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9 février 1834 - Numéro 58 |
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DE LA NÉCESSITÉ pour tous les travailleursDe se rallier aux Associations.
Déjà l’Echo de la Fabrique a présenté la question des associations d’ouvriers sous toutes ses faces ; il en a développé le droit incontestable et indiqué les résultats moraux et matériels. Ces luttes quotidiennes contre les art. 415 et 416 du code pénal, et surtout contre les attaques violentes et passionnées des journaux ministériels, ces appels calmes et raisonnés à l’association, ont dû réveiller bien des intelligences, détruire des préjugés et dissiper enfin les craintes qui retenaient les travailleurs dans un isolement et une défiance coupable les uns des autres. Grace à quelques chefs d’atelier généreux, intelligens et actifs, ils se sont rapprochés, ils se sont entendus, ils se sont compris, appréciés, et leurs associations, aujourd’hui fortes et compactes, n’ont rien à redouter de personne ; les gouvernemens les plus hostiles seraient impuissans à les briser : elles ont pour base la justice, et pour appui l’union indissoluble qui lie tous leurs membres. Quelques hommes cependant craignent encore de s’y rallier ; effrayés de l’on ne sait quoi, ils stationnent dans leur vieille ornière, et, contrairement à leurs intérêts, ils subissent, silencieux et soumis, toutes les conditions du fabricant. Qu’ils comparent leurs salaires à ceux de leurs frères associés, ils verront de suite une grande différence de prix toute au profit des Mutuellistes. Il est donc clair qu’ils doivent se rallier à eux pour obtenir un plus juste salaire. Craignent-ils de manquer d’ouvrage ? Mais leurs associés leur en fourniront ou du moins les indemniseront en argent du travail dont [1.2]les aurait momentanément privés leur entrée dans l’association. Qu’ils s’unissent donc à leurs frères ; on les en prie, car on déplore leur aveuglement. Les Mutuellistes embrassent dans leur association toute la fabrique lyonnaise ; ses différentes branches forment ensuite des associations particulières. Ainsi les veloutiers sont tous étroitement liés, et, grâce à l’accord fraternel qui les unit, tous travaillent et tous retirent un juste salaire de leur labeur. Qui croirait cependant que huit chefs d’atelier veloutiers, dominés par des craintes puériles, ont constamment refusé de se rallier à leurs frères, qu’ils ont constamment repoussé la main amie qui leur était offerte, et se sont obstinés à rester dans une position précaire, dépendante, à exécuter un travail peu rétribué, tandis qu’on leur offre un plus juste salaire, indépendance du fabricant et appui contre la misère ? Qu’ils reviennent à l’intelligence de leurs véritables intérêts : ne savent-ils pas que, grâce à l’association, les travailleurs ne sont plus dans un état de domesticité vis à vis des fabricans ? Forts de leur union, ils sont respectés. Isolés, ils étaient dédaignés, conspués… Combien de faits pourraient, si nous le voulions, justifier notre langage. Grâce à l’association, l’ouvrier en soie pourra vivre en travaillant ; il pourra, même avec une sévère économie, s’élever jusqu’à l’aisance, et n’aura plus l’hôpital pour perspective inévitable. Enfin, elle remplit envers eux tous les devoirs qu’enseigne un amour sincère de l’humanité. Si maintenant on porte plus haut ses regards, on voit la grande famille des travailleurs sortir de l’état d’ilotisme où l’avait enchaînée de barbares préjugés et l’avidité criminelle de quelques-uns, et mettre un terme à la honteuse exploitation de l’homme par l’homme ; on la voit traiter d’égal à égal avec les capitalistes, forcer enfin le législateur à écrire dans ses codes une égalité réelle, à conférer aux travailleurs les droits politiques si injustement et si absurdement réservés jusque-là aux seuls oisifs, et arriver ainsi au gouvernement du peuple par le peuple. Mais ce peuple sera-t-il encore déclaré incapable de se régir, et devra-t-il être, comme ignorant, repoussé de toute participation aux affaires générales ? L’association répondrait alors victorieusement par des faits. Cinq mille chefs d’atelier sont unis en dépit des persécutions inquisitoriales de la police et des poursuites du parquet ; leur nombre grandit chaque jour ; [2.1]ils ont leurs lois fidèlement observées, leurs chefs strictement obéis : toutes leurs mesures sont appuyées sur l’équité et prises dans l’intérêt général ; tout enfin marche avec une admirable harmonie. Dans les réunions hebdomadaires, réunions éminemment utiles, on parle des affaires de tous, des affaires de chacun ; on expose ses espérances, ses idées d’avenir ; on discute les moyens les plus propres, les plus prompts à amener l’amélioration du sort commun ; on s’instruit, on apprend à se connaître, on se moralise, et l’on avance ainsi à grands pas vers l’émancipation de tous les travailleurs. Les autres professions l’ont bien compris ; aussi, chaque jour de nouvelles demandes d’affiliation sont faites ; les Mutuellistes les accueillent avec joie ; ils oublient les injures qu’on jetait naguère à leur industrie ; ils oublient aussi que leur énergie dans le danger, leur constance, leur fermeté dans les luttes diverses engagées contre eux, les ont élevés au premier rang ; ils accueillent tous leurs frères dans une parfaite égalité, et bientôt une immense association de tous les travailleurs en France réalisera en partie la grande pensée de fourier, que quelques-uns regardent encore comme le rêve brillant d’un homme d’esprit et de bien. C’est un bel avenir pour notre France ; il est près de nous, grâce à quelques chefs d’atelier que ne rebutent ni les dangers, ni les menaces, ni les obstacles de tout genre ; mus par le seul amour de leurs frères, ils ont travaillé jour et nuit à harmoniser toutes les parties d’une aussi vaste association ; leur œuvre est enfin debout ; elle est aujourd’hui inébranlable. Honneur leur soit rendu !…
AUX DETRACTEURS DU PEUPLE.
