Retour à l'accueil
9 février 1834 - Numéro 58
 
 

 



 
 
    
 AUX DETRACTEURS DU PEUPLE.

Quand les noirs frimas d?hiver viennent, une fois l?an, aiguiser encore les cruelles souffrances qui dévorent la vie du peuple travailleur, et, alors que sultans d?aujourd?hui vous cherchez dans de nouveaux plaisirs l?oubli de ceux à longs traits savourés dans les gracieux labyrinthes de vos maisons de plaisance, et que vos légers équipages, qui glissent si rapidement sur le pavé de nos cités, vous portent joyeux ce soir au bal du commerce, demain à celui que donnera la noblesse, écrasée hier du poids de vos écus ; puis un autre jour à celui que donnera, par ordre, l?autorité chargée de vous rallier autour de la monarchie constitutionnelle née de juillet ; et puis que, richement vêtus de ces étoffes élégantes et si fraîches que nos mains travaillent pourtant au milieu de malpropres et dégoûtans galetas, vous vous élancez fièrement au milieu de tous ces vastes et brillans salons, à vous permis ! Et à Dieu ne plaise que nous portions envie à vos méthodiques passe-temps. ? Comme les vôtres, nos c?urs ne se sont point rapetissés, usés dans de riantes et continuelles orgies.

Plus grands que vous de tous les maux qui viennent périodiquement presser notre réveil, et quand nous voyons autour de nous le nombre des êtres destinés à plier sous le faix de la misère se grossir chaque jour, sans que nul d?entre vous daigne laisser tomber un de ses regards sur cette plaie qui s?en va minant jusqu?à la base de notre édifice social ; enfin, lorsque tant de fois il nous faut pleurer sur quelques-uns de nos frères expirant sur le trépied, où, pour leur plus grande gloire et l?affermissement de leurs trônes, sacrifient les rois ; ? qu?aujourd?hui même, de nobles débris d?une grande et héroïque nation sont, par d?infernales trames, livrés à la merci d?un CHARLES-ALBERT ! oh ! croyez-le, [2.2]nos c?urs sont fermés pour la joie, et nous ne saurions vous envier vos plaisirs, à vous qui escomptiez si bien les cadavres ensevelis sous les murs de Varsovie ? Et dites, si quand pour satisfaire aux cruelles passions de nobles et puissans personnages, ils étaient jetés de frontière en frontière aux portes d?un peuple hospitalier, dites si vos c?urs ont frémi comme bouillonnaient les nôtres de ne pouvoir leur donner l?hospitalité ?? Allez ! Vous n?êtes pas peuple, et vous ne savez pas tout ce qu?il lui faut de courage et de résignation pour supporter une telle injure, puis se taire !

Mais que jaloux des biens dont la fortune, dans son aveugle caprice vous a si largement pourvus, vous ayez à c?ur de les conserver, nous le comprenons ; et quelqu?avare qu?ait été pour le peuple la main qui vous les a donnés, le peuple, nous le disons haut pour que vous ne puissiez ne pas l?entendre, le peuple n?aurait garde d?y toucher. ? Ce n?est pas en dotant 32 millions de Français de 32 millions d?égales portions du sol de la France, qu?on trouverait la solution du grand problème de la régénération sociale autour duquel nous errons depuis bientôt cinquante années ; et à ce partage, pas plus que vous, le peuple ne saurait rien gagner. Or, croyez-nous, quittez vos craintes ridicules, cessez vos sottes déclamations, et si, contens de vos positions, vous ne vous croyez pas intéressés à l??uvre par nous entreprise, souvenez-vous du moins que notre mission, à nous travailleurs pacifiques, est, non d?instituer le RÈGNE DE L?ANARCHIE au sein de notre société, mais de l?en repousser bien loin en la modifiant par une réforme heureuse pour tous !? Et, croyez-nous, que poursuivant notre marche nous ne vous rencontrions pas élevant autour de nous des entraves, vous qui pouvez aujourd?hui, sans que votre pain de demain vous soit amer, jeter VINGT MILLE écus sur un parquet à danser ! Car alors sous nos pas à tous s?ouvrirait un terrible volcan qui détruirait vos frivoles joies et nous laisserait, nous, bien loin du but que nous croyons être près d?atteindre. Écoutez : ? LIBERTÉ, UNION, ORDRE PUBLIC ! ces trois mots que nous a légués la révolution de juillet, renferment une grande pensée sans doute, mais qu?il ne nous est pas permis de croire aussi bien imprimée au c?ur de ceux qui ont écrit cet emblème sur nos drapeaux, et l?ont gravé sur le fronton de tous nos édifices, qu?elle l?est dans les nôtres ; et, en vérité, ce n?est pas notre faute si elle est là comme une déplorable et insultante mystification !

Mais c?est qu?il n?y a point de liberté, là où il n?y a pas droit au travail, et garantie d?existence honorable pour le travailleur ; ? là où quelques-uns seulement à la face du plus grand nombre dispensent l?un et fixent l?autre, selon leur bon plaisir ! Il n?y a là qu?un révoltant esclavage ! Et nous voulons la liberté.

C?est qu?il n?y a point d?union, là où l?intérêt individuel est en lutte constante avec l?intérêt collectif ; ? l?intérêt d?une classe en guerre avec celui d?une autre classe ; ? quelques cent mille heureux d?un côté, et de l?autre une masse innombrable de pauvres ! Et nous voulons l?union.

C?est qu?il n?y a pas ordre public, là où des lois faites par quelques-uns contre tous les autres, substituent la violence à l?équité, bravent insolemment toutes celles écrites aux codes de la nature, et disent silence aux importunes plaintes du peuple, par la tonnante voix du canon ! Et pourtant nous voulons l?ordre public.

Or, et vous l?avez entendu, nous voulons droit au travail, et garantie contre la misère pour tous ! ? Paix [3.1]entre tous et toutes classes par l?alliance intime de tous les intérêts, et enfin nous voulons des lois conformes aux v?ux et aux besoins de la société tout entière. ? Maintenant dites : est-ce là ce que vous appelez LA LOI AGRAIRE ?

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique