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2 février 1834 - Numéro 57
 

 




 
 
     

La santé de M. bernard ne lui permettant pas de conserver la gérance de notre journal, les actionnaires avaient appelé à lui succéder M. matrod, chef d’atelier, homme plein d’énergie, de loyauté et de patriotisme ; mais M. Matrod, n’étant pas né Français, n’a pu être reconnu comme gérant par la loi.1

Dans ce cas, la loi a-t-elle été juste ? Telle est la question que nous posons à nos concitoyens en l’appuyant des pièces au procès.

Né en Savoie, M. Matrod vint en France en 1807 et fixa sa résidence à Lyon : il était alors âgé de 16 ans. – Enveloppé par la conscription de 1809, il partit à 18 ans soldat au 134e régiment d’infanterie de ligne ; – en 1810, il était sergent de voltigeurs ; et 1814 le ramena dans sa patrie adoptive. – Enfin, redevenu soldat en 1815, il servait en qualité de sergent dans les tirailleurs de la garde et rentra dans ses foyers après les Cent-Jours.

Ainsi donc, il a depuis long-temps acquis la qualité de citoyen français. – Ses lettres de naturalisation lui ont été délivrées au nom du pays, sur vingt champs de bataille : et lorsque aujourd’hui nous voyons une loi le dépouiller de ce titre largement payé par 7 ans de rudes fatigues, pendant lesquelles sa vie fut vingt fois exposée au fer des ennemis de la France, nous n’hésitons pas à dire que cette loi est absurde et anti-nationale ; et, nous en sommes persuadés, nos concitoyens penseront comme nous.

Du reste, choisi par ses collègues actionnaires pour faire partie du comité de surveillance de notre journal, et élu président par les membres de ce comité, là du moins il pourra, sans que la loi intervienne, continuer à servir la cause au triomphe de laquelle nous nous somme tous voués.

AUX DETRACTEURS DU PEUPLE.

[1.2]C’est une chose bien singulière que l’aveuglement et la mauvaise foi de certains hommes assez haut placés dans l’échelle sociale pour qu’ils croient pouvoir nous jeter impunément à nous, travailleurs, l’insulte, la calomnie et la boue à la face. – Leur tactique à la fois ridicule et infame, ne trouve heureusement plus aujourd’hui qu’un petit nombre de dupes ; et ce n’est pas dans nos rangs que viennent faire curée MM. les chevaliers de l’ordre public !

S’agit-il de républicains ? Selon leur dire, c’est un ramassis de gens de rien, de factieux agitant aux carrefours le sanglant drapeau de l’anarchie, menaçant la société du pillage, de l’abolition de la propriété, ou encore du partage des biens (LA LOI AGRAIRE !)

S’agit-il de procès de presse ? C’est encore dans le jury que l’on va chercher des factieux, bien qu’on n’ait rien négligé pour les en écarter. – On se lamente, on jette le cri d’alarme, et puis c’est l’institution qui est mauvaise et qu’il faut réformer ! – Si l’on ose, on se jette dans une voie tortueuse, et on saisit à la gorge ce palladium de nos libertés qu’on tremble d’attaquer face à face ; et on crie bien fort que c’est au nom de la morale, de la décence et de la pudeur publiques qu’on vient l’étouffer…

S’agit-il de coalitions ? Ceci, le croiriez-vous, est encore l’ouvrage des hommes à la devise : La liberté ou la mort ! comme dit dupin, le député-président, rien que l’œuvre de ces hommes d’anarchie, au moins ! car les travailleurs sont tous gens contens de leur condition ; – toujours disposés à mendier le travail, chapeau bas, et disposés à accepter tel salaire qu’il convient à MM. du commerce de leur donner, voir même à périr de misère et de faim, quand tel est leur bon plaisir.

Supposer que les coalitions signalent quelque besoin nouveau, est, à leur sens, une grave erreur, et ils passent outre ; mais un jour vient qui voit se promener à travers les rues d’une cité la mort, puis le deuil !… Et quand l’orage est passé, on dit : L’ordre règne ! et force est restée à la loi ; et puis on court tête baissée à une nouvelle tempête, jusqu’à ce qu’enfin l’heure de la justice du peuple ait sonné !

[2.1]A ces hommes d’autrefois, nous disons : Arrière ! – L’ignorance, l’imposture et l’insolence dont ils sont pétris à notre exemple, leur crient : Retirez-vous ! laissez passer les hommes d’aujourd’hui, faites place à ceux qui, nourris au sein du peuple, ont essuyé avec lui la misère, souffert les mêmes douleurs et senti les mêmes besoins ; ceux-là sont seuls assez forts pour embrasser la grande famille sociale, comprendre et protéger les intérêts de chacun de ses membres, et donner le bien-être au peuple sans dépouiller le riche.

Nous sommes las, nous qui sommes peuple aussi, de ces grossières insultes, de cette ridicule comédie ; et dire encore que le peuple a soif de pillage et de spoliation, est une infamie qui excite notre pitié bien plus que notre indignation.

Intéressés, au moins autant que vous, à la paix et à la prospérité publique, nous respectons les droits et la propriété d’autrui, parce que nous voulons respect pour nos droits et notre propriété ! Et nous vous défions de trouver dans la vie des nations une page qui puisse accuser le peuple de les avoir jamais violés…

Mais, pour qu’il y ait paix et prospérité pour tous, il faut que VINGT-TROIS MILLIONS d’hommes cessent d’être exploités, opprimés par une poignée de privilégiés, qui n’ont, pour entretenir et augmenter leurs richesses, d’autres moyens que la spoliation de la part la plus considérable du fruit de leurs longs et pénibles travaux ; et que misère et faim soient chassées bien loin de la demeure du travailleur. – Il faut encore que ses jeunes enfans ne soient plus en naissant frappés d’ilotisme, et que l’instruction, l’éducation ne soient pas pour eux ce qu’étaient au temps de la fable les eaux du Styx, que ne pouvaient atteindre les lèvres brûlantes de tantale. Il faut enfin égalité de chances pour tous au point de départ, et qu’il n’y ait plus, sur ce vaste globe, un seul homme qui puisse dire : J’ai faim ; je n’ai pas de travail ; et pour ce soir, quand le sommeil de la douleur viendra fermer ma paupière, je n’ai point d’asile où reposer ma tête… Oh ! alors, toute lutte dangereuse aura cessé ; – plus vous ne rencontrerez de factieux sur votre chemin et vous aurez pour jamais éteint le volcan si redoutable des révolutions et des guerres intestines ! sinon malheur à vous ! malheur à tous, car les travailleurs se sont comptés, ils serrent leurs rangs et sont prêts à défendre leurs droits d’hommes et de propriétaires !