Quand les noirs frimas d’hiver viennent, une fois l’an, aiguiser encore les cruelles souffrances qui dévorent la vie du peuple travailleur, et, alors que sultans d’aujourd’hui vous cherchez dans de nouveaux plaisirs l’oubli de ceux à longs traits savourés dans les gracieux labyrinthes de vos maisons de plaisance, et que vos légers équipages, qui glissent si rapidement sur le pavé de nos cités, vous portent joyeux ce soir au bal du commerce, demain à celui que donnera la noblesse, écrasée hier du poids de vos écus ; puis un autre jour à celui que donnera, par ordre, l’autorité chargée de vous rallier autour de la monarchie constitutionnelle née de juillet ; et puis que, richement vêtus de ces étoffes élégantes et si fraîches que nos mains travaillent pourtant au milieu de malpropres et dégoûtans galetas, vous vous élancez fièrement au milieu de tous ces vastes et brillans salons, à vous permis ! Et à Dieu ne plaise que nous portions envie à vos méthodiques passe-temps. – Comme les vôtres, nos cœurs ne se sont point rapetissés, usés dans de riantes et continuelles orgies. Plus grands que vous de tous les maux qui viennent périodiquement presser notre réveil, et quand nous voyons autour de nous le nombre des êtres destinés à plier sous le faix de la misère se grossir chaque jour, sans que nul d’entre vous daigne laisser tomber un de ses regards sur cette plaie qui s’en va minant jusqu’à la base de notre édifice social ; enfin, lorsque tant de fois il nous faut pleurer sur quelques-uns de nos frères expirant sur le trépied, où, pour leur plus grande gloire et l’affermissement de leurs trônes, sacrifient les rois ; – qu’aujourd’hui même, de nobles débris d’une grande et héroïque nation sont, par d’infernales trames, livrés à la merci d’un CHARLES-ALBERT ! oh ! croyez-le, [2.2]nos cœurs sont fermés pour la joie, et nous ne saurions vous envier vos plaisirs, à vous qui escomptiez si bien les cadavres ensevelis sous les murs de Varsovie … Et dites, si quand pour satisfaire aux cruelles passions de nobles et puissans personnages, ils étaient jetés de frontière en frontière aux portes d’un peuple hospitalier, dites si vos cœurs ont frémi comme bouillonnaient les nôtres de ne pouvoir leur donner l’hospitalité ?… Allez ! Vous n’êtes pas peuple, et vous ne savez pas tout ce qu’il lui faut de courage et de résignation pour supporter une telle injure, puis se taire ! Mais que jaloux des biens dont la fortune, dans son aveugle caprice vous a si largement pourvus, vous ayez à cœur de les conserver, nous le comprenons ; et quelqu’avare qu’ait été pour le peuple la main qui vous les a donnés, le peuple, nous le disons haut pour que vous ne puissiez ne pas l’entendre, le peuple n’aurait garde d’y toucher. – Ce n’est pas en dotant 32 millions de Français de 32 millions d’égales portions du sol de la France, qu’on trouverait la solution du grand problème de la régénération sociale autour duquel nous errons depuis bientôt cinquante années ; et à ce partage, pas plus que vous, le peuple ne saurait rien gagner. Or, croyez-nous, quittez vos craintes ridicules, cessez vos sottes déclamations, et si, contens de vos positions, vous ne vous croyez pas intéressés à l’œuvre par nous entreprise, souvenez-vous du moins que notre mission, à nous travailleurs pacifiques, est, non d’instituer le RÈGNE DE L’ANARCHIE au sein de notre société, mais de l’en repousser bien loin en la modifiant par une réforme heureuse pour tous !… Et, croyez-nous, que poursuivant notre marche nous ne vous rencontrions pas élevant autour de nous des entraves, vous qui pouvez aujourd’hui, sans que votre pain de demain vous soit amer, jeter VINGT MILLE écus sur un parquet à danser ! Car alors sous nos pas à tous s’ouvrirait un terrible volcan qui détruirait vos frivoles joies et nous laisserait, nous, bien loin du but que nous croyons être près d’atteindre. Écoutez : – LIBERTÉ, UNION, ORDRE PUBLIC ! ces trois mots que nous a légués la révolution de juillet, renferment une grande pensée sans doute, mais qu’il ne nous est pas permis de croire aussi bien imprimée au cœur de ceux qui ont écrit cet emblème sur nos drapeaux, et l’ont gravé sur le fronton de tous nos édifices, qu’elle l’est dans les nôtres ; et, en vérité, ce n’est pas notre faute si elle est là comme une déplorable et insultante mystification ! Mais c’est qu’il n’y a point de liberté, là où il n’y a pas droit au travail, et garantie d’existence honorable pour le travailleur ; – là où quelques-uns seulement à la face du plus grand nombre dispensent l’un et fixent l’autre, selon leur bon plaisir ! Il n’y a là qu’un révoltant esclavage ! Et nous voulons la liberté. C’est qu’il n’y a point d’union, là où l’intérêt individuel est en lutte constante avec l’intérêt collectif ; – l’intérêt d’une classe en guerre avec celui d’une autre classe ; – quelques cent mille heureux d’un côté, et de l’autre une masse innombrable de pauvres ! Et nous voulons l’union. C’est qu’il n’y a pas ordre public, là où des lois faites par quelques-uns contre tous les autres, substituent la violence à l’équité, bravent insolemment toutes celles écrites aux codes de la nature, et disent silence aux importunes plaintes du peuple, par la tonnante voix du canon ! Et pourtant nous voulons l’ordre public. Or, et vous l’avez entendu, nous voulons droit au travail, et garantie contre la misère pour tous ! – Paix [3.1]entre tous et toutes classes par l’alliance intime de tous les intérêts, et enfin nous voulons des lois conformes aux vœux et aux besoins de la société tout entière. – Maintenant dites : est-ce là ce que vous appelez LA LOI AGRAIRE ?
