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16 février 1834 - Numéro 59
 

 




 
 
     

 Aux Lecteurs.

Appelé par les actionnaires de ce journal, au poste honorable occupé hier encore par M. Bernard, que sa santé chancelante force à la retraite, nous ferons tous nos efforts pour justifier leur confiance et remplir dignement la mission qui nous est confiée.

Travailleur comme eux, nous apportons à l’œuvre que nous continuons, sinon du talent, du moins de la conscience et de la probité ; et pour nous ce n’est point un lot dont nous puissions nous glorifier : car conscience et probité sont le patrimoine du peuple !

Notre tâche, telle qu’elle nous est transmise par notre prédécesseur, est devenue plus facile ; c’est une justice qu’ici nous aimons à lui rendre. – Comme lui nous ferons guerre, guerre acharnée aux abus, et comme lui nous travaillerons avec fermeté à l’émancipation morale et matérielle de l’immense classe des travailleurs, avec courage dès qu’il y aura péril à la défendre ! – Mais, vierge de toute passion haineuse, notre plume n’ira pas, évoquant la guerre civile, appeler sur une classe de citoyens l’exécration d’une autre classe ; assez de lâches écrivains ont accepté cette honteuse mission. La nôtre est de les rallier toutes à un but commun : la prospérité et le bien-être de tous, et de faire comprendre qu’il n’y aura paix et sécurité pour un membre de notre état social, que quand tous les autres membres de ce corps y seront rattachés par un lien fort et indissoluble : l’association. – C’est en ce sens que nous avons compris la mission qui nous est confiée, et tous nos efforts tendront au triomphe de ce grand principe.

rey.

 Des Coalitions.

[1.2]Sous le titre de Coalitions d’ouvriers, le Journal du Commerce de Lyon, dans l’un de ses derniers numéros, et en protestant de son dévoûment aux intérêts des classes travailleuses, reproduisait quelques-unes des pensées publiées sur ce sujet par M. blanqui1, dont le nom, disait cette feuille, est une grande autorité en matière d’économie industrielle.

Certainement, notre intention n’est point de contester à M. Blanqui (qu’avant tout nous connaissons homme de conscience, de patriotisme et de probité) la valeur de ses connaissances et de son savoir en cette matière ; et ce n’est pas sans quelque défiance de nos forces que nous allons réfuter quelques-unes des citations qui lui sont empruntées par le Journal du Commerce. – Mais nous devons le dire, il est une autorité bien autant recommandable que celle de ce savant publiciste, et beaucoup plus connue de la presse en général qu’on pourrait le croire, au silence presque absolu qu’elle a gardé, et cette autorité, c’est charles FOURIER, le seul économiste qui ait, en dénonçant le mal, proposé un remède et trouvé pour la solution du problème industriel une base en harmonie avec l’homme, ses facultés et ses besoins. – Mais citons :

« Nous osons assurer que l’ouvrier est injuste, lorsqu’il exige de son maître la faculté d’entrer avec lui en partage de ses bénéfices, au-delà d’une certaine limite.

Il suffit d’analyser, pour s’en convaincre, les frais de production. Un entrepreneur est obligé de payer patente, de louer des ateliers, de les chauffer et les éclairer, de faire l’avance de la matière première et du salaire hebdomadaire ou quotidien de ses ouvriers. Il est exposé aux chances qui résultent de la hausse et de la baisse des marchandises, et c’est sur lui que retombent tout le poids des faillites et les pertes provenant de la mauvaise foi des consommateurs lorsqu’ils ne paient pas. Il est évident que le simple ouvrier, ne courant aucune de ces nombreuses chances, ne saurait prétendre à partager des profits qui correspondent à des risques dont il est entièrement exempt. Ces profits ne représentent donc, comme on voit, que l’intérêt d’une masse d’avances faites à la production et à l’ouvrier lui-même. La question est de savoir où ces profits doivent s’arrêter pour le maître et commencer pour l’ouvrier ; or, cette question nous semble à peu près insoluble, même par des moyens vexatoires et contraires à la liberté individuelle, que la loi doit garantir aussi complètement aux entrepreneurs qu’aux ouvriers. »

A notre tour, nous demandons quelle est la limite au-delà [2.1]de laquelle l’ouvrier serait injuste d’exiger du maître la faculté d’entrer avec lui en partage des bénéfices ; – à qui il appartient de la fixer, et si, n’étant déterminée que par l’un des intéressés (le maître), elle peut l’être de manière à ne pas tendre toujours à envahir presque entière la part que nul n’aura certainement la prétention de disputer à l’ouvrier ?

Nous comprenons très bien que le maître, apportant à l’action industrielle ses capitaux et ses lumières, si l’on veut ; que, jouant sa fortune à toutes les chances que court aujourd’hui le commerce pour s’être grandement écarté du but que les premiers hommes durent se proposer d’obtenir par l’échange de leurs produits contre d’autres produits, toutes choses nécessaires et agréables à la vie, doive, en raison de son apport et des chances qu’il court, avoir une garantie de bénéfices proportionnés ; et ce n’est pas nous qui nierons l’importance et l’utilité des capitaux en industrie ; mais nous croyons qu’en cette matière le travail est une faculté de production pour le moins aussi importante que le capital ; car si l’industrie languit et meurt faute de capitaux, elle ne saurait pas mieux vivre sans le travail. – Au surplus, l’expérience de chaque jour est là pour prouver que le maître sait prévoir toutes ces chances, et ce n’est pas, comme l’a dit avec tant de raison l’avocat Jules favre, ses meubles que nous voyons dévorer par l’enchère des places publiques.

Aussi bien, prises à ce point de vue, les coalitions d’ouvriers seraient chose bien mesquine si elles n’avaient pour but aujourd’hui qu’une augmentation de salaire le plus ordinairement minime, et M. blanqui n’est pas le seul qui les ait ainsi envisagées. – Nous nous rappelons que l’un de nos députés, sans contredit des plus dévoués à la défense des intérêts du peuple, M. garnier-pagès, a aussi naguère partagé cette erreur. – Mais, dussent les coalitions n’avoir que cette conquête à faire, de quel droit l’empêcherait-on, et quels sont donc les fruits si funestes que doivent produire les coalitions d’ouvriers ?