Ici, il me semble entendre MM. du privilége s’écrier : Vous, propriétaires ! ! ! – Oui, Messieurs, notre richesse à nous, aussi solide que la vôtre, c’est notre intelligence, c’est le travail, puis nos affections de famille, nos femmes, nos enfans ; car (ce qu’il semblerait que vous ignorez) nous sommes comme vous fils, époux ou pères. – Ce sol que nous foulons avec vous est notre bien comme le vôtre ; et réclamer une part plus équitable des productions que nous arrachons de ses entrailles par un travail pénible et de toute la vie, c’est justice, rien que justice !

Mais cela veut-il dire que nous ayons soif de spoliation, de pillage ?

Cela veut-il dire que nous ne soyons pas autant que vous intéressés à la paix et à la prospérité publique ?…

Et de ce qu’au contraire nous ayons toujours été les dépouillés, vous les spoliateurs, cela veut-il dire que vous appliquant la loi du talion, nous prétendions devenir oppresseurs, d’opprimés que nous sommes ?

Oh ! loin de nous la pensée d’user de dures et cruelles représailles : loin de nous l’intention de rejeter la société [2.2]dans un creuset pour l’en faire sortir vierge de tous les maux qui ont affligé et pèsent encore si fort sur cette pauvre humanité ! Nous maudirions l’auteur de semblables destins s’il nous fallait recommencer tous les siècles de misères et de fanatique ignorance dont nous avons payé si cher la longue traversée…

Ces temps ne doivent plus se renouveler ; mais il vous faut, cessant de fermer les yeux sur le mal présent, vous garder d’agiter le fantôme sanglant de QUATRE-VINGT TREIZE ; – de tracer entre les hommes encore parqués en classes diversement intéressées, une ligne que nul ne puisse franchir, car vous assumeriez sur vos têtes une responsabilité terrible ; et alors, comme à ce temps-là, ce serait encore vous qui seriez coupables mais non, le peuple qui, sachez-le bien, n’entend pas repousser le glorieux souvenir de ses pères ! Puis, il vous faut travailler avec nous à purger la société de ces hideuses plaies qui impriment un stigmate de honte au front de ce que nous appelons civilisation, et nous aider à frayer la voie pacifique dans laquelle nous ne saurions trop nous hâter de lancer le char de la régénération sociale.

Vous proclamez la liberté du commerce et vous vantez les heureux effets de la concurrence, soit ; mais le peuple, qui n’est pas même libre de travailler, veut la liberté du travail : c’est son droit ; ses besoins l’exigent. Et il appelle de tous ses vœux l’organisation qui devra lui donner toute garantie d’existence par le travail ; d’aisance, par une juste répartition des bénéfices de la production, et de paix par l’harmonie des intérêts de tous et de toutes classes.

Cette réforme, dont la nécessité ne saurait plus être un doute, aura bientôt commencé, quelques efforts que l’on puisse faire pour l’empêcher ; le peuple est maintenant trop loin de son berceau d’enfance pour qu’on puisse espérer l’y ramener, et opposer à sa marche nouvelle un rempart de bastilles, est, à notre sens, une folie pardonnable il y a un siècle, mais dangereuse et criminelle aujourd’hui.

DU MONOPOLE DES BOULANGERS.

Notre journal est consacré à la défense des intérêts des travailleurs ; il combat toutes les entraves imposées à leur industrie ; il fait guerre à mort aux priviléges, aux monopoles. Il y a quelque temps dans plusieurs numéros nous avons attaqué la corporation des boulangers ; aujourd’hui nous nous empressons d’annoncer qu’un jugement remarquable du tribunal correctionnel lui a donné le coup de mort. Ce jugement vient prêter son autorité imposante à nos articles contre les compagnies privilégiées des crocheteurs : attaquées à leur tour devant les tribunaux, elles succomberont infailliblement. Ainsi s’écroulera pièce à pièce le monstrueux échafaudage de monopole et de priviléges qui depuis tant de siècles pesaient sur la nation française. Peu à peu nous conquerrons enfin l’entière liberté des industries, liberté que la grande révolution de 89 avait bien proclamée, mais que tous les gouvernemens, qui successivement ont pressuré la France, avaient couchée sur le lit de Procuste et mutilée à l’envi. Que les tonneliers ne désespèrent pas ; ils poursuivent avec courage, plutôt dans un intérêt général que dans des vues particulières, le privilége des crocheteurs : ils le renverseront ; car toujours le droit finit par dominer la [3.1]force : la lutte entre les boulangers et les fariniers en offre la preuve.

Le sieur Pacquiet, marchand farinier, rue Vieille-Monnaie, avait été poursuivi devant le tribunal de simple police comme coupable de vente de pain en violation du privilége des boulangers ; sur la réquisition du sieur Remy, commissaire de police, le sieur Pacquiet fut condamné à cinq francs d’amende et à l’affiche du jugement ; il en interjeta appel, et voici la décision rendue par MM. pic, président ; de bellegarde et garin, juges.

Considérant que les décrets des 17 mars et 3 septembre 1791, l’art. 355 de la constitution du 5 fructidor an 3, ont rendu libre l’exercice de toutes les professions ;

Considérant que dans cet état de la législation, le métier de boulanger et la vente du pain ont pu être exercés par tous les citoyens sans distinction, et sous la seule condition de la taxe, comme le porte l’art. 30 de la loi du 22 juillet 1791 ;

Considérant qu’à une époque où le pouvoir législatif existait dans la main du chef de l’état, le monopole de la profession de boulanger a été rétabli dans plusieurs localités, et notamment à Lyon, par le décret du 6 novembre 1813, qu’ainsi la vente du pain a été interdite à tout individu qui n’était point boulanger, et qui n’avait pas rempli certaines conditions ;

Considérant qu’en vertu de ce décret, une ordonnance du 30 juillet 1823 et divers actes de l’autorité municipale avaient réglé l’exercice de la profession de boulanger dans la ville de Lyon, et que les infractions pouvaient alors être punies de peines de simple police ;

Considérant que la Charte de 1830 ayant donné une nouvelle vigueur aux principes de liberté garantis par la loi de 1791, à toutes les industries, c’est le cas de distinguer dans le décret de 1818 et les ordonnances qui l’ont suivi, les dispositions qui tendent à fonder le monopole de celles qui règlent simplement le mode d’exercice de l’industrie dans l’intérêt de la salubrité publique et des approvisionnemens nécessaires à une grande cité ;

Considérant que les premières dispositions ne sauraient subsister comme inconciliables avec les lois de 1791 et la Charte de 1830 ; que l’autorité municipale de Lyon ne prétend plus en faire l’application, qu’elle a cessé de limiter le nombre des boulangers ;

Considérant, quant aux secondes dispositions, celles qui tendent à maintenir l’approvisionnement et à garantir la salubrité des subsistances, qu’on ne saurait douter qu’elles n’aient encore toute leur force ;

Considérant que l’art. 2 de ce décret qui assujétit les boulangers à la condition d’un cautionnement en farines, rentrant dans l’esprit général de la législation antérieure, il est indubitable qu’il a à cet égard conservé toute sa force ;