Au Rédacteur. Notre mission étant de travailler à l’extinction des abus qui pèsent sur toute la fabrique lyonnaise, mais particulièrement sur la classe des travailleurs, nous accueillons avec plaisir la lettre que nous adresse M. bruschet sur l’un des mille sujets à traiter en cette matière : Monsieur, Au milieu des désordres qui nuisent à la prospérité de notre fabrique, il en est un (et je pense que personne ne trouvera mauvais que je le signale) qui est également nuisible et aux fabricans et aux maîtres ; le voici : Lorsqu’un maître se présente dans une fabrique pour y demander l’emploi d’un métier vacant, il semblerait naturel que le fabricant lui répondît oui ou non ; puis, dans ce premier cas, qu’il passât chez lui, ainsi que l’usage en est établi, et que tous deux sussent à quoi s’en tenir ; mais point du tout. Le plus grand nombre des fabricans dit : Je passerai demain chez vous, et le maître s’en va. – Le lendemain, le surlendemain arrivent, personne ne vient ; alors il retourne s’informer si on l’a oublié. – Oh ! J’ai bien pensé à vous, lui dit-on, mais je n’ai pas eu le temps… Je ne suis pas allé de votre côté… Mais je passerai chez vous demain sans manquer. – Ce demain arrive et passe comme les autres, sans que le maître ait vu personne (et il est bon nombre de fabricans qui vous tiennent ainsi dans l’alternative quinze jours durant). Et s’il retourne au magasin, c’est pour s’entendre dire au moins dix fois sur vingt : tous nos métiers sont disposés, nous n’avons plus rien pour le moment… Mais, quel est le fruit de cette frivolité de promesses, de ce manque de foi ? Le voici : d’un côté, courses et temps perdu ; et ce temps est assez précieux, assez cher, ce me semble, pour qu’il soit mieux employé au profit du maître qui, du reste, ne peut faire aucune réclamation, et n’a droit à aucune indemnité, et qui, par ces motifs, prend le parti de s’adresser à plusieurs fabricans à la fois ; – alors il résulte de ce fait que le premier de ces messieurs qui vient, s’empare du métier ; et si quelqu’autre y a également compté et qu’il vienne, il trouve alors indigne la conduite du maître, lui retire sa confiance et par suite lui refuse de l’ouvrage. Ce désordre est d’une nature assez grave, comme vous le voyez, M. le rédacteur, et si la publication de ma lettre peut à ce sujet éveiller l’attention de MM. les prud’hommes, et les inviter à y chercher un remède, mon but sera rempli. Agréez, etc. bruschet cadet. Note du rédacteur. – On ne saurait nier l’exactitude de l’abus qui vient de nous être signalé même avec une modération grande ; et il faut bien le dire, cette manie d’abuser ainsi du temps de l’ouvrier, qui est celle du plus grand nombre des fabricans, est une maladie qui s’empare en outre et assez vite de MM. les commis qui, dans ce cas-là, poussent au moins aussi loin que leurs chefs ; quand leur plus grand mérite est de bien savoir entretenir les balances et frotter les banques de leur magasin : [3.2]en foi de quoi, nous autres travailleurs, sommes obligés de les recevoir le bonnet à la main et les reconnaître pour nos très hauts, très excellens seigneurs et maîtres.
Achille Roche. achille ROCHE, rédacteur en chef du Patriote de l’Allier, est mort le 26 janvier 1834, au matin… Républicains, couvrez-vous d’un crêpe funèbre, car vous avez perdu dans ce jeune publiciste un courageux, noble et vertueux organe ! Et toi, France, jette aussi quelques fleurs sur sa tombe : Roche était l’homme de la justice et de l’humanité. Liberté civile, liberté religieuse, voila quelle fut sa bannière. – Il s’était voué à la défense et à l’affranchissement du peuple ; ses vœux les plus chers étaient au bonheur de son pays, de la société tout entière ; mais l’impitoyable mort, qui semble n’avoir mission que de dévorer, entre tous, les cœurs les plus généreux, vient de l’arracher à la vie quand il travaillait avec plus d’ardeur encore à détourner de son pays tous les maux que semblent amonceler sur lui les suites déplorables de notre immortelle révolution. Plus de deux mille citoyens, parmi lesquels on remarquait des réfugiés italiens et polonais, puis un grand nombre d’artilleurs de Moulins, ont accompagné son corps jusqu’à sa dernière demeure. Le convoi, précédé par un drapeau tricolore surmonté d’un crêpe, sur lequel étaient écrits ces mots : LIBERTÉ ! ÉGALITÉ ! UNION DES PEUPLES ! traversa toute la ville dans le plus profond recueillement, et lorsqu’il fut arrivé au cimetière, un cercle immense se forma autour du corps de Roche, puis quelques-uns de ses amis, parmi lesquels M. trélat, rédacteur en chef du Patriote du Puy-de-Dôme, et M. Adolphe michel, rédacteur du Mémorial1(journal ministériel), sont venus lui adresser un dernier adieu… Nous donnerons, dans notre prochain numéro, le discours prononcé par M. Adolphe michel dans cette triste solennité : il fera connaître à nos lecteurs, bien mieux que nous ne le faisons aujourd’hui, combien est immense et douloureuse pour tous la perte de cet homme si pur et si dévoué. Achille roche est mort pauvre, laissant une veuve et deux enfans qu’il a recommandés à ses amis, quelques instans avant d’expirer. – L’un des premiers actes de sa vie politique avait été de sacrifier à ses convictions un héritage de famille, et ce dévoûment sans bornes devait trouver sa récompense. – En effet, après avoir quitté le champ des morts, une foule de citoyens spontanément réunis, décidèrent qu’ils adoptaient sa famille, et une souscription fut en même temps ouverte pour lui assurer une pension annuelle. Honneur à eux ! Et toi, roche ! Si du haut des régions célestes que tu habites maintenant, tu peux, jetant les yeux sur ceux au milieu desquels tu as vécu, voir déjà ta dernière volonté accomplie et la mémoire ainsi honorée, n’est-ce pas que tu la trouveras et plus belle et plus douce cette récompense, que celle qui va s’étaler en forme de ruban sur toutes les poitrines de fauteurs de discordes et de guerres civiles !…
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DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES, Publiées à la fin de chaque mois, en un cahier de 6 à 8 feuilles in-8°. [4.1]Au milieu de ces temps d’agitations et de discordes civiles, triste héritage que nous ont légué des hommes ou intéressés à arrêter les peuples dans leur marche instinctive vers un avenir plus conforme aux vœux de l’humanité et aux immuables lois de la nature, ou ignorans et inhabiles à les guider dans la nouvelle voie qui semble se tracer devant eux pour cette régénération sociale, que tous enfin nous commençons à regarder comme urgente, nécessaire et indispensable, pour établir entre tous le lien harmonique que depuis si long-temps le canon des rois et les différentes doctrines des partis nés ou à naître ont en vain cherché ; et alors que dans cette lutte si longue et si pénible, tant de cœurs généreux et ardens se sont brisés ; – que d’autres encore, apportant à l’œuvre même courage et même ardeur, viennent aussi s’épuiser sans qu’il leur soit permis d’entrevoir le but qu’ils veulent atteindre ; – sans qu’ils puissent dire : là s’arrêteront nos pénibles efforts et le succès viendra les couronner, ne devons-nous pas saluer avec joie la venue des publications de M. Jules lechevalier, et les accepter comme un bienfait ? Pour nous, qui déjà connaissons quelques-uns de ses travaux, qui le suivons