talent et de mérite, et que nous sommes heureux de compter au nombre de nos amis, avait donné quelques considérations sur l’Association commerciale d’échanges. De sa part c’était œuvre de conscience, et il était mu par une pensée grande et généreuse, certainement très éloignée du but que s’est proposé M. Mazel, le gérant de cette Société. Il en avait bien compris le mécanisme, mais faussement apprécié les conséquences comme l’application, et nous croyons pouvoir dire ici qu’il n’entend en aucune façon partager la solidarité de l’œuvre d’un homme que nous croyons ménager en l’appelant charlatan.
Quelques jours après nous avions reçu d’un écrivain qui nous est inconnu, et dont l’article signé X. se trouve inséré dans notre numéro du 24 novembre du même mois, des réflexions très justes, et que nous adopterions volontiers si elles ne contenaient cette pensée : qu’il est impossible de mettre en relations directes le producteur et le consommateur, et de déterminer d’une manière équitable la valeur des produits. – C’est à ces réflexions que M. Mazel veut bien croire avoir répondu d’une manière victorieuse, et pour cette raison sans doute qu’il somme leur auteur de poser son nom en face du sien. Voyons si cela en vaut la peine.
C’est à tort que M. Mazel prétend que M. X. a trouvé le système d’échanges séduisant, et nous avons peine à croire que les vingt mille chefs de famille dont parle ce monsieur, soient bien satisfaits d’avoir été ainsi séduits par lui. – C’est encore à tort qu’il prétend que M. X. est convenu de la nécessité de ce système, car rien dans sa lettre ne donne droit à cette assertion, du reste assez maladroite. – Mais passons à ce qu’il peut y avoir de sérieux en apparence dans cette épître singulière.
Par exemple, dit M. Mazel, M. X. trouve mauvais qu’il y ait trop de médecins à l’échange ; et nous, au contraire, d’accord avec les cordonniers auxquels nos médecins ont donné leurs soins, nous avons trouvé très bon que les bottes faites par nos cordonniers aient chaussé les menuisiers qui ont fait des meubles pour nos cordonniers, lesquels ont refait des bottes en échange, qui ont chaussé des épiciers, lesquels ont encore fait des bottes et auraient ainsi continué in secula seculorum, si le cuir ne leur eût pas manqué, ou que le corroyeur ne fût pas sujet à être malade.
En vérité, cette manière de rétorquer un argument est plaisante ! Mais nous voudrions bien savoir comment il demeure prouvé qu’il n’y ait pas trop de médecins à l’échange, et surtout quels sont les moyens que M. Mazel prétend employer pour équilibrer les rouages de sa machine et faire qu’elle ne soit pas trop et toujours embarrassée, soit de médecins ou d’avocats, ou de tous autres hommes trop nombreux dans une profession quelconque, et par conséquent souffrans ?
Plus loin, le gérant de la société d’échanges se plaint qu’une moitié de la justice de Lyon ait été favorable par ses lenteurs à ceux qui refusent l’exécution de leurs engagemens d’échanges, tandis que celle de Paris les a condamnés. – Mais ce qu’il ne dit pas et ce que nous [5.2]allons apprendre à nos lecteurs, c’est d’abord : – Que la moitié de la justice de Lyon dont il ne se plaint pas est un juge de paix, celle dont il se plaint est un tribunal qui l’a condamné ;
Attendu que les débats du procès avaient clairement prouvé qu’il y avait déficit dans la propriété des adhésionnaires, et que de leur part le refus de livrer des marchandises à la société était pleinement justifié par ce déficit, qu’au surplus, M. Mazel chercha, dans cette circonstance, à faire considérer comme une chance commerciale devant être supportée par les adhésionnaires et la société. – Que M. Mazel cesse donc de faire l’étonné de ce que de semblables moyens n’ont pas été admis par le tribunal. – Convaincu de malversation, il aurait dû avoir la voix moins haute et moins hardie, et se rappeler les conclusions de Me Périer, plaidant contre lui dans cette affaire, conclusions que nous lui remettons aujourd’hui sous les yeux :
« Il faut, disait Me Périer, il faut, une bonne fois pour toutes, leur ôter l’envie, à MM. de la Société des échanges, de venir se pavaner à votre audience, défier les regards qu’ils devraient éviter, et insulter à ceux dont ils ont dévoré les ressources et consommé la ruine. »
(em>Tribunal de commerce.)
L’objection prise de ce que l’administration de l’échange aurait besoin de quatre pour cent en numéraire sur la valeur des échanges qu’elle procure, prouve, au contraire, qu’elle a résolu les 96/100e des conditions du problème, et le numéraire n’étant exigé que pour les frais de justice, patente et poste aux lettres, il s’en suit que le consentement du gouvernement et de la justice suffit seul à la résolution intégrale du problème de l’échange.
Il faut en convenir, M. Mazel est bien malheureux en solutions, et, soit dit en passant, il cote un peu haut les frais de justice, de patente et ports de lettre.
Mais voulez-vous savoir comment ces messieurs ont résolu 96/100e du problème ? Eh bien ! Attention à ce petit calcul pris dans l’article inséré le 3 novembre, et que M. Mazel adopte aujourd’hui comme sien :
Supposons cent travailleurs ainsi associés.
Aujourd’hui le premier délivre au deuxième une valeur en marchandise ; celui-ci remet au troisième pareille valeur en échange ; cet autre au quatrième ; si dans le jour vingt-cinq mutations se sont succédé, et que chaque mutation coûte aux échangistes 4 p. 0/0, la Société aura encaissé par ce droit de courtage 100 p. 100.
CENT pour CENT ! Entendez-vous, lecteurs ? Comprenez-vous la philantropie de MM. de la Société d’échanges ? – Comprenez-vous leur mépris pour l’argent, à ces beaux messieurs qui arriveraient très promptement à s’emparer de tous les capitaux, si les hommes d’aujourd’hui devaient se laisser prendre à leurs filets ! – Et maintenant comprenez-vous à quel taux peut s’élever le mince bénéfice que doivent ainsi prélever ces messieurs sur les 22,000 adhésionnaires chefs de famille dont parle M. Mazel ? – En vérité, pour des frais de justice, de patentes, et de ports de lettres, voila un assez honnête POUR-BOIRE !
A présent voulez-vous savoir comment se fabrique une association d’échanges ? Eh bien ! Nous allons vous le dire :
On prend un millier de feuilles de papier environ, on écrit en tête de toutes ces feuilles : MILLE EMPLOIS LUCRATIFS A OBTENIR moyennant un apport de 500 francs et un certificat de bonne vie et mœurs ; puis on barbouille le restant de la feuille ; alors se présentent quelques dupes, on remet la main à la plume, et on fabrique des bons d’échanges, puis on tire à droite et à gauche, et puis le gâchis se forme ; mais… gare le jour du jugement !
Voulez-vous savoir encore comment on propage la [6.1]divine science ? Nous avons entre les mains un échantillon de la méthode que nous allons vous communiquer. – Mais nous recevons à l’instant une lettre qu’on nous prie de publier et qui donne tous renseignemens sur ce fait ; nous vous la soumettrons dans notre prochain numéro.
En attendant, nous rappelons à M. Mazel que nos colonnes lui sont ouvertes, et que nous sommes prêts à faire droit à ses réclamations.