Considérant, dès-lors, qu’en admettant que la profession de boulanger, et ce qui est la même chose, la vente du pain, soit assujétie à la seule obligation d’un cautionnement préalable en farines, il en résulte que tout individu qui remplira cette condition peut ouvrir un four et vendre du pain ;

Considérant que le défaut de fourniture de ce cautionnement ne peut donner lieu à l’application que des peines prévues par la loi et dans les formes qu’elles déterminent pour obtenir une sanction efficace ;

Considérant que la simple vente du pain, ou ce qui est absolument la même chose, l’exercice de la boulangerie, soit en employant le four d’autrui, soit en employant [3.2]son four, ne doit pas être réprimée en elle-même, mais bien seulement lorsque le cautionnement n’a pas été fourni ;

Considérant que cette répression ne peut avoir lieu que suivant l’art. 16 du décret du 6 novembre 1813, et suivant les ordonnances de police, que la première partie du n° 5 de l’art. 471 autorise le maire à prendre pour l’application des dispositions subsistantes de ce décret ;

Considérant que Pacquiet n’a commis aucune contravention en vendant simplement du pain, mais bien en le débitant avant d’avoir offert et fourni son cautionnement :

Considérant qu’avant de subir une poursuite judiciaire pour ce fait, le contrevenant devait être mis en demeure et interdit provisoirement de la profession qu’il exerçait ou qu’il voulait embrasser, par un arrêté administratif ;

Considérant que l’art. 16 du décret exige cette condition préalable, que ce n’est qu’après son accomplissement que Pacquiet aurait pu être traduit devant le tribunal de simple police pour infraction à l’art. 6 ou aux ordonnances municipales qui auraient déterminé son mode d’exécution ;

Considérant que toute ordonnance municipale qui a pour objet d’interdire à tel ou tel individu, simplement la vente du pain ou la profession de boulanger, abstraction faite des conditions légales de cette industrie, est elle-même illégale, contraire aux lois des 17 mars et 3 septembre 1791, et ne trouve son fondement ni dans la loi du 21 août 1790, ni dans la partie existante des dispositions du décret du 6 septembre 1806, ni dans le paragraphe 15 de l’art. 471 du code pénal :

Par ces motifs, le tribunal dit et prononce par jugement en dernier ressort, qu’il a été mal jugé, bien appelé, émendant décharge l’appelant des condamnations prononcées contre lui.

Au Rédacteur.

Monsieur,

Veuillez, je vous prie, insérer dans votre journal ma dernière réponse à l’insolente épître du sieur Dazon, épître à laquelle je n’aurais dû répondre que par un méprisant silence : mais un soupçon de calomnie plane sur ma tête, et je dois l’en écarter. M. Dazon m’appelle ouvrier misérable, il a raison : je suis malheureux, mais ma misère est celle qui s’attache à tous les ouvriers qui, comme moi, vivent du fruit de leur labeur, et cette misère-là vaut mieux que les richesses de mon détracteur ; mais il ajoute : misérable par sa faute. Non ; par la faute des gens de son espèce : ou faute de savoir travailler, dit-il. Je ne chercherai pas à me défendre sur ce point ; car depuis dix ans je n’ai point essuyé de reproches sur ma fabrication. Comment M. Dazon ose-t-il dire à un ouvrier qu’il ne sait pas travailler, lui, mécanicien postiche, qui ne peut pas même visiter les mécaniques qui sortent de son, atelier, et qui est obligé de s’en rapporter, sur cet article, à ses ouvriers. C’est lui, alors, qui ne sait pas travailler. M. Dazon a joint à sa lettre dix signatures pour attester la bonne fabrication de ses ouvrages ; mais dans cette quête de suffrages je ne vois encore que du charlatanisme ; car je n’ai jamais dit qu’il ne fabriquait pas de bonnes mécaniques ; mais je compare son atelier à une loterie : sur 90 numéros, cinq seulement doivent sortir ; tant mieux pour ceux qui ont tiré les bons.

[4.1]Mais il n’a pas parlé des mécaniques qui lui ont été renvoyées de St-Etienne et des courses nombreuses qu’il a faites, soit à St-Etienne, soit ailleurs. Eh ! que m’importe d’ailleurs qu’il ait livré vingt, trente, et même cent mécaniques dont on ne s’est pas plaint, si les miennes ne valent rien. Je lis encore que je dois connaître la bonté de ses mécaniques. C’est un peu fort. Que M. Dazon ait dit que je suis un ouvrier misérable, que j’ai besoin d’aumône : tous les propos haineux sortis de la tête à l’Esope (pour la forme seulement) font sur moi peu d’effet ; mais oser dire que je connais la bonté de son ouvrage, ah ! M. Dazon, vous êtes un vrai farceur, et je ne m’attendais pas à cette pasquinade. Cependant, afin de terminer tous débats, je propose à M. Dazon de choisir deux experts ; moi, de mon côté, je prierai deux mécaniciens de m’assister, qui tous ensemble feront un rapport de la mécanique que j’ai à la maison ; le rapport sera livré à l’opinion publique, et s’il dépose en faveur de M. Dazon, alors je consens à être calomniateur, ouvrier misérable, et tout ce qu’il plaira à mon adversaire. Mais s’il en est autrement, ou si M. Dazon se refuse à subir cette épreuve, alors je laisserai au public le soin de juger qui de nous deux est imposteur. J’attendrai, pour cette affaire, jusqu’au 8 février, et j’en ferai connaître l’issue. Mais, jusqu’à cette époque, je regarderai comme calomnieuses toutes lettres écrites par le sieur Dazon, tendant à ternir ma réputation ou blesser mon amour-propre. Je termine en engageant mon antagoniste, ou plutôt son rédacteur, à être plus d’accord avec lui-même ; car je suis calomniateur parce que j’ai dit qu’une mécanique mal fabriquée m’avait été livrée, et cependant il est reconnu qu’elle a été changée et remplacée par une autre. Alors elle était donc irréparable, alors je ne suis pas calomniateur.

Agréez, etc.

A. noyer.

P. S. J’engage MM. les chefs d’atelier, mécaniciens ou autres qui auraient conservé contre moi d’odieux soupçons qu’aurait fait naître la lettre du sieur Dazon, de vouloir bien venir eux-mêmes visiter la mécanique, faubourg de Bresse, maison Duhamel, au 2e étage.

Note du rédacteur. – M. Noyer a certainement raison de se plaindre des choses insolentes dirigées contre lui, dans la lettre de M. Dazon. – Nous avions trouvé certaines expressions de cette lettre très inconvenantes, et nos lecteurs auront sans doute pensé comme nous : aussi nous saisissons cette occasion pour rappeler aux personnes qui désormais auraient des griefs à nous faire publier de vouloir bien ne pas sortir des convenances, que nous devons tous garder quelle que soit notre position, quelques soient les motifs qui pourraient nous les faire oublier ; les insultes ne servent pas mieux une bonne cause qu’elles ne sauraient la gagner mauvaise.