modestement et de loin dans l’exploration de cette mine féconde dont Charles Fourier a doté l’humanité, et à travers laquelle M. Jules lechevalier, homme de mérite et de savoir, a déjà commencé une carrière brillante, telle est du moins notre pensée. Forte de l’appui et du talent de collaborateurs distingués, parmi lesquels nous citerons, comme nous étant plus particulièrement connu, M. Abel transon, cette œuvre, nous n’en saurions douter, sera bien accueillie et surtout bien comprise par les hommes qui s’élancent dans l’avenir pour y chercher le secret des destinées sociales ; car elle jettera sur ce problème, jusqu’ici insoluble, un jour qui ne saurait qu’en hâter la solution ; et nous croyons répondre aux désirs de nos lecteurs en citant ici quelques-uns des passages du prospectus de M. Jules lechevalier : ils feront certainement connaître beaucoup mieux que nous ne le pourrions, l’importance et le grave intérêt de cette publication. rivière cadet, Disciple de Charles Fourier. BUT. Donner une publicité spéciale aux travaux de la cinquième classe de l’Institut, et soumettre ces travaux au contrôle de la science indépendante. – Créer, ce qui n’existe pas encore en France, un centre de travail intellectuel spécialement consacré au progrès des idées et des institutions sociales, où l’intérêt de la vérité ne sera jamais sacrifié ni à l’esprit de secte, ni au caprice du public, ni à la spéculation commerciale. – Réunir à une même tribune tous les hommes qui travaillent, par la science, à la rénovation de la société européenne. – Eclairer leurs efforts par une critique ferme et compréhensive qui légitimera ses sympathies pour le progrès social, en tenant compte des traditions, des mœurs, des croyances, et des droits acquis. DIVISION DES MATIERES. I. connaissance générale, religion, science de l’homme. – [4.2]II. science sociale, économie politique, droit public, législation civile et pénale, éducation, administration, institutions médicales. – III. Les grandes questions de théorie en science, industrie, beaux-arts. – Histoire et Statistique appliquées aux diverses branches des sciences morales et politiques. LE CAHIER DE JANVIER 1834 CONTIENT : I. Situation et Avenir social de la France. – II. Preuves de l’existence de Dieu, d’après F. Hegel1. – III. De la propriété, considérée comme garantie de la liberté individuelle, par A. Transon. – IV. Sur la nécessité de créer une faculté des sciences politiques et administratives, par M. L. A. Macarel, conseiller d’état. – V. Travaux philosophiques de M. le comte Destutt de Tracy, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, par M. Jules Lechevalier. – VI. De la Restauration de la Société française (livre publié par la Gazette de France). – VII. Mélanges philosophiques de M. T. Jouffroy2. – VIII. Prix proposés par l’Académie des sciences morales et politiques – IX. Bibliographie. On voit, de prime abord, que cette nouvelle revue est destinée à compléter le travail de l’Académie des sciences morales et politiques. C’est ce qui lui assure dans la publicité une place légitime et tout-à-fait en dehors des spéculations de la presse mercantile. Servir d’intermédiaire et de point de contact entre les deux forces de conservation et d’innovation dont l’action réciproque constitue le progrès normal de l’esprit humain ; – telle est, selon nous, la mission vraiment utile de la presse dans toutes les sphères du mouvement social, et particulièrement lorsqu’il s’agit de science. Il est évident d’abord que la place à laquelle aspirent les nouvelles archives est vacante dans la science, au grand détriment de ceux qui se livrent à la recherche sérieuse du vrai et du bien. En outre, la partie du corps encyclopédique comprise sous la dénomination de sciences morales et politiques nous semble, plus que toute autre, mériter en ce moment une attention spéciale, soit en raison de l’objet dont ces sciences s’occupent, soit en raison de la crise progressive dans laquelle elles se trouvent engagées. Nous sommes, en effet, dans le siècle qui paraît destiné à voir l’instauration de la science sociale comme science positive, procédant par voie d’expérience et d’observation, posant les problèmes en tenant compte de tous les faits, les résolvant par le respect des droits de chacun et par la satisfaction des intérêts de tous. Le domaine des sciences morales et politiques comprend dans toute leur extension la philosophie et la science sociale ; et cette partie du corps encyclopédique est précisément celle dont il est le plus urgent de s’occuper, car le premier besoin de notre situation sociale, c’est, avant tout, une nouvelle éducation politique. Par malheur, dans le tourbillon de la presse, il n’est pas un seul écrit périodique qui soit consacré à l’accomplissement de cette tâche. C’est surtout dans ce fait qu’il faut chercher les raisons d’existence de notre journal, ses chances de succès et la direction générale de sa rédaction. Union de tous les hommes qui croient à la nécessité et à la possibilité de reconstituer les idées, les doctrines et les institutions, et qui cultivent les tiges nouvelles de l’arbre en respectant le tronc antique autour duquel elles se développent. Voila notre vœu et le but de nos travaux. La critique que nous ferons des divers systèmes philosophiques, politiques ou religieux, relèvera de ce principe qui nous paraît la véritable expression de la loi du progrès social. Nous commençons notre entreprise avec l’espoir fondé d’y rattacher tous les noms justement recommandables de la science contemporaine. Nos premiers pas seront réservés et prudens ; mais nous nous mettons en route avec la volonté énergique qui va au but malgré tous les obstacles, et qui arrive au port malgré tous les orages. C’est aux hommes sincèrement dévoués à la recherche de la vérité de nous appuyer, et d’encourager nos efforts par leur concours. Les bureaux du Journal sont : RUE DE PROVENCE, N° 8. conditions d’abonnement : Un an : 30 fr. – Six mois : 16 fr. – Trois mois : 8 fr. Chaque numéro se vend séparément : 3 fr. On s’abonne, pour Paris, au bureau du Journal ; à Lyon, chez M. Babeuf, libraire, rue St-Dominique ; et au bureau de notre Journal.
[5.1]L’Agent comptable de la Caisse de Prêts de Lyon, Au Gérant de l’écho de la fabrique. Lyon, 4 février 1834. Monsieur, J’ai l’honneur de vous adresser ci-inclus un avis que je crois nécessaire et avantageux aux chefs d’atelier débiteurs de la caisse de prêts ; veuillez, je vous prie, lui réserver place dans vos colonnes et y changer et ajouter ce que vous jugerez convenable pour sa précision et sa clarté : Avis AUX DÉBITEURS DE LA CAISSE DE PRÊTS. MM. les chefs d’atelier de la fabrique d’étoffes de soie, emprunteurs à la caisse de prêts, sont invités, à dater de ce jour (chaque fois qu’ils toucheront leur façon au magasin, et qu’une retenue de 10 fr. et même au-dessous leur aura été faite par le fabricant, en faveur de la caisse), d’aller de suite verser à ladite caisse, de l’argent de leur façon, le montant de la somme qu’on leur aura retenue ; il leur sera délivré un bon avec lequel ils pourront de suite retirer cette même retenue qu’ils pourront alors garder par devers eux. De cette manière ils seront sûrs de la prompte rentrée de leurs économies et diminueront encore de 1 à 1 1/4 p. 0/0 l’intérêt qu’ils y paient. Agréez, etc. L’Agent comptable, valançon.
