L'Echo de la Fabrique : 2 février 1834 - Numéro 57

Lorsque jetant au milieu de notre industrieuse cité, les bases d’une tribune que son infatigable activité et son courageux dévoûment devaient bientôt assurer à son sexe ; lorsque, disons-nous, Mme niboyet eut élevé et fait entendre sa voix parmi nous ; ce fut avec joie et bonheur que nous saluâmes la venue de cet intéressant journali

Aujourd’hui, entourée de collaboratrices distinguées et d’un dévoûment digne du sien, Mme niboyet a franchi tous les écueils qui semblaient menacer sa grande et généreuse entreprise ; et d’heureux succès ont déjà couronné d’énergiques efforts.

A nous, travailleurs, il appartenait de bien comprendre toute l’importance de la tâche que ces dames ont entreprise, et à nous il appartient surtout de dire combien nous trouvons noble et belle la pensée qui les a ainsi poussées à travailler à l’émancipation de leur sexe, elles qui, placées dans la société à un rang qui les tient loin de la misère et des embûches semées sous chacun des pas de la fille du peuple, pouvaient aussi détourner et couler gaîment la vie…

Nous avons lu dans l’un des derniers numéros de ce journal, un article extrêmement remarquable, en réponse à un journal de cette ville (le Réparateur1). Nous le reproduisons aujourd’hui, et le recommandons à toute l’attention de nos lecteurs, qui seront, ainsi que nous, [6.2]nous en sommes persuadés, pénétrés de l’admiration la plus profonde pour le noble cœur de son auteur, Mme Louise maignaud :

Nous lisons dans le Réparateur :

« C’est à peine si jusqu’à présent il a été question de religion dans le Conseiller des Femmes, et, devons-nous le dire, quelques mots jetés au hasard sur un objet si grave nous ont paru bien légers et bien peu réfléchis. Des femmes appelées à régénérer leur sexe, comprendront sans doute qu’il n’y a de respect dans le cœur humain que pour les vieilles croyances. »

Nous nous permettons d’abord de faire observer au Réparateur, que le but de notre journal est d’exercer sur la femme une action moralisante et non de lui imposer telle ou telle croyance.

Nous avons annoncé formellement dans les premiers N° de notre feuille, que la morale de l’Evangile serait notre guide ; mais nous avons dit aussi que nous respecterions toutes les convictions ; à l’exemple de Jésus, nous admettrons également le Pharisien et le Publicain dans le temple, et, quelles que soient leurs pensées et leurs croyances, nous ne lancerons jamais anathème sur aucune femme ; car nous nous souviendrons toujours et nous enseignerons cette maxime que, filles de Dieu ainsi que nous, elles sont toutes nos sœurs.

Pour devenir grande et forte, il faut que la pensée soit libre ; et pour qu’elle conserve cette liberté, il ne faut rien lui imposer arbitrairement.

Ah ! qu’elle vienne à nous la vierge timide et pieuse, celle qui a transporté dans le ciel toutes ses facultés aimantes (souvent, hélas ! parce que la terre ne pouvait les contenir !) Qu’elle vienne à nous avec sa dévotion naïve et son ardente charité ; nous lui dirons : bénissez Dieu, vous qui avez la foi… Ame douce et pure, belle de votre amour et de votre pureté, bénissez Dieu qui vous a permis, dès cette vie, de poser un pied dans le ciel.

Mais vous, pauvres femmes, qui n’avez trouvé dans le monde que pièges, séductions et injustices, vous dont les passions ont débordé l’âme, vous, dont la force s’est usée dans une lutte cruelle et inhumainement inégale, vous, qui êtes venues tomber haletantes et brisées sous le poids des couvenances sociales, pense-t-on, pauvres Parias de notre civilisation incomplète, que pour vous il n’y aura pas aussi dans notre cœur amour et sympathie ? Ah ! venez, venez à nous ; relevez votre tête humiliée ; que votre âme s’anime d’un noble courage ! Vous aussi êtes appelées à l’œuvre qui doit régénérer cette société dont vous fûtes les premières victimes.

Lancer les foudres de l’anathème sur cette organisation de femme, qu’il n’est pas donné à chacun de comprendre, c’est insulter Dieu dans ses œuvres, puisque nous sommes tous le résultat de la création.

Travailler à modifier nos penchans lorsqu’ils sont mauvais, faire tourner au bien toutes les facultés que Dieu a départies à chacun de nous dans sa sagesse, tel est notre but ; ce sont là nos vieilles croyances, nos croyances du cœur.

Il est temps que le monde comprenne que prétendre changer la nature, c’est le comble de l’orgueil humain.

C’est l’écueil contre lequel l’esprit systématique de l’homme viendra toujours échouer.

Louise maignaud.

Notes de base de page numériques:

1. Publié quelque temps à partir de l’été 1833, Le Réparateur était, après la Gazette du Lyonnais, la seconde feuille légitimiste de la cité.

Notes de fin littérales:

iLe Conseiller des FemmesLe Conseiller des Femmes, journal paraissant tous les samedis. On s’abonnera au bureau, rue Royalerue Royale ; n° 14. – Prix, par an, 10 fr. pour LyonLyon, et 15 fr. pour les départemens.

 

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