En conséquence, nous prions qu’à l’avenir les personnes qui auraient des lettres à nous envoyer, de vouloir bien nous laisser l’adresse de leur domicile, afin que nous puissions leur faire entendre nos observations, le cas échéant.

Nous avons reçu de M. jules lechevalier, le prospectus d’un journal devant paraître à la fin de chaque mois (le premier en janvier 1834), en un cahier de 6 à 8 feuilles in-8°, sous le titre de : ARCHIVES DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES1. Dans notre prochain numéro, nous ferons connaître à nos lecteurs le but de cette publication qui nous semble, à nous, devoir être d’un grave intérêt.

Des Publications Républicaines.

[4.2]MM. les gens du roi nous permettront quelques observations sur les événemens dont notre cité a été le théâtre pendant ces quinze derniers jours, nous leur promettons de ne pas parler politique : nous obéirons à cette loi si morale qui proclame la liberté de la presse et cependant nous frappe d’amende et de prison si nous abordons les matières politiques ; nous craignons la justice, nous pèserons nos paroles.

Les publications républicaines sont utiles, et nos gouvernans, que chacun sait animés d’un si vif amour du pays, devraient demander à nos improstitués une allocation de fonds pour les offrir aux crieurs à titre de prime et d’encouragement ; car tous nos gouvernans pensent sans doute, comme le doctrinaire Guizot, qu’il faut répandre l’instruction : dès-lors tous doivent y concourir, ou, ce qui est plus facile pour eux, y faire contribuer les caisses de l’état. Si ces caisses sont vides, si elles ont peine à suffire aux douze millions qui, joints eux-mêmes aux revenus des fermes, forêts et autres domaines de l’état, ne peuvent satisfaire le gros appétit de l’ordre de choses, faites-leur au moins voter des remercîmens, des éloges, voire même des poignées de mains ; venez enfin au secours des crieurs républicains ; ils répandent une sage et surtout peu coûteuse instruction. Le peuple l’a bien compris ; avide de savoir, avec quel empressement il entourait les crieurs ; comme il était joyeux d’offrir ses cinq centimes et d’en recevoir en échange un écrit lui parlant de ses souffrances, de ses intérêts et de son bien-être à venir ! Cet écrit, il le lit, le commente, le médite en famille, assis à son modeste foyer, tandis que les heureux du jour, les hommes à coffre-fort, se prélassent devant des tables chargées de mets et de vins, et d’un ton doctoral et stupide, disent : Le peuple est une bête farouche, libre de ses chaînes, il dévore. Eh bien ! cet utile plaisir lui est défendu ; cette instruction qu’on lui promet, soit aux chambres, soit dans les universités, en phrases pompeuses et mensongères, on la lui interdit. M. Chegaray, à qui il ne manquait plus que la croix pour le rendre éminemment respectable ; M. Chegaray fait poursuivre les crieurs, saisir leurs écrits et juger correctionnellement le citoyen Reverchon qui, par dévoûment, s’est rendu l’éditeur de publications populaires ; il a voulu être utile à son pays… un mois de prison, 200 fr. d’amende !… à d’autres la croix… Ils en sont les persécuteurs… M. Barthe1, ex-fanatique républicain, aujourd’hui monarchique par excellence, a présenté aux chambres un projet de loi sur les crieurs ; il est destructif de la liberté de la presse, les chambres l’adopteront, et ce peuple qu’on veut instruire, dont on dit s’occuper avec une si touchante sollicitude, se voit fermer la seule voie d’instruction qui lui fut facile ; on brise son unique tribune. Mais, qu’on le sache bien, il ne suffit pas au peuple de savoir lire et écrire, il faut qu’il connaisse ses droits et ses devoirs comme homme, comme citoyen ; il faut qu’il sache quelles formes gouvernementales peuvent lui donner bonheur et tranquillité ; il faut que ces notions élémentaires, une fois acquises, il puisse manifester son vœu. Or, comment le pourra-t-il si on ne lui apprend rien ? Comment le consulter avec fruit dans les élections auxquelles il doit être appelé, quelles qu’elles soient, si vous interdisez les seuls moyens d’instruction que lui offrent quelques citoyens généreux ? Les journaux ordinaires lui restent, direz-vous ? Chacun sait [5.1]que les journaux, grâce aux entraves fiscales dont les a chargées un pouvoir cependant si ami de la liberté de la presse, sont à un prix trop élevé et par conséquent inaccessibles aux hommes de travail ; le peuple n’avait donc que les feuilles vendues par les crieurs : ces feuilles, composées avec discernement, offraient une lecture substantielle. Ainsi, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 93, commentée par le citoyen Rion, et vendue par les crieurs de la Société des Droits de l’Homme, a dû fournir à de longues et profitables médiations. Ainsi il y a eu service rendu au peuple. Si vous supprimez ces publications, vous le laissez abandonné à lui-même et ignorant de ce qu’il ne peut ignorer sans crime. Il aura les publications de l’autorité… publications ignobles… langage de bagnes… injures dégoûtantes à tout ce qui porte un cœur généreux… publications dignes enfin de leur source impure, des bureaux de Gisquet et consorts. Voila l’aliment que vous offrez au peuple pour satisfaire à son vif amour de l’instruction. Que reprochez-vous aux publications républicaines répandues dans notre cité ? Parcourez tous les numéros imprimés jusqu’à ce jour, et dites-nous ce qu’ils contiennent de répréhensible ? Dans tous principes sages et fermes, sentimens élevés, amour du pays, fraternité des citoyens, fraternité des peuples, langage simple, clair, précis et digne. Voila ce qui apparaît à tous les yeux, ce qui entraîne la foule, la fait affluer aux crieurs républicains, et laisser isolés les crieurs d’une ignoble police. Et cependant ce sont ces publications que Barthe a voulu flétrir à la chambre des députés ! C’est contre elles qu’il invoque les fureurs des centres aveugles et dévoués ! La liberté de la presse n’est donc qu’un mot ? Sortie victorieuse des réquisitoires de tous les Persil de France, elle doit donc périr sous les coups insolens d’un carbonaro parjure ? La charte-vérité n’est donc qu’un mensonge, une déception, une amère dérision ?

Pauvre peuple ! contre toi seul est dirigé cet attentat ; tu pouvais à peu de frais avoir ton journal, tu pouvais t’instruire, tu pouvais apprécier tes gouvernons et les juger ; ils veulent échapper à ce contrôle, ils proscrivent les journaux. As-tu besoin de savoir quelque chose ? Travaille, paie, c’est là ta destinée… T’en contenteras-tu long-temps encore ?…

MM. les souscripteurs au journal dont l’abonnement est expiré, sont priés de vouloir bien le renouveler. Le bureau est ouvert tous les jours de neuf heures du matin à huit heures du soir, et les fêtes et dimanches, de huit heures jusqu’à midi.

CONSEIL DES PRUD’HOMMES,

(présidé par m. riboud.)

Audience du 30 janvier 1834.

Berger, chef d’atelier, fait comparaître Melin, qui retenait chez lui son fils après avoir quitté l’atelier de Berger, où Melin son père l’avait placé apprenti.

Après qu’il a été bien constaté que Berger avait fait l’acquisition d’un établissement dans un quartier éloigné de son atelier, ce qui lui occasionnait des absences préjudiciables à l’élève, qui restait alors sous la direction insuffisante d’un ouvrier, le conseil a décidé que l’élève rentrerait chez son maître le 15 février prochain, époque que Berger a demandée pour réunir son atelier à son établissement ; en outre, le conseil a délégué des membres pour veiller aux intérêts de l’élève.

[5.2]Lorsqu’un chef d’atelier refuse, sans raison valable, de rendre le livret à son ouvrier, et qu’il a été constaté que ce dernier aurait pu travailler ailleurs avec son livret, le conseil condamne le chef d’atelier à payer à l’ouvrier le nombre de journées qu’il aurait pu faire ailleurs.

Ainsi jugé entre Genériat et Verrier.

L’élève Monjean fait comparaître Tremol, son maître, et se plaint que ce dernier absente souvent son atelier, et qu’en rentrant il lui fait éprouver des traitemens injustes, à la suite desquels il a été renvoyé pour la troisième fois.

D’après la preuve de ces plaintes, le conseil a résilié les engagemens sans indemnité, mais l’élève ne pourra se replacer que comme apprenti.

Tabarin, chef d’atelier, fait comparaître Neyron, son élève, pour lui réclamer un arrérage de tâches, et pour se plaindre de son peu d’activité et d’application. Mais le conseil, considérant la faible constitution de l’apprenti, et son jeune âge, le décharge de toutes ses tâches jusqu’à ce jour, et délègue deux de ses membres pour examiner le genre d’étoffe qu’il fabrique, et fixer la tâche qu’il sera à même de faire.

Au Rédacteur.

30 janvier 1834.

Monsieur,

J’ai été provoqué par M. Labory, lors de la dernière réunion qui a eu lieu, pour remplacer M. Bernard en qualité de gérant de l’Echo de la Fabrique ; je n’ai pas voulu avoir de longues conversations avec lui, parce que M. Labory (on peut en juger par ses deux dernières lettres à l’Echo de la Fabrique) a un talent de parler tel, qu’on ne sait jamais ce qu’il veut dire. Il réalise le bon mot qu’on prête à M. Talleyrand : « La parole a été inventée pour dissimuler la pensée. »1 Je crois qu’on appelle ces gens d’un nom que certaine comédie de Molière a rendu honteusement célèbre ; je préfère donc écrire ce que je pense de M. Labory : Je l’accuse d’avoir profité de son influence sur ses collègues, due à une réputation qui lui était échue je ne sais comment, pour les engager dans une fausse voie, à commencer par la question de la libre défense, dans l’affaire Tiphaine, jusqu’à celle des titulaires et suppléans, qui a amené la désorganisation du conseil des prud’hommes.

Je profite de cette occasion pour rappeler à M. Labory qu’il n’a pas répondu à ma lettre insérée dans votre numéro 14 ; elle était cependant assez importante pour mériter un mot de réponse. Est-ce que M. Labory se croit tellement au-dessus de ses confrères, qu’il peut dédaigner de leur répondre ? Un tel excès de fatuité serait intolérable ; M. Labory doit y réfléchir.

J’ai l’honneur, etc.

EDOUARD.

Mardi dernier ont eu lieu les funérailles de Gabriel monnet, compagnon ferrandinier. Près de 4,000 de ses camarades ferrandiniers, et plusieurs chefs d’atelier mutuellistes, ont accompagné le convoi jusqu’au cimetière de Loyasse dans le plus profond recueillement. Des discours, que nous regrettons sincèrement de ne pouvoir reproduire faute d’espace, ont été prononcés sur sa tombe par deux de ses camarades. La cérémonie achevée, et avant de se séparer, les prolétaires qui n’oublient pas qu’il existe des malheureux, ont fait entr’eux une collecte montant à 36 fr. 30 c. qui nous a été remise pour être versée dans la caisse des blessés de Novembre.

Au gérant.

Lyon, 20 janvier 1834.

Monsieur,

Veuillez avoir la bonté d’insérer notre réponse au sieur Chapeau dans votre prochain numéro.

[6.1]Nous rétablissons exactement des faits qui ont été totalement dénaturés.

Il est entièrement faux que toutes les fois que le sieur Chapeau rendait ou faisait rendre de l’étoffe, la fabrication en ait été répudiée ou jugée inférieure, et lorsque le cas s’est présenté, jamais il n’a été marqué rabais ni raccommodages sans lui montrer les défauts qui existaient à son étoffe. Cependant nous n’avons pas comparu devant le conseil des prud’hommes pour ces prétendues difficultés.

La susceptibilité de M. Chapeau étant extrême, il doit se rappeler que ne pouvant s’accorder avec aucun des commis, nous-mêmes recevions son ouvrage ; et s’il est de bonne-foi, il conviendra que très souvent nous lui laissâmes l’entière liberté de fixer lui-même les rabais selon sa conscience. Ils sont, dit-il, à son détriment ; ce n’est pas parce qu’ils ne furent jamais fixés proportionnellement à la perte que nous avons supportée dans la vente de ces schals qui, en sus de la très mauvaise fabrication, avaient été mouillés, de manière qu’après avoir été apprêtés, une partie des couleurs était entièrement passée, et que sur un de ses schals nous perdîmes quarante francs. Eh bien ! que M. Chapeau dise quel est le rabais que nous lui avons fait supporter, aucun, et cependant il convint alors de la justesse des réclamations que nous étions en droit de faire. Oui, nous l’affirmons de nouveau : sur deux mille et cinq cents francs de façons faites il n’avait que trois francs cinquante de rabais.

Sur la demande d’une gratification (propre expression de M. Chapeau), nous lui accordâmes 400 fr. de réduction, et l’autre partie de la somme a été donnée à des ouvriers qui montèrent des métiers en remplacement des siens.

Nous n’avons non plus, manifesté aucune crainte de ne point être payés, et on peut juger, par l’offre que nous lui fîmes, en présence de témoins, de ne nous rembourser cette somme que sur le huitième de ses façons. Voila probablement où M. Chapeau a trouvé que nous voulions l’humilier, et ce qui l’a engagé à avoir recours à la publicité. Nous l’en remercions bien sincèrement, puisque le public prononcera entre lui et nous.