Nous avons reçu de M. dazon, mécanicien, une lettre en réponse à celle de M. noyer, insérée dans notre dernier numéro ; le défaut d’espace nous force à en remettre l’insertion à notre prochain numéro.
Au Rédacteur. 6 février 1834. Monsieur, Provoqué par M. Edouard dans votre dernier N°, où il se plaint d’avoir été provoqué par moi sur ce qu’il ne dit pas, je crois devoir lui répondre, seulement par rapport à ceux qui pourraient supposer que ce qu’il dit signifie quelque chose. Loin de moi l’idée de continuer avec lui une polémique, je sens tout ce qu’elle aurait d’insignifiant ; elle doit donc finir le jour qu’elle commence. Il m’accuse d’influence acquise il ne sait comment : et que m’importe ses accusations, ses préjugés et ceux des siens. J’ai été porté aux différens emplois que j’occupe par ceux qui me connaissent ou me suivent depuis plus de 25 ans, et ceux qui me calomnient m’ont oublié ou ne m’ont jamais connu. Si M. Edouard connaissait celui de Molière, dont il veut parler, il le verrait tellement lui-même qu’il ne pourrait le comparer à moi ; mais, sait-il ce qu’il était, le pauvre homme ?… Je pourrais bien l’accuser d’avoir provoqué certain paragraphe dans certaine protestation, pour se grimper à la place de prud’homme ; le pauvre homme !… L’influence qu’il me suppose, au sujet de la désorganisation du conseil des prud’hommes, est une absurdité [5.2]à laquelle on ne peut rien répondre : elle n’a pas le sens commun. Je suis plus que lui partisan de la libre défense ; mais je ne partage pas cet espoir qu’avec elle tous auront raison, même ceux qui auraient tort. Je renvoie vos lecteurs au N° 14 pour qu’ils jugent de l’importance des allégations de M. Edouard, et ce que je pouvais répondre à une lettre qui n’y existe pas. Faut-il deviner ce qu’il rêve, le pauvre homme ?… Enfin, je termine en assurant à M. Edouard, que, quelle que soit l’influence qu’il parvienne à s’acquérir, il aura bien de la peine à faire triompher la manière dont il s’y prend pour influencer je ne sais qui, afin d’arriver je ne sais où, pour obtenir je ne sais quoi ; et qu’il n’a rien de mieux à faire que de se taire et de rester chez lui, où sa conduite de bon père de famille le fait aimer et chérir, tandis que toutes les fois qu’il prendra des velléités de cancans, il s’entendra dire : Le pauvre homme !… Recevez, etc. labory.
MM. les souscripteurs au journal dont l’abonnement est expiré, sont priés de vouloir bien le renouveler. Le bureau est ouvert tous les jours de neuf heures du matin à huit heures du soir, et les fêtes et dimanches, de huit heures jusqu’à midi.
CONSEIL DES P RUD’HOMMES,
(présidé par m. riboud.) Audience du 6 février 1834. Coq, négociant, fait comparaître Poulet, chef d’atelier, à qui il avait donné la disposition d’un métier pour schal, et lui réclame une indemnité pour ne lui avoir rendu le premier schal que 31 jours après l’époque fixée. Poulet a opposé à cette imputation que Coq lui avait promis une avance de 200 fr., et se faisait fort d’en donner des preuves. Coq a nié le fait ; et le conseil, après une longue délibération, a réduit à 10 le nombre de journées perdues, que Poulet, chef d’atelier, paiera à Coq, à raison de 5 fr. par jour, montant à 50 fr., et les dépens en sus. – Nous reviendrons sur cette affaire dans notre prochain N°. L’apprenti Dévigne prétend, qu’ayant couché dans un appartement humide et malsain, sa santé ne lui permet plus de travailler sur le métier, et pour ce il fait comparaître Solari, son maître, pour demander la résiliation de ses engagemens. Mais le conseil, d’après l’enquête de son médecin, qui a attesté que le malade pouvait continuer de travailler, a débouté Dévigne de sa demande, l’a condamné à rentrer, et a délégué un médecin et un de ses membres pour veiller, l’un sur sa conduite, et l’autre sur sa santé. Lorsqu’un chef d’atelier quitte la ville où il a contracté des engagemens avec un apprenti, pour en habiter une autre plus éloignée, le conseil résilie les engagemens sans indemnité. Ainsi jugé entre Mme Chambry et son apprentie Mallet. Buisson et Tabard, négocians, font comparaître Montagny, chef d’atelier, pour lui réclamer la somme de 113 fr. 90 c. que ce dernier refusait de payer parce qu’il n’en était pas débiteur sur son livret. Mais, d’après l’enquête qui a été faite, on a reconnu que, par méprise, on avait acquitté le livret de Montagny en croyant acquitter [6.1]celui d’un nommé Montagne, mort depuis deux ans. D’après cette enquête et la vérification des livres de MM. Buisson et Tabard, lesquels n’ont pu être confrontés avec celui de Montagny, qui a déclaré l’avoir brûlé, le conseil a condamné Montagny à payer à Buisson et Tabard la somme de 113 fr. 90 c. La cause suivante vient à l’appui de l’observation qui a été faite à l’audience du 2 janvier dernier, par M. le président, à l’égard des élèves savoyards et piémontais, qui, connaissant le peu de recours qu’on a sur des engagemens dont la caution est étrangère, viennent dans nos pays usurper impunément le fruit des peines du chef d’atelier, et qui, selon leur gré ou leur plaisir, sitôt qu’ils croient pouvoir se passer des premiers soins et des premiers sacrifices qu’ils ont occasionnés pour leur apprentissage, ne craignent pas de provoquer injustement des discussions pour parvenir à leur but, comme a voulu le faire l’apprentie ci-après : Bourbon, de Savoie, avait placé sa fille en apprentissage pour la fabrication des étoffes de soie, chez Mme Pollestat, qui, les trois premiers mois, a été très contente de l’assiduité, du zèle et de l’application de son élève, lorsque tout-à-coup elle vit s’opérer en elle un changement subit ; elle était devenue tout-à-fait négligente et indocile. Lorsque sa maîtresse voulait lui faire quelque remontrance, elle lui répondait : on ne peut rien aux Savoyards, et citait ses deux sœurs pour exemple. A la fin, sa maîtresse ne pouvant supporter plus long-temps son inconduite, a pris le parti d’écrire à son père, qui a répondu de la renvoyer dans son pays moyennant un défraiement. Elle la conduit donc à la voiture où elle l’a vue monter ; mais bientôt après elle trouve moyen de s’évader, revient toute fière et toute triomphante de son escapade se présenter effrontément devant sa maîtresse, et lui dit : malgré vous, je resterai à Lyon et j’y travaillerai. En effet, elle est entrée dans une place où sans doute on l’attendait. Sa maîtresse l’a fait paraître à un premier conseil, où l’apprentie a été condamnée à une indemnité envers elle. Aujourd’hui, refusant de se soumettre à la décision de ce conseil, elle a fait comparaître Mme Pollestat, et le conseil a décidé, en second lieu, que, vu sa qualité de mineure, elle rentrerait chez sa maîtresse jusqu’à l’arrivée de son père, et a délégué deux de ses membres pour veiller à sa conduite et pour rassurer sa maîtresse qui n’osait plus la recevoir d’après les vives instances qui lui avaient été faites.