La plupart des hommes que cette question préoccupe, la rattachent à la révolution de juillet, aux espérances déçues alors de la classe ouvrière. – Pour nous, les coalitions sont tout simplement le résultat de l’extension extrême et rapide des rouages commerciaux, et la concurrence nous semble aussi avoir beaucoup fait pour les provoquer. – Puis, nous croyons encore qu’elles sont l’expression unique des besoins d’une époque toute nouvelle qui vient prendre place dans la vie de l’humanité.

En effet, les hommes ne sont plus aujourd’hui ce qu’ils étaient hier, et le peuple a la conscience de sa valeur. – Il comprend enfin que le travail ne doit plus être considéré comme un état de servitude, de domesticité, gagé et payé par des maîtres. – Il voit partout des hommes devant concourir à l’action sociale selon leurs facultés, et il entend que chacun retire, selon son apport à cette action, une part équitable des bénéfices de la production. Or, nous le demandons, comment se fait-il que le travail, l’un des rouages essentiels de notre machine industrielle et commerciale, soit le seul qui ne prenne aucune part à ces bénéfices. – Pour nous, la réponse est facile : c’est que le travailleur est considéré, non pas comme un homme égal aux autres hommes, mais bien comme un instrument auquel on n’accorde de vie que ce qu’il lui faut pour s’agiter et produire. – Que si quelqu’un disait le contraire, nous demanderions alors pourquoi tant de pauvres, pourquoi tant de vieillards en haillons, tant de jeunes êtres abandonnés ? – Pourquoi [2.2]tous ces lugubres hôpitaux, pourquoi tant de noires prisons ; enfin, pourquoi tant d’hospices de charité, et pourquoi cette création toute nouvelle encore des dépôts de mendicité et des salles d’asile ?

« Vouloir niveler les esprits, c’est vouloir niveler les intelligences, et il serait aussi par trop déraisonnable et funeste à l’émulation qui seule donne de la valeur aux hommes, de récompenser, au moyen d’un tarif établi a priori, l’artisan incapable et celui qui fait preuve de zèle et de capacité. Ce serait violer, en outre, le droit sacré de propriété que d’obliger, de quelque manière que ce soit, un entrepreneur à soumettre son bilan tous les jours à ses subordonnés et à entrer en partage avec eux de ses profits, tandis que ceux-ci demeureraient toujours étrangers à ses pertes. Nous soutenons hardiment qu’il ne saurait exister d’industrie à de pareilles conditions, et que bientôt, si un tel régime était imposé un moment par la force, les ouvriers en seraient les premières victimes. »

Il n’est pas un travailleur, quelqu’étroite que soit son intelligence, qui prétende que l’homme capable et incapable doivent être également rétribués, et M. blanqui a raison de dire que ce mode serait funeste à l’émulation. – Et nul n’a, que nous sachions du moins, la prétention d’assigner une commune limite à l’intelligence de tous. – Ce que nous croyons avec lui, ce serait de la part de l’ouvrier violer le droit de propriété que de prétendre (ce qu’il ne prétend et n’a jamais prétendu) obliger un entrepreneur à lui soumettre son bilan de chaque jour, pour partager ses profits en demeurant étranger à ses pertes. L’absence de toute garantie d’existence, et par conséquent de travail, pour 23 millions d’hommes sur 32, n’est-elle pas la violation d’un droit tout aussi sacré que celui de propriété, que nous sommes loin, du reste, de vouloir attaquer ? – Nous soutenons, à notre tour, qu’un régime tel que celui actuel ne saurait rien produire d’heureux pour la prospérité de l’industrie et du commerce, car la paix et la sécurité publiques sont les premiers élémens de prospérité, et il ne saurait y avoir paix durable dans une société où d’un côté se trouvent richesses et superflu pour quelques-uns ; de l’autre, misère et privations pour la masse. La paix que procure un tel ordre s’achète par le gendarme et la prison ! Mais il n’est, on le sait, bastille si forte que le peuple ne puisse un jour la briser et en jeter les débris sur les brillans carrosses de ses législateurs inhumains ! Et à Dieu ne plaise qu’on le réduise encore à une telle extrémité, il y aurait alors partout et dans tous les rangs des victimes, et il y a eu bien assez de victimes étalées sur notre beau sol de France !…

« Le salaire des ouvriers est-il suffisant ou non pour les faire vivre ? S’il ne l’est pas, la faute en est-elle à leurs maîtres ou au système général des impôts ? Si la faute en est aux maîtres, les ouvriers n’ont-ils pas trouvé le remède eux-mêmes en se faisant entrepreneurs en concurrence avec ses mêmes maîtres ? Et si le mal vient de l’impôt, n’y a-t-il pas la voix des pétitions, raisonnées, modérées, riches de faits et réitérées jusqu’à ce que là guérison s’en suive ? »

Mais le limon dont dieu a pétri l’ouvrier a, ce nous semble, été le même pour tous ! et il ne s’agit plus aujourd’hui de savoir si le salaire d’un jour peut donner un jour de mesquine existence à l’ouvrier. – Il ne s’agit pas davantage de savoir si un système d’impôts qui, tant heureux soit-il, pourrait à grand’peine dégrever d’un jour ou de deux la portion qui lui est adjugée, serait un remède efficace contre la crise actuelle. Nous croyons, nous, que cette question se présente aujourd’hui, et plus large et plus conforme aux besoins de la société, et nous sentons qu’il est besoin du concours de tous pour arriver à une heureuse solution de ce problème ; nous l’appelons, qu’on veuille bien nous entendre.