Nous croyons, M. le rédacteur, que les explications que nous venons de fournir sont suffisantes et qu’elles engageront M. Chapeau à ne pas diriger davantage ses calomnies contre nous qui désormais garderons le silence le plus absolu.

Recevez, M. le rédacteur, nos salutations,

GRILLET et TROTTON.

Lorsque jetant au milieu de notre industrieuse cité, les bases d’une tribune que son infatigable activité et son courageux dévoûment devaient bientôt assurer à son sexe ; lorsque, disons-nous, Mme niboyet eut élevé et fait entendre sa voix parmi nous ; ce fut avec joie et bonheur que nous saluâmes la venue de cet intéressant journali

Aujourd’hui, entourée de collaboratrices distinguées et d’un dévoûment digne du sien, Mme niboyet a franchi tous les écueils qui semblaient menacer sa grande et généreuse entreprise ; et d’heureux succès ont déjà couronné d’énergiques efforts.

A nous, travailleurs, il appartenait de bien comprendre toute l’importance de la tâche que ces dames ont entreprise, et à nous il appartient surtout de dire combien nous trouvons noble et belle la pensée qui les a ainsi poussées à travailler à l’émancipation de leur sexe, elles qui, placées dans la société à un rang qui les tient loin de la misère et des embûches semées sous chacun des pas de la fille du peuple, pouvaient aussi détourner et couler gaîment la vie…

Nous avons lu dans l’un des derniers numéros de ce journal, un article extrêmement remarquable, en réponse à un journal de cette ville (le Réparateur1). Nous le reproduisons aujourd’hui, et le recommandons à toute l’attention de nos lecteurs, qui seront, ainsi que nous, [6.2]nous en sommes persuadés, pénétrés de l’admiration la plus profonde pour le noble cœur de son auteur, Mme Louise maignaud :

Nous lisons dans le Réparateur :

« C’est à peine si jusqu’à présent il a été question de religion dans le Conseiller des Femmes, et, devons-nous le dire, quelques mots jetés au hasard sur un objet si grave nous ont paru bien légers et bien peu réfléchis. Des femmes appelées à régénérer leur sexe, comprendront sans doute qu’il n’y a de respect dans le cœur humain que pour les vieilles croyances. »

Nous nous permettons d’abord de faire observer au Réparateur, que le but de notre journal est d’exercer sur la femme une action moralisante et non de lui imposer telle ou telle croyance.

Nous avons annoncé formellement dans les premiers N° de notre feuille, que la morale de l’Evangile serait notre guide ; mais nous avons dit aussi que nous respecterions toutes les convictions ; à l’exemple de Jésus, nous admettrons également le Pharisien et le Publicain dans le temple, et, quelles que soient leurs pensées et leurs croyances, nous ne lancerons jamais anathème sur aucune femme ; car nous nous souviendrons toujours et nous enseignerons cette maxime que, filles de Dieu ainsi que nous, elles sont toutes nos sœurs.

Pour devenir grande et forte, il faut que la pensée soit libre ; et pour qu’elle conserve cette liberté, il ne faut rien lui imposer arbitrairement.

Ah ! qu’elle vienne à nous la vierge timide et pieuse, celle qui a transporté dans le ciel toutes ses facultés aimantes (souvent, hélas ! parce que la terre ne pouvait les contenir !) Qu’elle vienne à nous avec sa dévotion naïve et son ardente charité ; nous lui dirons : bénissez Dieu, vous qui avez la foi… Ame douce et pure, belle de votre amour et de votre pureté, bénissez Dieu qui vous a permis, dès cette vie, de poser un pied dans le ciel.

Mais vous, pauvres femmes, qui n’avez trouvé dans le monde que pièges, séductions et injustices, vous dont les passions ont débordé l’âme, vous, dont la force s’est usée dans une lutte cruelle et inhumainement inégale, vous, qui êtes venues tomber haletantes et brisées sous le poids des couvenances sociales, pense-t-on, pauvres Parias de notre civilisation incomplète, que pour vous il n’y aura pas aussi dans notre cœur amour et sympathie ? Ah ! venez, venez à nous ; relevez votre tête humiliée ; que votre âme s’anime d’un noble courage ! Vous aussi êtes appelées à l’œuvre qui doit régénérer cette société dont vous fûtes les premières victimes.

Lancer les foudres de l’anathème sur cette organisation de femme, qu’il n’est pas donné à chacun de comprendre, c’est insulter Dieu dans ses œuvres, puisque nous sommes tous le résultat de la création.

Travailler à modifier nos penchans lorsqu’ils sont mauvais, faire tourner au bien toutes les facultés que Dieu a départies à chacun de nous dans sa sagesse, tel est notre but ; ce sont là nos vieilles croyances, nos croyances du cœur.

Il est temps que le monde comprenne que prétendre changer la nature, c’est le comble de l’orgueil humain.

C’est l’écueil contre lequel l’esprit systématique de l’homme viendra toujours échouer.

Louise maignaud.


iLe Conseiller des Femmes, journal paraissant tous les samedis. On s’abonnera au bureau, rue Royale ; n° 14. – Prix, par an, 10 fr. pour Lyon, et 15 fr. pour les départemens.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

[7.1]Séances des 24 et 25 janvier.

M. barthe, carbonaro sous la restauration, ministre de la monarchie constitutionnelle née de juillet, présente un projet de loi contre les crieurs et les écrits publics ; il demande, au nom de la MORALE, de la DÉCENCE et de la PUDEUR PUBLIQUE :

Que les écrits de deux feuilles et au-dessous, soient soumis au timbre, et qu’ils ne puissent être criés et vendus que sous l’autorisation municipale que celle-ci donnera ou retirera toutes les fois qu’elle le croira convenable… Bravo, M. barthe !

Maintenant, vite une loi de réforme contre le JURY ! Vite une loi contre les COALITIONS ! Ainsi le veulent la morale, la décence et la pudeur publique de M. Barthe. – Courage, Messieurs, courage !

Puis, c’est encore lui qui demande à MM. de la chambre, autorisation de poursuivre M. cabet, pour deux articles publiés par lui dans les N° des 12 et 19 janvier 1834 du journal le Populaire.

L’un de ces articles avait pour titre : LA RÉPUBLIQUE EST DANS LA CHAMBRE ; ce qui explique pourquoi MM. Barthe et Persil voudraient la mettre hors la chambre…

Enfin, c’est la chambre des députés appelée à donner hospitalité à 150 Polonais débarqués au Havre sur un bateau prussien qui les portait en Amérique, qui passe à l’ordre du jour sur leur pétition et les laisse à la merci du gouvernement… Et pourtant la France tout entière avait frémi d’indignation quand la malheureuse Pologne expira sous les murs de VARSOVIE

Et la chambre avait dit qu’elle ne périrait pas ! Que déjà la France se jetait de toutes parts au-devant de ses malheureux débris.

