L'Echo de la Fabrique : 5 janvier 1834 - Numéro 53

 

Nous avons lu dans le journal le Bon Sens un article que nous reproduisons aujourd’hui, moyennant quelques coupures que nous avons cru devoir faire, depuis surtout que le Journal du Commerce nous a fait savoir qu’il avait quitté sa plume pour l’honorable emploi de portier de M. le procureur du roi, chargé par conséquent du nous lire et d’éveiller la susceptibilité de son maître. – Au surplus, en l’an de grace 1834, il est encore défendu [5.2]à tous Français qui n’ont pas versé quelques milliers de francs dans les caisses du fisc, de parler et des hommes qui gouvernent leur pays, et de leur façon de gouverner. – Ainsi attendons ; patience, et puis nous verrons.

« La chambre des députés, nous l’avons dit cent fois, représente des intérêts spéciaux qui doivent nécessairement souffrir de tout changement introduit dans notre système financier, de toute amélioration apportée dans l’assiette et le mode de répartition des charges publiques. Cette raison suffit pour faire regarder comme fort difficile, nous devrions dire comme impossible, toute modification profitable au bien-être des masses.

Taxes indirectes, priviléges, monopoles, système des douanes, tout est à détruire, tout est à refaire, et cependant, quelle qu’en soit la nécessité, comment espérer que satisfaction sera donnée, sous ce rapport, aux exigences de l’opinion publique, lorsqu’il est malheureusement avéré qu’on ne peut rien obtenir que par la loi, et que la loi est faite par ceux-là même qui profitent des abus ?

[…]

L’agriculture souffre-t-elle de ce que les fers sont en France à un prix trop élevé ? Demande-t-elle que les tarifs protecteurs qui empêchent l’introduction des fers étrangers soient abaissés ou supprimés ?

L’industrie se plaint-elle de ce que le prix du combustible empêche les manufactures françaises de produire à bon marché, et de livrer à la consommation tous les produits qu’elle pourrait absorber ? S’indigne-t-elle de ce que, pour protéger les propriétaires des houillères françaises, on empêche l’introduction des charbons étrangers ?

L’ouvrier, le prolétaire réclament-ils contre les tarifs énormes qui frappent l’introduction des bestiaux étrangers, et font payer la viande de boucherie le double de ce qu’elle vaudrait si les tarifs n’existaient pas ?

Qui consulte-t-on pour savoir ce qu’il faut faire en pareille occurrence ? On consulte une assemblée qu’on décore du beau titre de comité général d’agriculture, des manufactures et du commerce ! on fait une espèce d’enquête à huis-clos, et on la proclame ensuite comme l’expression fidèle, désintéressée des vœux du pays !

On bâtit sur cette enquête des projets de loi, on les porte devant les chambres qui votent par acclamation ; et la loi, ainsi préparée, ainsi discutée, est proclamée loi du pays, loi conforme aux vœux nationaux librement et solennellement manifestés.

Après cela, qui oserait dire que le pouvoir n’a pas consulté l’opinion publique, qu’il ne s’est pas entouré de tous les documens, de tous les renseignemens qui pouvaient éclairer sa décision ? qui oserait prétendre qu’il n’a pas procédé par enquête ? qui oserait soutenir qu’il n’a pas déféré à la volonté du pays ?

Et voila comme on traite, le peuple ! voila comment on se joue de sa longanimité ! voila comme on prétend lui imposer le joug de la volonté générale !

Mais ce peuple n’est pas dupe des pièges grossiers qu’on tend à sa bonne foi : et, s’il ne siffle pas la ridicule comédie qu’on joue devant lui, et à ses dépens, c’est qu’il craint le désordre qui pourrait en résulter ; et il le craint parce que l’expérience est là pour lui rappeler que, dans les commotions sociales, c’est toujours lui qui est la dupe, c’est toujours lui qui tire les marrons [6.1]du feu ; mais, qu’on ne s’y fie pas, il pourrait bien un beau matin les tirer pour lui-même.

Ne sait-il pas, le peuple, que ce prétendu conseil général, appelé à le représenter dans les questions qui touchent aux intérêts de l’agriculture, du commerce et des manufactures, se compose exclusivement de délégués appartenant aux classes qui l’exploitent, aux classes qui vivent de priviléges, de monopoles, aux classes protégées par les tarifs ?

Ne sait-il pas, le peuple, que ce conseil tient ses séances à huis-clos, et qu’elles seraient publiques, si elles étaient destinées à des discussions générales ? Ne sait-il pas que, sur 138 membres dont se compose cette assemblée, les 30 représentans du conseil d’agriculture sont choisis par le ministre ; que, sur 60 membres formant le conseil des manufactures, les chambres consultatives des villes manufacturières n’en désignent que 20, et que les 40 autres sont à la nomination du pouvoir ? Ne sait-il pas, enfin, que les 48 membres du conseil de commerce sont désignés par des chambres de commerce élues par des notables désignés par les préfets ?

[…] »

 

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