[3.1]Nous regardons aussi la voie de pétitions comme tout-à-fait illusoire, et l’écrivain auquel nous répondons sait, comme nous, que le travailleur qui souffre et qui a faim, n’a guère le temps d’attendre la réponse d’un ministre qui dîne ordinairement toujours bien. – Oui, sans doute, les ouvriers ont (pour un temps) trouvé le remède en se faisant entrepreneurs et concurrens des maîtres ; mais les moyens de l’appliquer généralement, non ; et M. blanqui sait bien aujourd’hui comment ont été accueillies les quelques tentatives qui se sont faites dans ce genre ; la cohorte des sergens de ville est là qui en fait bonne justice.

« L’expérience, qui juge en souveraine les affaires de ce monde, est là pour démontrer le peu d’amélioration qu’apportent les coalitions, même victorieuses, aux maux de l’industrie. En Angleterre aussi on a vu des émeutes formidables d’ouvriers, demandant des augmentations de salaire, en ruinant des mécaniques et en suspendant les travaux ; et personne n’ignore que ces graves écarts n’ont fait qu’empirer la condition des travailleurs. La ville de Lyon n’a pas plutôt été au pouvoir de ses ouvriers, que ceux-ci se sont trouvés embarrassés de leur victoire ; et la propriété, qui s’était éloignée de cette ville industrieuse dans un jour de tempête, y est rentrée avec l’ordre, parce que l’ordre est aussi nécessaire aux progrès de l’industrie qu’à ceux de la liberté. »

Si les coalitions n’ont pas amélioré le sort des ouvriers anglais, ne serait-ce pas que le peuple, chez eux, est encore courbé sous le joug de la féodalité industrielle et nobiliaire, et qu’enfin il est, par cela même que l’industrie y est agglomérée en vastes entreprises possédées par un petit nombre, forcé de subir une loi que nous avons payée, nous, de 40 ans de révolutions ! – Et d’ailleurs, qui ne comprend que l’Angleterre aura peut-être à son tour (ce que nous ne saurions désirer pour aucun peuple) un autre QUATRE-VINGT TREIZE !

Les ouvriers de Lyon avaient demandé, non à vaincre, mais à vivre en travaillant ! – On sait si la propriété eut à souffrir de leur victoire, et on comprend dès-lors pourquoi elle y est aussitôt rentrée ; et on sait aussi que cette triste guerre fut le prix d’un contrat insolemment déchiré et jeté par lambeaux au nez des ouvriers. – On dit encore que ce contrat était une violation d’un droit écrit dans notre charte renouvelée ; mais ce que nous disons, nous, c’est qu’il faut écrire quelque part le droit qu’a le peuple de travailler et de vivre, ou bien lui jeter un nouveau défi… – Et puis, ce que nous disons encore, c’est qu’au sein de notre cité ont grandi et multiplié une foule de coalitions que nulle puissance ne saurait abattre, et en face desquelles il faut songer, non à ranger des canons ou élever des remparts de baïonnettes, mais bien à poser les bases d’une organisation telle que son premier bienfait soit l’harmonie entre tous, la garantie de tous les droits, le protecteur et le conservateur de tous les intérêts.

Architectes privilégiés ! sachez donc rompre avec vos sottes craintes et l’étroitesse de votre égoïsme. – Mettez la main à l’œuvre. Un édifice, nous le savons, ne se construit pas en un jour ; mais celui autour duquel vous restez cramponnés, vous menace de ses ruines. – Provoquerez-vous la tempête quand il vous est facile de la conjurer ?

 

Un journal de cette ville a dit que le mouvement qui s’opérait parmi les travailleurs de la fabrique se liait à un projet d’insurrection en savoie1. – Il a dit que les bons ouvriers résisteraient aux conseils qui leur étaient donnés par les entrepreneurs d’émeutes, etc… Il a [3.2]impudemment menti dans toutes ses assertions. Ce journal c’est, nous pourrions ne pas le dire, le Courrier de Lyon !

S’il est vrai que l’autorité soit bien informée, elle doit savoir que tous les travailleurs de la fabrique ont pris part à ce mouvement ; et dès-lors il devient, ce nous semble, assez difficile de les diviser en bons ou mauvais ouvriers. – Au surplus, quels que soient les pièges qui nous seront tendus pour nous forcer à sortir de la voie pacifique dans laquelle nous nous sommes depuis long-temps placés, ils demeureront sans fruit pour ceux qui en auront fait les frais : qu’ils se tiennent donc pour avertis.

 

A M. le rédacteur du précurseur.

Lyon, 13 février 1834.

Monsieur,

Je viens à l’instant même (4 heures du soir) d’être témoin d’un acte arbitraire de l’autorité.

Voici le fait :

Une très forte députation d’ouvriers en soie accompagnait deux camarades à leur dernière demeure. Le convoi, sorti de l’Hôtel-Dieu, avait cheminé dans le plus grand ordre jusque sur la place des Minimes, lorsque tout-à-coup un commissaire de police, accompagné de plusieurs gendarmes et d’un assez fort détachement du 7me léger, s’est présenté et a sommé le cortège de se retirer ; l’officier qui commandait le détachement avait déjà fait croiser la baïonnette, lorsque plusieurs ouvriers l’ont engagé très poliment à faire éloigner sa troupe, s’il voulait éviter un conflit ; à quoi ces messieurs se sont décidé en voyant défiler devant eux au moins deux mille citoyens.

Je puis, au besoin, affirmer la véracité de ce que je viens de vous citer.

Agréez, etc.

philippe.

A notre grand étonnement, nous n’avons reçu sur ce sujet aucuns renseignemens. Si ceux qui nous seront probablement apportés, sont de nature à être rendus publics, nous les insérerons dans notre prochain N°. – Toutefois, on paraît s’accorder généralement à donner des éloges à la conduite de l’officier qui commandait le détachement du 7me léger, chargé de forcer le convoi à se disperser, et nous sommes heureux d’avoir, en attendant de plus amples renseignemens, à constater ce fait dans une circonstance grave, et qui, sans l’honorable prudence de cet officier, aurait pu produire les résultats les plus fâcheux.

P. S. Cette lettre qu’on vient de lire est démentie dans le Précurseur du lendemain par une autre lettre revêtue d’une douzaine de signatures, et par conséquent bien plus digne de foi. Nous regrettons de ne pouvoir la publier aujourd’hui.