Variétés.
SAMUEL DUHOBRET. Il n’est personne qui ne connaisse quelque ouvrage ou du moins le nom d’Albert Durer1, ce peintre admirable dont l’empereur Maximilien disait : « Je puis bien d’un paysan faire un noble, mais je ne puis changer un ignorant en un aussi habile artiste qu’Albert Durer ; donc je dois faire bien autrement cas d’Albert Durer que de tous les nobles de ma cour. » En outre, pour peu que l’on soit versé dans la biographie des artistes célèbres, on sait, jusque dans ses moindres détails, la vie agitée du peintre allemand, [6.2]et l’on a quelque anecdote à dire sur l’humeur querelleuse de sa femme et sur les tracasseries perpétuelles dont elle harcelait le pauvre homme. Avare, quinteuse, se laissant aller à la fougue d’un caractère bizarre, elle n’était point désarmée par la paresseuse bonhomie de Durer, ni par sa patience à toute épreuve. En vain se livrait-il, avec une assiduité sans exemple, aux travaux de son art, et chaque jour produisait-il une de ces admirables gravures que l’on recherche encore aujourd’hui avec tant d’avidité, elle venait le poursuivre jusque dans son atelier, et là, en présence de ses élèves, elle ne lui épargnait ni les cris, ni les sarcasmes, ni les injures. Elle avait pour habitude, dans ses criailleries, de joindre le nom de Samuel Duhobret au nom de son mari : Samuel Duhobret était un des élèves de Durer qui l’avait admis par pitié dans son atelier, malgré son âge et son indigence ; car Samuel comptait près de 40 ans et n’avait d’autre ressource pour vivre que celle de peindre des enseignes ou des tentures d’appartemens, sorte de luxe alors fort répandu en Allemagne. Petit, bossu, d’une grande laideur, et par-dessus tout cela, bègue à ne pouvoir prononcer une syllabe, vous comprenez qu’il se trouvait le jouet des élèves de Durer, et que si l’on jouait un mauvais tour dans l’atelier, ce mauvais tour s’adressait constamment à Samuel. Baffoué par ses camarades, tourmenté par madame Durer qui ne pouvait lui pardonner d’être admis gratis dans l’atelier, et n’ayant pour ses repas que du pain noir, quand toutefois il avait du pain, le pauvre garçon ne trouvait de repos que les jours où il pouvait s’échapper dans la campagne, et aller peindre à son aise quelques-uns des beaux sites nombreux des environs de Nuremberg. Alors, ce n’était plus le même homme. Sa figure humble et chagrine s’épanouissait, devenait radieuse, comme une fleur s’épanouit et devient radieuse au soleil. Il fallait le voir, assis sur le gazon, son porte-feuille sur ses genoux, et tâchant de saisir quelques-uns de ces admirables effets de la lumière qu’il excellait surtout à reproduire. Après avoir passé la journée de la sorte, il revenait à Nuremberg, et le lendemain il se gardait bien dans l’atelier de parler de son excursion de la veille, et encore moins de montrer les esquisses qu’il avait dessinées. Habitué à être le but de railleries sans pitié, il ne pouvait supposer que la vue de ses dessins dût exciter autre chose que des railleries : il reprenait donc silencieusement, dans le coin le plus dédaigné, la petite place habituelle où il ébauchait les gravures de son maître, et remplissait, relativement à ses œuvres, les fonctions que les praticiens remplissent près des statuaires. Excepté ces rares excursions champêtres dont nous venons de parler, Samuel arrivait à l’atelier dès le point du jour et y demeurait jusqu’à la nuit. Alors il rentrait dans son grenier, et reproduisait sur la toile les vues qu’il avait esquissées à la campagne. Pour se procurer des pinceaux et des couleurs, il s’imposait les privations les plus rudes ; il alla même plusieurs fois, dit l’historien allemand auquel nous empruntons ces détails, il alla même jusqu’à dérober à ses camarades des vessies de couleur et des pinceaux, tant il aimait l’art passionnément par-dessus tout. Trois années s’écoulèrent de la sorte sans que Samuel eût révélé le moins du monde, soit à son maître, soit à ses camarades, les travaux nocturnes auxquels il se livrait. Comment parvenait-il à se nourrir ? C’est un secret entre Dieu et lui. Un jour, il tomba malade : une fièvre violente s’empara [7.1]de sa chétive personne ; et durant près d’une semaine il demeura gisant sur son grabat, sans que nul vînt compatir à ses souffrances. La tête égarée et sentant qu’il allait périr, abandonné de tous, il prit une résolution désespérée, il se leva, mit sous son bras le dernier tableau qu’il avait peint, et se dirigea vers le logis d’un brocanteur, afin de vendre son œuvre, n’importe à quel prix. Le hasard voulut qu’il passa devant une maison où se trouvait réuni beaucoup de monde. Il s’approcha, c’était une vente à l’encan d’objets d’art, rassemblés par un connaisseur durant trente années, réunis avec des peines inouïes, et, suivant l’usage, dispersés sans pitié et après la mort du savant qui avait passé sa vie à orner sa précieuse collection. Samuel s’approcha d’un huissier, et obtint, non sans peine, à force d’importunités, et après bien des prières, que le tableau qu’il portait sous son bras fût mis à l’encan. L’huissier-priseur en fit l’estimation à trois thalers. Bon ! pensa Duhobret, me voila sûr d’avoir à manger durant une semaine entière, si toutefois je trouve un acheteur. Le tableau fit le tour du cercle et passa de main en main, tandis que la voix monotone de l’huissier répétait : « Trois thalers ! Qui met à prix ? A trois thalers ! » Personne ne répondait. Oh ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! murmurait le pauvre Samuel ; mon tableau ne sera pas vendu ! Que vais-je devenir ? Et pourtant c’est mon meilleur tableau ; jamais je n’ai mieux fait : l’air passe à travers le feuillage des arbres, et l’on dirait que les feuilles se meuvent, tremblent et murmurent. L’eau semble limpide : c’est bien la Pregnitz, belle, pure, féconde et lumineuse. Il y a de la vie dans les animaux qui