On nous prie d’insérer la lettre suivante :
Au Rédacteur.
Lyon, le 12 janvier 1834.
Monsieur,
Je vous prie d’insérer ma présente dans votre prochain numéro.
Quoique dévoué aux institutions desquelles nous tenons chacun les devoirs que nous nous devons mutuellement, je dois envers mes concitoyens garder ma promesse et livrer à la publicité les motifs qui m’ont forcé d’avoir des contestations avec la maison Grillet et Troton, et quelle justice en a réglé les différens. Je ne laisserai point ignorer que depuis plusieurs années je travaille pour la maison Ajac, où M. Troton est entré premier commis, ce qui me donna lieu d’adhérer à travailler pour lui. Comme il allait se mettre à son compte, il me soumit d’abord des conventions qui me parurent assez favorable, mais que la suite du temps m’apprit à juger autrement ; tel qu’une fois ces messieurs envoyèrent un commis à la maison pour voir ou emporter ce qu’il y avait de confectionné ; n’ayant point de schall coupé et préparé à rendre, ce commis se livra à des propos les plus abjects, oubliant l’honneur, le devoir qu’on doit dans la société. Je me tus néanmoins, et me contentant de l’accompagner, sur réserve. Je me rendis quelques jours après au magasin, où je m’expliquai avec M. Troton sur la conduite furibonde de son commis, et le priai instamment de ne pas me le renvoyer. Depuis ce moment, toutes les fois que je rendais ou faisais rendre de l’étoffe, la fabrication était répudiée, jugée inférieure : donc on me marquait rabais, raccommodage à volonté. Alors convaincu d’une injustice aussi notable, je fus contraint de faire comparaître M. Troton au conseil des prud’hommes ; là j’y formai ma demande à pouvoir rompre toute convention, s’il était possible, d’après toutes les disgraces que j’éprouvais, représentant mon livre qui confirmait leur vrai plaisir de tout marquer à mon détriment. Le conseil ne s’occupa que de la forme de nos conventions, envisageant toujours l’exposé de M. Troton qui affirmait que sur 100 louis de façons faites, je n’avais que trois francs de rabais, tandis que si on eût examiné mon livre et mon compte, à la même date, on aurait trouvé douze francs au lieu de trois francs. Mais bref, je fus attéré, et de la mercuriale que je recevais aussi gratuitement du président en face d’un public nombreux, et du mensonge qui prenait consistance auprès du conseil : alors on me condamna à payer une indemnité de 800 francs à MM. Grillet et Troton pour la non exécution de nos conventions. Cependant mes quatre métiers ont continué de travailler jusqu’au huit du présent mois ; me voyant ainsi jugé, il me restait alors de me référer au tribunal de commerce : mes moyens de défense furent présentés par un avoué qui, avant toutes choses, m’assurait un gain de cause infaillible. Eh bien ! devant le tribunal, il s’est borné à divaguer en répétition de mots qui ne se rattachaient nullement à la défense de mes droits. Le tribunal prononça la confirmation du jugement de prud’homme et à payer les frais de la procédure. Ce fut ainsi que, courbant sous le joug d’une prévention dont je n’avais point à rougir, je me suis empressé d’acquitter la dette que la loi m’a imposée, le onze courant ; néanmoins en ma qualité d’ouvrier, j’ai demandé à mon adversaire de me faire une déduction sur la somme prescrite : il m’a proposé qu’à cette condition, je signerais un écrit qui, selon moi, en l’acceptant, me vouait à l’humiliation et me forçait au silence. Repoussant leur épreuve, j’ai offert quatre cents francs, plus, les frais payables de suite. Ils ont accepté ma proposition, craignant que je ne veuille ou ne puisse les payer s’ils attendaient davantage. Tel est le récit exact de ma hardiesse à me plaindre de la malignité et de l’injustice des hommes.
Recevez, monsieur le rédacteur, l’assurance de ma parfaite considération.
chapeau (Antide.)