Nous avons reçu plusieurs lettres dont nous sommes forcés (l’espace nous manquant) de renvoyer la publication à notre prochain N°.

 

Au Rédacteur.

février 1834.

Monsieur,

Je vous prie, dans l’intérêt de mes confrères, d’avoir la complaisance d’insérer la présente dans votre journal.

J’ai reçu une pièce d’armures pour M. Pavy ; il a marqué sur mon livre, en tête de cette pièce : Convenu qu’il y aurait un rabais fait si la fabrication est mauvaise. [4.1]Lorsque j’ai eu fait une coupe, je l’ai rendue ; le commis qui l’a reçue ne m’a fait aucune observation ; mais un autre commis est venu me dire qu’il y avait trois plis fumés et plusieurs taches, et que le prix, qui est de 1 fr. 20 c., était alors réduit à 80 c. – Après avoir discuté pendant un moment, je consentais que le prix ne fût qu’à 1 fr., mais ces messieurs ont refusé. Alors j’ai proposé que le cas fût jugé par arbitres : ces messieurs y ont consenti. Il est résulté, après la vérification de la coupe par les arbitres, que ces derniers ont déclaré que je devais perdre trois aunes de façons, ce qui fait 3 fr. 60 c., au lieu de 40 c. par aune que ces messieurs voulaient me rabattre, ce qui m’aurait fait 24 fr. de perte.
Recevez, etc.

lévis,

Rue du Pavillon,  3, à la Croix-Rousse.

 

Nous sommes priés d’insérer le discours suivant, prononcé sur la tombe de gallet, membre de l’Association des Unistes, par le citoyen grand (Clément), membre de la même Société :

« C’est avec une peine bien vive que nous avons appris ta mort ! Oh ! que cette cruelle séparation verse d’amertume et de tristesse dans le cœur de tous ceux qui sont là rangés autour de ton cercueil ! – Pour moi, je remercie le destin qui m’a permis de jeter aujourd’hui quelques paroles sur ce qui fut toi !… Puisses-tu, ô gallet ! les accueillir favorablement, car elles sont la franche expression de la plus constante, de la plus fraternelle amitié.

J.-P. F. gallet était doué de mœurs douces et d’un caractère excellent ; il s’était acquis, par une conduite irréprochable, l’estime et la bienveillance de tous ceux qui l’ont connu ; et il était surtout bon époux et bon père, ami sincère et frère affectueux.

Citoyen dévoué, il fut toujours ennemi de l’injustice, de la duplicité ; et un des premiers il appela de ses vœux l’émancipation industrielle, et il fut l’un de ses plus zélés apôtres…

Mais, hélas ! moissonné à la fleur de l’âge, affaibli par un long et pénible travail, il a succombé sous le poids de ses maux !

Oh ! mes frères, qu’elle est pénible cette pensée ! Comme elle serait triste et accablante, si elle n’était soutenue par l’espoir que nous avons tous de secouer bientôt le joug qui nous opprime, et que nous impose une classe d’hommes que la soif de l’or rend cruels et barbares. Ames de boue ! qui n’estimez que les richesses, quelqu’impure qu’en soit la source, ignorez-vous donc que là où des hommes meurent accablés de misère et de privation, à ceux qui les laissent périr s’attache le nom infâme de bourreaux ?… Mais je m’arrête, car l’émotion que j’éprouve est trop forte, et ma douleur trop amère.

Gallet ! reçois les adieux d’une famille de frères ici assemblés pour rendre hommage à tes vertus ! Repose en paix ! Ta mémoire et le souvenir des nobles sentimens qui t’animaient resteront à jamais gravés dans nos cœurs pour servir d’exemple à notre conduite à tous.

Adieu, notre ami ! adieu, notre frère ! adieu… »

P. S. A la suite de cette cérémonie (qui a eu lieu dimanche dernier au cimetière de Loyasse), MM. les Unistes ont fait entre eux une collecte qui a produit la somme de 19 fr. 25 c., qui a sur le champ été adressée [4.2]au comité de secours pour les blessés de Novembre.

 

Le nommé Chevrel, ancien marin, arrivé récemment de Morlaix comparaissait à l’audience du tribunal correctionnel de Brest, comme prévenu de mendicité avec menaces. Le 14 février, il se présenta chez divers particuliers demeurant sur le quai de Tourville, et demandait du pain ou la mort. Quelques-uns, par crainte ou plutôt par un sentiment de commisération, lui firent l’aumône ; mais comme on tardait dans une maison de déférer à sa demande, il donna un grand coup du poing dans les vitrages de la boutique et brisa un carreau.

Les témoins, en confirmant les faits de la plainte, ont déclaré cependant que le sens de ces mots : du pain ou la mort, leur semblait moins contenir une menace que la déclaration du prévenu, qu’il n’avait plus qu’à mourir si on lui refusait du pain.

Déjà beaucoup d’anciens marins sont venus s’asseoir avant Chevrel sur le banc de la prévention, pour des actes inspirés plutôt par le désespoir que par des penchans vicieux ; mais aucun n’a plus vivement excité la pitié ; ce malheureux, quoique dénué de toute instruction, a peint sa position avec un accent si vrai et si pénétrant, il y avait tant d’éloquence dans ses plaintes, que l’émotion était générale. Nous tâcherons de les reproduire, en modérant néanmoins l’amertume des reproches contre le gouvernement, qui, sans doute, finira par acquitter la dette du pays envers Chevrel et tant d’autres vieux serviteurs :

« Messieurs, a dit cet infortuné, j’ai vingt-sept ans de service et je suis couvert de blessures ; j’avais droit de compter sur une pension, ou, au moins, sur des secours ; c’est en vain que je me suis adressé aux autorités, j’ai été rebuté ; tout m’a été refusé. J’ai sollicité de l’ouvrage pour avoir au moins un morceau de pain, je n’ai rien obtenu. Désespéré, je suis venu à Brest où je n’ai pas été plus heureux. C’est alors que je me suis décidé à tendre la main aux portes ; cela valait mieux que de voler. Je conviens que j’ai dit : Du pain ou la mort ; mais on s’est mépris sur mes paroles : je ne menaçais pas ; je voulais dire qu’il ne me restait plus qu’à mourir si je n’avais pas de pain. J’ai brisé des vitres, c’est vrai ; mais, en le faisant, je n’ai eu d’autre intention que de me faire condamner. Je vous demande comme une grâce de m’envoyer pour dix ou douze ans dans une prison ; je vous serai reconnaissant de me donner ainsi un asile et du pain ; tel sera le prix… »

M. le substitut, en soutenant la prévention, a fait ressortir tout ce que méritait d’indulgence la triste position de Chevrel ; il a donc requis en sa faveur l’article 463 du code pénal.