El il y a quelques jours à peine que cette chambre disait, par la bouche d’odilon-barrot, qu’elle entendait que la Pologne soit replacée au rang des nations…

Amère dérision ! Le sol de cet héroïque pays n’est plus foulé par ses enfans. Ils sont presque tous morts ! Ceux qui leur ont survécu sont-ils plus heureux ?

Variétés.
saint-adrien

Dans la partie de la rade en face du port de Brest, et de l’autre côté de la petite île appelée Ile Ronde, est une anse bordée de vallons couverts de fruits et d’arbres verts. Une barre, que la mer haute recouvre, la sépare en deux. A marée basse, le paysan de Plougastel, qui mine sa pipe en passant sur cette barre, voit alors d’un côté la rade se déployer sereine et bleue, ou bien houleuse et blanche d’écume, et de l’autre un petit ruisseau, filet d’eau resté de la marée haute, et qui va se perdre en tournant en mille sens au fond du vallon.

C’est là, à gauche, en entrant dans la baie, que se trouve la petite chapelle de St-Adrien. En sortant de votre embarcation, vous avez monté un petit chemin au-dessus de la Grève ; vous l’avez suivi dans son cours tortueux ; vous avez passé avec lui devant l’auberge de Mme Foire, si chère aux pêcheurs et aux douaniers de Lauberlach ; puis un petit clocher, une croix et quelques ogives aux [7.2]vitraux cassés ont frappé vos yeux entre les arbres, et vous avez souri en disant : Voila St-Adrien !

St-Adrien ! – Si vous y êtes déjà allés, que ce nom dit de choses. Vous devinez alors, en pressant le pas dans le petit sentier où vous marchez, la pelouse verte qui entoure la chapelle ; vous respirez d’avance la fraîcheur de ces grands arbres qui l’ombragent, et un sentiment doux et religieux s’empare de votre âme. Mais ce n’est pas cette tristesse qui naît à un son de cloche ou à la vue des cimetières qui entourent ordinairement les églises de Bretagne. – Toi, mon joli St-Adrien, tu ne reposes pas les pieds de tes murs délicats et de tes ogives gothiques sur des morts ; jamais le fossoyeur n’éclaire le soir les voûtes de sa lanterne ; – non, à toi un doux soleil se jouant dans tes vitraux, ou bien de beaux rayons de la lune pour l’éclairer sous les vieux chênes et sur le tapis de gazon vert où tu t’étends mollement comme une jeune fille de quinze ans qui s’asseoit pour rêver sous les marronniers.

Quand la petite chapelle est ainsi éclairée par un beau soleil couchant, dont les rayons percent à travers les grands arbres, et font sur ses murs des taches rouges et brillantes, tâchez d’aller à St-Adrien. – Restez-y long-temps. – Alors, si vous voulez voir de fraîches figures de jeunes filles, regardez ces petites paysannes qui font le signe de la croix avant d’entrer. Voyez leurs cheveux noirs retomber par derrière sous leurs longues coiffes blanches, et leurs corsets qui ont un dos rouge, avec deux petites échancrures bleues ou vertes sous les bras.

Regardez ces jeunes filles : les voila qui s’agenouillent ; elles coupent des tresses de cheveux, des rubans qu’elles attachent aux cordages de petits vaisseaux suspendus dans la chapelle comme des lustres de salon. Ces vaisseaux sont l’ouvrage de quelques vieux marins qui les ont faits en l’honneur du bâtiment qu’ils ont affectionné autrefois, ou de celui d’un fils ou d’un frère. St-Adrien les prend sous sa protection, et bénit aussi les petits rubans que les jeunes filles y attachent.

Après, elles s’en vont joyeuses ; elles sont confiantes et croient. – Elles s’en vont contentes, car il leur a semblé, en partant, que la figure de bois de St-Adrien, qui est placée au fond de l’église, leur a souri quand elles se sont dressées sur la pointe des pieds pour atteindre le petit vaisseau. Elles s’en vont contentes, car St-Adrien est bien puissant : St-Goënou a sa fontaine où l’on jette des épingles pour savoir si on aura un mari ; Saint-Budoch a vécu six mois sur mer dans un tonneau ; et St-Ouardon est un très grand navigateur qui a traversé la rade de Brest dans une auge de pierre ; mais St-Adrien est le saint des jeunes filles de Lauberlach. Quand elles l’ont prié, elles retournent le soir chez elle sans crainte des lavandières de nuit qui forcent les passans à laver avec elles les chemises sales du diable, ni des goûls à la grosse tète, ni du joueur de bignou de l’enfer, qui donne à danser dans les bruyères au clair de la lune. Car, je vous le dis, St-Adrien est un saint bien puissant.

X. (Le Foyer1.)

Mozart arriva un jour dans une ville allemande de premier ordre, et assista incognito à la représentation de son opéra, l’Enlèvement du Sérail. Tout-à-coup, au milieu de l’air de Pédrillo, l’orchestre entonna un ré dèze au lieu d’un naturel : cette substitution involontaire ne nuisait pas à la phrase musicale, mais elle lui donnait une physionomie commune et tout opposée aux intentions du compositeur. Mozart n’eut pas plutôt entendu [8.1]ce contre-sens qu’il se leva furieux au milieu du parterre, et s’écria d’une voix de tonnerre : « Voulez-vous attaquer le ré naturel, canaille ! »

On se figure aisément la rumeur que cette sortie scandaleuse causa dans la salle. La frayeur se répandit parmi les acteurs qui se trouvaient en scène ; la cantatrice qui remplissait le rôle de Constance tomba évanouie ; le public s’empara aussitôt de l’individu qui avait proféré les paroles insolentes et troublé le spectacle ; il fut forcé de se nommer.

Au nom de mozart, un murmure général d’étonnement mêlé de respect s’éleva d’un bout de la salle à l’autre. Il fallut recommencer l’opéra ; les musiciens installèrent Mozart au milieu de l’orchestre, et dirigea lui-même la partition.

Cette fois, au lieu du ré dièze, on attaqua le ré naturel, et la phrase musicale se produisit sous une forme toute différente, et qui étonna les musiciens eux-mêmes.

Après le spectacle, Mozart fut reconduit en triomphe jusqu’à son hôtel ; et pendant plusieurs jours il eut beaucoup de peine à se soustraire aux témoignages de l’enthousiasme local.

(Correspondant de Nuremberg.)

Nouvelles Diverses.

projet de suspension générale du travail en angleterre.

(Extrait d’une lettre de Londres au rédacteur du Populaire.)

Les ouvriers, en Angleterre, travaillent de 11 à 15 heures sur 24, ce qui ne leur laisse point de temps pour s’instruire et se reposer.

Ils demandent que ce temps soit réduit à huit heures en conservant le même salaire.

Si les maîtres ne veulent pas y consentir avant le 1er mars prochain, toutes les réunions d’ouvriers qui couvrent l’ Angleterre se concertent pour cesser tous les travaux à cette époque.