viennent s’y désaltérer ! Et puis au fond quelle vue admirable ! L’abbaye de Neubourg avec son clocher transparent comme de la dentelle, ses édifices élégans, qu’un village entoure d’une ceinture de maisons ! – L’abbaye de Neubourg, dont on vient de chasser les moines, et qui, j’en ai bien peur, sera bientôt démolie par son nouveau propriétaire ; car, hélas ! que fera-t-il d’une abbaye et d’un clocher, l’honnête luthérien ? – A vingt-cinq thalers ! murmura une voix faible et sèche, qui fit tressaillir de joie Samuel stupéfait. Il se leva sur la pointe des pieds, il tâcha de voir quelle personne venait de prononcer ces paroles trois fois bénies… O surprise ! C’était le brocanteur chez lequel Samuel se rendait, quand son bon ange lui inspira la pensée de s’arrêter proche de la vente à l’encan, et d’y proposer son tableau. – A cinquante thalers ! s’écrie une voix éclatante. Samuel aurait volontiers embrassé le gros homme vêtu de noir, qui disait cela. – A cent thalers ! poussa la voix grêle du brocanteur. Elle fut immédiatement couverte par ces paroles tonnées avec éclat. – A deux cents thalers ! – A trois cents ! – A quatre cents ! – A mille thalers ! Il se fit alors un grand silence parmi les personnes présentes qui se rangèrent autour des deux enchérisseurs rivaux et qui, s’avançant dans le cercle, s’y trouvèrent [7.2]isolés et comme deux combattans. Samuel croyait rêver et poussait des exclamations confuses. – A deux mille thalers ! dit le brocanteur, avec un rire sec et forcé. – Vingt mille ! Le brocanteur pâle et comme enfiévré, joignit ses mains qu’agitait un mouvement convulsif. Le gros homme, qui suait et soufflait, beugla plutôt qu’il ne dit : – A quarante mille thalers ! Le brocanteur hésita ; mais un regard vainqueur et insolent de son adversaire lui fit murmurer : – A cinquante mille thalers ! Le silence devint plus profond ; car à son tour le gros homme hésitait. Pendant ce temps-là que devenait le pauvre Samuel ? Il s’agitait de toutes ses forces afin de s’éveiller ; car, disait-il, après un tel rêve, ma misère me paraît plus horrible, et ma fin plus rude. – Eh bien ! A cent mille thalers ! – A cent vingt-cinq mille ! – L’original pour la copie ! Et que le diable vous emporte, damné brocanteur. Le brocanteur sortit dans un état à faire pitié, et le gros monsieur emportait victorieusement le tableau, lorsqu’il vit s’avancer vers lui Samuel Duhobret, bossu et en guenilles. Le gros homme veut se débarrasser de ce qu’il croyait un mendiant, en lui jetant un peu de monnaie ; mais le bossu lui dit : – Quand pourrai-je entrer en possession et de mon abbaye, et de mon château, et de mes terres ? Je suis le peintre du tableau. Et il pensait en lui-même : Oh ! Le beau rêve ! Le beau rêve ! Pourquoi faut-il que le moindre bruit doive me réveiller tout-à-1’heure ! Le gros homme, un des plus riches seigneurs de l’Allemagne, le comte Dunkelsbach, tira de sa poche un porte-feuille, en arracha une page et écrivit quelques lignes. – Tiens, mon ami, dit-il à Samuel, voila les ordres nécessaires pour qu’on te mette en possession de ton bien. Samuel vint à la fin à bout de se persuader qu’il ne rêvait pas : il prit possession de son château, le vendit et se proposait de devenir un honnête bourgeois, ne faisant de la peinture que pour son agrément, lorsqu’il mourut d’une indigestion. Son tableau demeura long-temps dans le cabinet du comte de Dunkelsbach, et il se trouve maintenant en la possession du roi de Bavière. S. Henri berthoud. (Musée des Familles2.)
Nouvelles Diverses. Nous avons reçu d’un nommé d’richard, se disant dessinateur et domicilié à la Croix-Rousse, une lettre pleine d’assertions injurieuses dirigées contre un membre du comité central de l’association des DROITS DE L’HOMME. – Nous connaissons particulièrement la personne dont parle cette lettre, et nous savons le cas que nous devons faire des assertions qu’elle contient. – Mais, les informations que nous avons prises sur le compte de M. d’richard, que nous ne connaissons pas, [8.1]nous ont mis dans le cas d’apprendre qu’il est domicilié partout, c’est-à-dire nulle part, et qu’il a été repoussé de l’association des Droits de l’Homme, gravement soupçonné d’appartenir à la police secrète. – S’il y a erreur dans cette accusation (ce dont on nous permettra de douter), c’est un malheur pour lui, et il ne parviendra guère à le repousser par des épîtres du genre de celle que nous avons entre les mains. – Enfin nous aurions gardé silence sur la réception de cette lettre, si nous n’avions cru de notre devoir d’en donner connaissance à nos amis de la Société des Droits de l’Homme, afin qu’ils puissent en tirer tel fruit qu’ils jugeront convenable. Depuis quelques jours, une protestation contre le projet de loi sur les crieurs d’écrits publics se couvre de nombreuses signatures ; les journaux républicains, le Précurseur et la Glaneuse, en ont déjà publié un très grand nombre ; et nous avons remarqué que celles produites dans l’un ne sont plus les mêmes dans l’autre (ce que beaucoup de personnes pourraient croire), fait grave par cela même, et qui donne une importance très grande à cette protestation. En un mot, c’est le peuple intelligent qui a compris la tendance de ce projet, et qui veut respect pour sa presse ; car, grâce aux entraves qui entourent l’autre, elle est beaucoup trop chère pour lui, et sa bourse ne peut l’atteindre. – Nous verrons ce qu’il adviendra. poursuite contre m. cabet. La commission pour examiner la demande en autorisation de poursuivre M. Cabet, se compose de MM. Joseph Perrier, Fruchard, Petit, Pataille, Levrault, Nogaret, Fulchiron, Pavée de Vaudeuvre, et Bidault1. Tous ces députés appartiennent à la phalange la plus dévouée au ministère. On assure que M. Cabet en est enchanté. Le député, appelé par la commission, a paru devant elle mercredi. Ses explications n’ont pas été