Chevrel a été condamné à 3 jours d’emprisonnement.

Chevrel. Mais, Messieurs, que voulez-vous que je devienne après ces trois jours ?

M. le substitut. Venez me trouver ; je vous recommanderai à M. le maire, qui pourra vous donner de l’ouvrage.

Chevrel s’est retiré en remerciant. Pendant qu’il traversait l’auditoire, il a recueilli des témoignages nombreux et réels de la vive sympathie qu’il n’a cessé d’exciter.

Il faut bien en convenir, ce fait, pris au milieu d’une multitude d’autres faits qui, chaque jour, viennent attester de l’affreuse misère contre laquelle l’homme du peuple est chaque jour forcé de lutter ; misère qui, si souvent, lui fait prendre la société en haine, le dégrade et le fait descendre d’échelon en échelon jusqu’au dernier degré du crime, est la critique la plus amère qu’on puisse faire de cette organisation sociale dans laquelle des hommes se trouvent qui, au mépris des saintes lois de la nature, et sourds à la voix sacrée de l’humanité, voudraient la conserver.

« Envoyez-moi pour dix ou douze ans en prison, et je vous serai reconnaissant de m’avoir ainsi assuré un asile et du pain ! » a dit le vieux marin qui, pendant vingt-sept ans, a affronté et la mer et ses combats pour défendre et l’honneur et la gloire de son pays, et pour prix de si longs services, n’a trouvé sur le beau sol de France un seul coin de terre qu’il puisse fouler en maître ! un seul morceau de pain qu’il n’ait mendié de la pitié des passans !…

Malédiction et infamie pour vous tous, législateurs [5.1]insolens et méprisables, qui humiliez ainsi le peuple et le forcez à succomber sous le poids de tant de maux, pour après le traîner de la prison au bagne, et du bagne à l’ÉCHAFAUD, puis laisser tomber sur lui votre infame anathème ! – Malédiction pour vous, qui ravalez l’homme à l’égal de la bête, trafiquez de lui comme d’un vil instrument, et tirez de sa sueur l’or qui va marchander l’honneur de sa femme, de sa fille ! – Et dites, lorsque vous lui jetez à la face votre banale insulte : CANAILLE ! qui de vous ou de lui l’a mieux méritée ? Répondez…

 

MM. les souscripteurs au journal dont l’abonnement est expiré, sont priés de vouloir bien le renouveler. Le bureau est ouvert tous les jours de neuf heures du matin à huit heures du soir, et les fêtes et dimanches, de huit heures jusqu’à midi.

 CONSEIL DES PRUD’HOMMES,

(présidé par m. riboud.)

Audience du 13 février 1834.

Christ, imprimeur, fait comparaître Boudin, son ouvrier, pour lui réclamer la somme de 100 fr. qu’il lui avait avancée sur la foi d’engagemens passés entr’eux, pour lui, sa femme et son fils. Boudin a refusé de signer les engagemens, attendu, disait-il, qu’on y avait ajouté, après coup, que les tireurs seraient à charge.

Lorsqu’il a été bien constaté que Boudin avait reçu la somme de 100 fr. à titre d’avance, et qu’il n’avait refusé de signer lesdits engagemens que parce que Christ lui avait refusé une seconde avance de la même somme, le conseil l’a condamné à rembourser à Christ la somme de 100 fr.

Guiguet, chef d’atelier, fait comparaître Heurard, avec lequel il s’était engagé de l’occuper pendant deux années entières, à raison de 1 fr. 25 c. par jour. Onze mois après, Guiguet prétend renvoyer Heurard sans indemnité, attendu qu’il ne sait pas travailler, et lui réclame diverses sommes qu’il lui avait avancées pour habillemens.

Heurard, de son côté, prétend que lesdites sommes ont été prélevées sur le montant de ses journées ; mais le conseil, considérant que Guiguet ne présentait aucun titre, ni aucune preuve convaincante à l’appui de ses réclamations ; considérant, en outre, la minorité de Heurard, a résilié les engagemens et débouté Guiguet de toutes ses demandes.

Lorsqu’un chef d’atelier a occupé chez lui un apprenti pendant plusieurs mois, sans avoir passé des engagemens, le conseil fixe le tenue de l’apprentissage quand les parties ne sont pas d’accord.

Ainsi jugé entre Trux et son apprentie.

Luquin, négociant, fait comparaître Pinjon, chef d’atelier, pour l’obliger à rendre ou a fabriquer des pièces qui lui ont été remises après un montage de métier, lesquelles Pinjon gardait chez lui, parce qu’il n’avait pas voulu consentir à les faire à un prix inférieur à celui qu’on lui avait promis.

Une conciliation antérieure, faite par des membres du conseil, avait autorisé Pinjon à recevoir une indemnité de 36 fr. pour frais de montage de métier, ou à fabriquer les pièces aux prix qu’elles étaient portées sur son [5.2]livre, et Pinjon avait adhéré à cette dernière proposition.

Mais le conseil, considérant que cette conciliation pouvait être révoquée, a décidé que Luquin retirerait les pièces et qu’il paierait à Pinjon une indemnité de 50 fr. pour les frais de montage de métiers.

Valette, chef d’atelier, fait comparaître Dlle Petelat qui avait retiré son frère de l’atelier de Valette, où il était en apprentissage.