On a souvent vu des suspensions partielles du travail, mais on n’a jamais vu une suspension générale.1

Si, comme on l’espère, les ouvriers évitent la violence, s’ils n’emploient toujours que la persuasion et le consentement libre et volontaire, il est impossible de prévoir les conséquences de ce projet.

Le comité lyonnais de la Société des Droits de l’Homme nous prie de faire savoir que le fait annoncé par le préfet, de la vente des écrits démocratiques par des crieurs coiffés d’un bonnet rouge, est une invention de la police destinée à jeter de la défaveur sur ceux qui humilient, au profit du peuple, à répandre l’instruction ; mais, au grand dépit des hommes qui représentent le gouvernement, la population ne sera pas dupe du machiavélisme révoltant des autorités.

M. Reverchon a comparu mardi dernier en police correctionnelle (audience spéciale), comme éditeur de plusieurs écrits républicains. Le tribunal, ayant considéré ces feuilles comme un journal, l’a condamné à 200 fr. d’amende, un mois de prison et aux frais.

M. Perret, imprimeur desdits écrits, cité comme complice, a été acquitté. – M. Reverchon en a appelé en cour royale.

Nous avons à déplorer la perte de M. Dulong, député républicain, qui a été tué en duel, le 29 janvier. Son adversaire état le général Bugeaud.

[8.2]La grille qui entourait la tombe des combattans de juillet, au bout du pont de Grenelle, est complètement détruite ; bientôt la croix et les cyprès disparaîtront foulés aux pieds par les bestiaux qui y passent, et rien n’indiquera plus la place où reposent les martyrs des Trois-Jours.

(Temps.)

THÉÂTRE DES CÉLESTINS.

Représentation au bénéfice de M. joanny.

Enfin, le Théâtre des Célestins rentre dans sa spécialité, et la foule en reprend le chemin. Toutefois, on n’a pas pu se décider à renoncer entièrement aux emprunts. Le Petit-Matelot, joli opéra, est resté là comme oublié par M. le régisseur du Grand-Théâtre. Après son occupation il en aurait été chassé ignominieusement à coups de sifflets sans Mme Breton qui remplissait le rôle du Petit-Matelot, et qui l’a sauvé par un jeu plein de vivacité et de grâce, une voix fraîche et fort agréable.

Les Faux-Monnayeurs, tel est le titre d’un grand mélodrame, aussi mélodrame que tous les mélodrames passés, présens et à venir. Je ne me sens pas la force d’en faire l’analyse ; je laisse aux amateurs du genre tout le plaisir d’émotions qui deviendraient nulles si elles étaient prévues, et les prie d’apprécier l’ouvrage.

C’est une bluette fort gaie et fort piquante que la Fille d’Eve. Un procureur du roi, aussi farce qu’il peut l’être sous les traits de Breton, et ce n’est pas peu dire, une femme vive, spirituelle et qui aime à la fureur le fruit défendu, aussi aimable qu’elle peut l’être sous ceux de Mme Herdliska ; avec cela une intrigue légère mais originale et bien conduite, un dénoûment très comique, en voila plus qu’il n’en faut pour réussir.

La soirée a été gaîment terminée par le Prédestiné1. Breton, dans le personnage du Prédestiné, a excité un rire fou ; les maris qui lui ressemblent ne sont pas probablement tous aussi gais. Ils devront aller le voir, ne fût-ce que pour se consoler.

Avis.

M. rousseau, cet artiste du Théâtre des Célestins, dont le talent et les continuels efforts ont à juste titre captivé la bienveillance et l’intérêt du public, vient de mettre à sa disposition une partie de sa garde-robe pour soirées travesties. – Cette détermination, qu’il a prise sur la demande de quelques personnes, nous semble une bonne fortune pour les amateurs de ces divertissemens ; car tous les costumes de cet artiste sont, en général, frais, gracieux et élégans.

M. rousseau demeure rue Petit-David, n° 4, au 3e.

AVIS DIVERS.

(317) A VENDRE une mécanique en 744 courant, corps et remisse en soie, travaillant pour étoffes d’ameublement. S’adresser au bureau.

(316) A VENDRE, une mécanique longue de deux rangs, à la piémontaise, de 24 guindres. S’adresser chez M. Milan, plieur de poil de peluche par fils, rue St-Georges, n. 73.

Notes (La santé de M.  bernard ne lui permettant...)
1. Jean Matrod avait surtout été interdit de cette direction car il était alors l’un des membres les plus actifs et les plus turbulents du nouveau et rajeuni comité exécutif de l’association mutuelliste. C’est finalement un autre chef d’atelier, Nicolas Rey, qui deviendra officiellement le nouveau gérant et rédacteur du journal. Mais Matrod, président par ailleurs du comité de surveillance de L’Écho de la Fabrique, et Rivière cadet seront à présent les véritables animateurs du journal des canuts.

Notes (Nous avons reçu de M.  jules lechevalier ,...)
1. Il s’agit ici de l’annonce de la publication de Jules Lechevalier (1800-1850), fouriériste, transfuge du saint-simonisme, Revue du progrès social, qui va paraître à Paris en 1834.

Notes (Des Publications Républicaines. [4.2]...)
1. Félix Barthe (1795-1863), député et ministre (notamment de la Justice) au début de la monarchie de Juillet. Cet ancien carbonaro va personnifier aux yeux des ouvriers le ralliement d’une fraction des libéraux de la veille à l’ordre orléaniste. C’est Barthe qui portera quelques semaines plus tard la loi sur la censure et les associations politiques.

Notes (Au Rédacteur. 30 janvier 1834 . Monsieur,...)
1. Référence à un mot fameux attribué à Charles-Maurice Talleyrand (1754-1838) : « La parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée. »

Notes (Lorsque jetant au milieu de notre...)
1. Publié quelque temps à partir de l’été 1833, Le Réparateur était, après la Gazette du Lyonnais, la seconde feuille légitimiste de la cité.

Notes ( Variétés.)
1. Il s’agit ici du journal Le Foyer. Journal de la littérature et des arts. Théâtre, critique, mœurs, publié à Paris entre 1833 et 1835.

Notes (Nouvelles Diverses. projet de suspension...)
1. « On n’a jamais vu une suspension générale », remarque hautement significative alors même que les mutuellistes discutaient des modalités de la grande grève qu’ils étaient en train d’organiser et qui sera déclenchée une dizaine de jours plus tard.

Notes (THÉÂTRE DES CÉLESTINS . Représentation...)
1. Parmi les comédies et vaudevilles cités ici, on trouve : Joseph-Philippe Lockray (1803-1891), C’est encore du bonheur ou le Prédestiné (1833) ; Ph. Dumanoir (1806-1865), Une fille d’Ève (1833) ; Charles Pigault-Lebrun (1753-1835), Le Petit Matelot ou le Mariage impromptu (1796).

 

 

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