longues. « Vous ferez ce que vous voudrez, a-t-il dit ; je n’ai rien à vous demander. On vient de tuer Dulong… Qu’on m’attaque !Je me défendrai ! (Populaire). Une loi, rendue l’an passé, accorde des pensions aux restes des vainqueurs de la Bastille. Mais, de son autorité privée, le ministre de la guerre a refusé de comprendre dans les états de pension les gardes-françaises qui ont pris part au 14 juillet 1789, par la raison, assure-t-on, que ces militaires, en prenant parti pour le peuple, ont manqué à leur devoir de soldats. On ajoute que l’arrêt qui prononce cette exclusion a été signé le 27 juillet 1833. (Le Temps). L’Ecole de la Flèche vient d’avoir sa petite émeute et sa petite révolution à huis-clos. Quatre jeunes gens ont été renvoyés à leurs parens, et beaucoup d’autres exclusions vont suivre. Pourquoi les a-t-on renvoyés ? Parce qu’ils ont refusé, eux et tous leurs camarades, de subir une punition qu’ils ont considérée comme infamante, et qu’on voulait infliger à une division tout entière, sans que la perspicacité des élèves ait pu découvrir un motif plausible à une pareille flétrissure. Il s’agissait, pour les élèves les plus avancés, pour des jeunes gens de 17 à 18 ans, de revêtir les habits de bure et de se donner ainsi en spectacle à leurs camarades et aux personnes de la ville. Avec cette sagacité de jeune homme, qui devine souvent le vrai, ils attribuaient cet acte de justice turque à un parti pris de briser dans l’ame des élèves, appelés à fournir à l’armée une élite de sous-officiers, cette fierté française qui sied si bien, et que leurs pères, vieux officiers, leur ont léguée pour tout héritage. [8.2]Parmi les élèves renvoyés, il s’en trouve deux qui sont l’un et l’autre fils de colonels de la vieille garde. (Le Précurseur.) Un douloureux spectacle était offert aux habitués du tribunal de police correctionnelle. La femme Meynie et ses deux enfans étaient assis sur le banc. Le petit Meynie a six ans et sa sœur n’en a que cinq ; ces deux enfans ont mendié et leur mère est prévenue de les avoir excités à la mendicité. La pauvre mère plaide elle-même sa cause, et la sévérité du tribunal ne peut résister à ces simples paroles : « Je suis porteuse à la halle, mon mari m’a abandonnée depuis quatre ans et m’a laissée avec quatre enfans. Je gagne 15 à 20 sous par jour quand je travaille, et j’ai pour 12 sous de loyer. Je les envoie chanter sur les boulevards, on les arrête ; je les envoie vendre des épingles, on les arrête encore ; je n’ai donc plus de ressource que de prendre mes quatre enfans et d’aller me jeter à l’eau avec eux. » Le tribunal renvoie toute la famille des fins de la plainte. (Populaire.)
AVIS DIVERS.
(318) A LOUER, appartement de 6 ou 9 pièces, si l’on veut, dont un hangar de 60 pieds de longueur sur 20 de largeur, propre à un établissement de soierie. S’adresser sur les lieux, à M. Matrat, propriétaire, route de Vienne, n° 4, en face le fort de La Mothe, à la Guillotière. (317) A VENDRE une mécanique en 744 courant, corps et remisse en soie, travaillant pour étoffes d’ameublement. S’adresser au bureau. (316) A VENDRE, une mécanique longue de deux rangs, à la piémontaise, de 24 guindres. S’adresser chez M. Milan, plieur de poil de peluche par fils, rue St-Georges, n° 73. (314) Le sieur DAVID, inventeur breveté pour les nouvelles mécaniques à dévider et à faire les cannettes, ensemble ou séparément, approuvé par la chambre de commerce de Lyon et la Société de lecture et d’encouragement de la même ville, qui lui a décerné une médaille en séance publique, prévient qu’il construit ces mécaniques à faire les cannettes seulement d’une manière des plus économiques, tant pour les prix que pour l’emplacement. Sur un de ces rouets de la longueur de trois pieds sur un de large, il s’y fait 12 cannettes à la fois ; il les construit selon les besoins de chacun, pour faire 4 cannettes seulement jusqu’à 30 et au-dessus. Il fait des échanges et revend celles de rencontres. (312) On demande une dévideuse à gage ou différemment. S’adresser à M. Gagnière, rue Dumenge, n° 13. (311) Une mécanique ronde de 12 guindres avec le détrancanage, de Delègue et Bailli, un pliage avec différens rasteaux. S’adresser à M. Curiat, quai Peyrollerie, n° 130. (210) A VENDRE, ensemble ou séparément, 2 métiers en 6/4, en 1500 ; un métier de corps plein, suite d’ouvrage et suite du loyer si l’acheteur le désire. S’adresser au bureau. (309) A VENDRE, pour cessation de commerce, 4 métiers travaillant, dont un en 6/4, un en 5/4, et deux en 4/4. On cédera la suite du loyer si l’acheteur le désire. S’adresser au bureau. Produit chimique, TABLETTES VÉGÉTO-MINÉRALES, Pour faire couper les rasoirs, canifs, instrumens de chirurgie, etc. Manière de se servir des tablettes : Vous frottez votre tablette sur un cuir, très légèrement, vous donnez le mordant à la minute. Prix des tablettes : 10 sous, 1 franc et 2 francs. Chez M. GUIOT, rue Bourg-Chanin, n° 12, au premier.
Notes
( Achille Roche . achille ROCHE , rédacteur...)
. Adolphe Michel dirigeait en 1832-1833 un Annuaire statistique et administratif de l’Allier.
Notes
( Archives)
. Friedrich Hegel (1770-1831), philosophe allemand. . Théodore Jouffroy (1796-1842), philosophe français de l’école éclectique.
Notes
( Variétés.)
. Albert Dürer (1471-1528), peintre, architecte et sculpteur allemand. . Il s’agit ici du journal Le Musée des familles. Lectures du soir, publié à Paris à partir d’octobre 1833.
Notes
( Nouvelles Diverses. Nous avons reçu d’un...)
. Principaux députés mentionnés ici : Joseph-Auguste Petit (1786-1852) ; Jean-Marie Fruchard (1786-1872) ; Alexandre-Simon Pataille (1781-1857) ; Jean-Baptiste Bidault (1791-1851) ; François-Benjamin Levrault (1771-1855) ; Pierre-Barthélemy Nogaret (1762-1841) ; Guillaume-Gabriel Vandeuvre (1779-1870) ; Frédéric Perrier (1775-1858).
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