Valette, accompagné de deux témoins, a trouvé son apprenti occupé chez sa sœur ; et, d’après ces preuves, le conseil a affirmé la contravention, et a condamné la Dlle Petelat à l’amende de 100 fr. en faveur de Valette.

Lorsqu’un fabricant de schalls au 1/4 est convenu avec un chef d’atelier qu’il lui paiera la façon suivant le cours, le prix des schalls 6/4 est fixé par le conseil à 80 c. le 1,000, et plus, s’il est constaté par enquête que les matières sont inférieures à celles des autres fabricans.

Ainsi jugé entre Gustin et Gelot.

 

Au Rédacteur.

Monsieur,

Veuillez livrer à la publicité un fait dont j’ai été témoin ; le voici :

La nommée Agathe Deville, veuve Blanc, d’une conduite irréprochable, après avoir lutté jusqu’à l’âge de 83 ans contre la misère, et n’ayant plus la force de tourner le rouet qui l’avait toujours préservée des horreurs de la faim et de la mendicité ; logée dans un galetas exposé à toutes les rigueurs de la saison, elle n’avait plus la force d’agiter la paille de son chétif grabat. Enfin, privée de tous secours, elle m’avait prié de solliciter pour elle un asile au Dépôt de mendicité. Je n’ai rien négligé pour cela, démarches, sollicitations, pétitions, j’ai tout mis en œuvre, mais inutilement. Elle ne pouvait être admise sans subir l’humiliation réservée aux mendians vagabonds et errans. Il a fallu qu’elle se fît arrêter !...– Elle s’est placée sous le vestibule de l’Hôtel-de-Ville, et, à mon invitation, un agent est venu l’arrêter et l’a fait comparaître devant M. le maire, qui, après l’avoir interrogée, ordonna de la mettre à la cave. Cette sentence a été comme un coup de foudre pour cette malheureuse, qui, toute désolée, s’écriait avec la plus vive indignation : Que c’était une infamie de jeter dans une prison 83 ans d’une vie laborieuse et irréprochable.

Alors, M. le maire, revenant à des sentimens plus humains, et prenant en considération son âge et sa position, l’a renvoyée chez elle ; et après une enquête, elle est entrée au Dépôt de mendicité. Maintenant elle attend que la mort vienne mettre un terme à ses souffrances…

Agréez, etc.

roux-raymont, Mutuelliste.

 

Ainsi que nous l’avons annoncé dans notre dernier numéro, nous reproduisons le discours que M. Adolphe michel, rédacteur en chef du Mémorial (journal ministériel), a prononcé sur la tombe d’Achille roche. – Ce discours fait, sans contredit, l’éloge de son auteur, et nous avons peine à concevoir, nous, qui ne nous rappelons pas un seul acte de justice semblable de la part des hommes de la monarchie envers les partisans de la république, comment il se fait que M. Adolphe michel soit l’un des organes du juste-milieu ; car son caractère [6.1]nous semble d’une trempe et trop forte et trop généreuse pour qu’il se soit sincèrement dévoué à ce parti. Ceci est, nous le répétons, une anomalie que nous constatons mais que nous ne comprenons pas.

« Messieurs, a dit M. Michel, il me semble que ma présence au bord de cette tombe doit réjouir les mânes d’Achille Roche et plaire à ses amis. Pour moi, une pensée me rendrait moins amères les dernières angoisses de la mort, dans nos temps de fatales dissentions, c’est celle-ci : La tombe ne se fermera point sur moi sans qu’un de ceux qui ont combattu mes convictions, sans qu’un loyal adversaire vienne publiquement mêler son deuil à celui de mes amis, joindre sa voix à la leur pour dire :

En voici un qui fut un homme de cœur, de conscience et de probité ; il honora son drapeau ; on pouvait être son adversaire sans être son ennemi, le combattre sans le mépriser : qu’un souvenir de respect et d’estime plane toujours au-dessus de son nom ! »

Eh bien ! Messieurs, je le dis à vous qui fûtes ses amis d’intimité ou de doctrine, ce témoignage, je le devais à Achille Roche, mon adversaire politique, et voila pourquoi vous me trouvez aujourd’hui au milieu de vous. J’ai la vanité de croire que si la mort, cette aveugle qui frappe au hasard, eût interverti les rôles entre nous, Achille Roche serait là aussi, au milieu de mes amis, faisant tomber des paroles de justice, des paroles d’estime sur ma cendre.

Messieurs, je suis venu ici pour honorer, dans un adversaire, les vertus du citoyen, le zèle d’un apôtre du progrès, la dignité de l’homme de lettres.

Je suis venu ici pour protester contre cette cruelle aberration des partis, qui confond l’homme privé avec l’homme politique, qui déverse sur les hommes l’antipathie pour les doctrines, qui étend à l’individu l’anathème des opinions.

Ah ! Messieurs, pourquoi ne le proclamerais-je pas devant cette tombe, telle n’était point la manière de voir d’Achille Roche. Il avait trop de générosité dans le cœur, et de philosophie dans l’esprit, pour ne point reconnaître que deux hommes honorables au même titre, également animés par la pensée du bien, peuvent avoir une manière différente et même opposée d’envisager les choses, pour ne point sentir que c’est une déplorable et funeste erreur que de mesurer la moralité de l’homme à ses opinions politiques ou religieuses. C’est qu’il savait, Messieurs, que l’honnêteté du cœur ne nous préserve pas de l’infirmité de l’esprit : qu’il n’est pas donné à l’homme de connaître la vérité tout entière, et qu’avec les intentions les plus droites, il est facile de s’égarer dans les voies de l’erreur.

La conscience, Messieurs, et le zèle de l’humanité, voila ce qui sanctifie toutes les opinions, voila ce qui les rend toutes honorables aux yeux de l’impartiale raison.

Soldat d’un drapeau qui ne fut pas le sien, je ne viens donc point ici porter un jugement sur les doctrines d’Achille Roche ; mais je viens reconnaître qu’elles étaient le résultat d’une conviction profonde et sincère, et qu’elles puisaient leur énergie dans un ardent amour de l’humanité. Il les développait avec talent et les soutenait avec courage, son but était le progrès et le bonheur social : n’est-ce pas le nôtre à tous ? Avec un but aussi noble, Messieurs, on peut se tromper sur les moyens, mais on remplit toujours une tâche utile à l’humanité.

[6.2]L’humanité roule et passe dans un conflit perpétuel de théories et de doctrines ; il n’y a que Dieu qui sache où est la vérité, le temps seul peut nous faire connaître où est la raison. Eh bien ! Messieurs, pourquoi ne croirions-nous à la bonne foi de ceux qui pensent autrement que nous ? Pourquoi devancer dans nos anathèmes le jugement du temps et de Dieu ? Pourquoi, au lieu d’hommes qui cherchent à s’éclairer dans une discussion pacifique, ne voyons-nous toujours que des partis qui se déchirent dans une arène sanglante ?

En laissant échapper ces graves et pénibles paroles sur la tombe d’Achille Roche, je crois, Messieurs, traduire une des pensées qui dominèrent sa carrière de publiciste ; je reproduis du moins une de celles qu’il se plut à m’exprimer dans les courts rapports qui s’établirent un jour entre nous, dans un intérêt de haute moralité. Depuis ce jour, ça été pour moi et pour lui peut-être, quelque chose de triste et de poignant, que de nous voir poussés dans l’arène par des convictions contraires ; car nous étions faits pour donner à nos concitoyens un autre spectacle que cette lutte corps à corps et de tous les jours, où il est difficile de frapper la cuirasse de son adversaire sans toucher à son cœur ! Nos âmes se touchaient par plus d’un point, Messieurs, nous avions des sympathies communes dans l’avenir, et le présent n’avait mis le plus souvent entre nous que des questions de formes. En des temps meilleurs, des études identiques, un même amour de l’humanité, un même penchant pour les idées de progrès n’eussent pas manqué d’établir entre nous les liens d’une amitié forte et durable.

Achille Roche, au milieu de ce cortège d’amis qui se pressent autour de ce qui fut toi, il n’en est point qui sente plus profondément que moi la perte d’un homme de cœur, qui déplore plus sincèrement le coup de foudre qui t’a frappé, toi, jeune et fort, toi plein d’ardeur et de vie, toi, qui pouvais encore fournir une course si longue et si brillante dans la carrière où la vocation d’homme moral et de penseur t’avait jeté.

Tu avais bien compris toute la dignité de cet apostolat qu’une ère sociale nouvelle a ouverte devant les esprits ardens et progressifs, et moi, qui crois la comprendre aussi, j’obéis à l’instinct de mon cœur et à l’impulsion de ma conscience, en m’associant aux derniers hommages de tes amis. Ma position personnelle, autant que la solennité de cette enceinte, imprimera peut-être à mes paroles ce caractère moral et religieux qui plane sur ta tombe prête à se fermer ; puissent-elles, ces paroles, t’arriver douces et consolantes en ton suprême asile ; puissent-elles surtout jeter quelque baume sur l’immense douleur qui pèse aujourd’hui sur ta famille !

Respect à ta mémoire ! Paix à ton ombre !

 

AU RÉDACTEUR.

Lyon, 13 février 1834.

Monsieur,

M. Labory a répondu, dans votre dernier numéro, à la lettre que je vous avais adressée contre lui et que vous avez eu la complaisance d’insérer dans le N° 57 de votre journal. Je me sers d’un terme honnête en disant : a répondu ; car il n’a fait que divaguer suivant son usage. Il n’a pas été assez adroit pour dissimuler combien il est opposé à la libre défense, le bout de l’oreille perce toujours. Son opinion ressort évidemment de ce peu de mots : que la libre défense ne fera pas donner droit à ceux [7.1]qui ont tort. Sans doute, et personne ne le demande ; mais la libre défense, en éclairant les juges, les mettra mieux à même d’apprécier qui aura droit ou tort. Les ouvriers doivent donc bien le voir, M. Labory n’a jamais été partisan de la libre défense ; il n’est pas étonnant qu’on n’ait pu l’obtenir.

Quant à la question de savoir si M. Labory a été pour quelque chose dans l’organisation du conseil, je renvoie ceux qui voudront s’éclaircir là-dessus, à la lettre de M. Charnier, insérée dans le N° 12 de l’Echo des Travailleurs.

Quant à ceux qui voudront encore savoir comment M. Labory a pris les intérêts de ses collègues dans les nombreux arbitrages dont le conseil l’a chargé, je les renvoie à M. Carrier.

Maintenant j’arrive à un point de ma lettre auquel M. Labory me répond par une escobarderie qu’un homme ne devrait pas se permettre. J’ai rappelé à M. Labory ma lettre insérée dans le N° 14 de l’Echo des Travailleurs, lettre dont je sais parfaitement qu’il a eu pleine connaissance. Par une circonstance que j’ignore, au lieu d’indiquer le N° 14 de l’Echo des Travailleurs, j’ai indiqué votre N° 14, et là-dessus M. Labory fait gorge chaude et plaisante très agréablement. Comment, dit-il, répondre à une lettre qui n’existe pas ? Maintenant que l’erreur est réparée (erreur non de fait), je vous dirai que cette lettre a eu pour objet de rappeler à M. Labory, que, le 4 avril 1833, il fut nommé avec M. Gamot pour faire partie d’une commission chargée de faire une pétition sur quelques améliorations à apporter à la fabrique (voir l’Echo de la Fabrique, numéros 14 et 15), et lui demanda compte de son mandat. Maintenent M. Labory voudra-t-il bien répondre ? l’objet en vaut la peine.

Dois-je répondre à présent aux injures, aux sarcasmes de M. Labory, en vérité je n’en vois guère la nécessité. Tant mieux si je suis un pauvre homme, tant pis pour moi si l’orgueil aristocrate de M. Labory croit me flétrir par ce mot, pauvre homme. Eh ! ce n’est pas une insulte ; que le riche Labory ne s’y trompe pas. Mais je dois repousser de toutes mes forces les insinuations perfides d’intrigues, d’ambition, que me lance M. Labory. Il ne dépend plus de lui aujourd’hui de déverser le blâme sur qui que ce soit. Nos collègues sont à même de nous juger tous deux, et je crois devoir clore ainsi toute discussion avec le prud’homme bien-aimé de la préfecture.

J’ai l’honneur, etc.

EDOUARD.

 

La physionomie que prennent les différens partis qui se disputent l’avenir de la France est telle, que de tristes et amères réflexions viennent s’emparer de tout ce qui porte un cœur généreux et ami de l’humanité. – La haine des hommes de la monarchie pour tous ceux qui se dévouent aux intérêts de tous ; – la mort du député dulong, parent et ami du vertueux dupont (de l’Eure)1 ; – aujourd’hui, la retraite de ce dernier, que cette mort si douloureuse pour tous les hommes de bien, et l’impuissance de rien faire pour l’amélioration du sort du peuple, forcent à rentrer dans la vie paisible et douce de la famille, tout ceci, d’une voix tristement solennelle, voudrait-il dire que des pleurs de sang menacent encore le pays ?… Oh ! nos cœurs se soulèvent indignés quand nous mesurons la valeur des faits si mesquins qui se sont accomplis depuis nos trois grands jours ! – La mort de dulong est un de ceux qui portent malheur à ceux qui l’ont provoqué ; et nos lecteurs [7.2]savent sans doute la part qu’a pris à cette mort fatale un aide-de-camp du roi si connu, M. de rumigny2, part assurément indigne d’un homme de bien et surtout d’un militaire français. – Puissent nos tristes prévisions être seulement le résultat de l’influence qu’exerce sur nos pensées d’aujourd’hui la mort si prématurée de ce digne représentant du pays !!!

Nous désirerions que notre journal pût contenir et livrer à nos lecteurs tous les discours prononcés sur sa tombe, car tous ont été dignes de cette triste solennité ; mais, ne le pouvant, nous nous bornons à citer celui de l’avocat dupont, atteint naguère des monstrueuses rigueurs du parquet de Paris :

« Messieurs,

Dulong fut avocat ; le barreau lui doit un dernier adieu.

La profession d’avocat, comprise et accomplie comme elle doit l’être, n’est pas une industrie à amasser de l’or ; c’est un plus noble métier, c’est un métier de dévoûment et de sacrifices.

Dans des temps ordinaires, où la société vit calme et paisible, l’avocat a plus de devoirs que les autres citoyens. Il doit se faire un strict point d’honneur de ne prêter sa parole qu’à des procès que sa conscience légitime. Mais il doit surtout une protection désintéressée aux causes du pauvre et du faible. Entre un client riche qui offre d’acheter son talent avec de l’or, et un citoyen pauvre qui se réfugie dans son cabinet comme dans un lieu d’asile, l’avocat, le véritable avocat n’hésite pas un instant : c’est le pauvre qui est son client. Il y a là un patronage d’humanité que l’avocat revendique avec orgueil.

Dans ces momens solennels qui précèdent la chance dernière d’un combat singulier, l’homme est toujours amené à un examen de conscience. Cet examen, Dulong n’avait point à le redouter ; il pouvait regarder, sans rougir, toute sa vie passée, et il pouvait se dire : J’ai été un véritable avocat.

J’ai dit les devoirs de l’avocat dans des temps à peu près paisibles. Mais dans des temps de luttes sociales, lorsque le sanctuaire des lois devient une arène politique, où la liberté lutte contre le pouvoir ; lorsque la justice descend à l’état mesquin de faction ou de parti ; lorsque le pouvoir accuse avec une fureur aveugle ; lorsque l’avocat doit défendre avec un dévoûment sans bornes ; alors la profession d’avocat s’agrandit et s’élève de tout le dévoûment qu’elle impose. On se passionne pour un état qui devient de plus en plus périlleux, on aime ces orages où la foudre à chaque instant menace votre tête ; on appelle le danger sur sa tête pour le détourner de la tête de son client. Le sacrifice est toujours prêt… Ah ! c’est alors un bien noble métier que le métier de l’avocat !

Dulong avait accepté la profession tout entière, avec ses périls, avec ses orages, avec ses belles nécessités de dévoûment.

Sous la restauration, son pays le trouva toujours prêt à lutter contre le pouvoir, et depuis la révolution de juillet, je l’ai souvent entendu regretter que ses occupations de député l’éloignassent momentanément des luttes politiques que nous avons soutenues au barreau ; et quelques jours avant sa mort, il me disait qu’il allait venir nous aider dans ces combats de plus en plus périlleux… Une balle a brisé tous ces desseins de dévoûment.

Dans des temps ordinaires, dans des temps où la probité politique serait la présomption commune, dans des temps où la corruption ne ferait pas parler tant de bouches et taire tant de consciences, dans un temps où la tribune n’entendrait que des voix pures, alors respect le plus entier aux opinions. Celui qui viendrait jeter une épée dans l’un des plateaux de la balance où se pèsent les destinées de l’état, celui-là ne serait qu’un spadassin. Voila ce que dit la raison.

Mais il est des temps d’anarchie morale où la raison doit sommeiller comme sommeille la probité politique. Il est des temps où la vérité devient une injure mortelle pour un grand nombre d’hommes ; et cependant il faut dire la vérité : c’est un devoir. Il faut signaler la corruption là où la corruption se trouve, la trahison là où la trahison se trouve, l’ignominie là où l’ignominie se trouve. Il faut dire la vérité : c’est un devoir. Mais vous allez offenser tant de gens ! et tant de gens vont, les armes à la main, vous demander raison de la vérité ! Que faire ?… Moi, je réponds : il faut encore dire la vérité, et la dire plus haut, puisqu’il y a plus de péril à la dire. Le beau dévoûment en effet de proclamer la vérité, quand on la dit sans danger et comme un courtisan dirait une flatterie !

Nous vivons dans un de ces temps de corruption où l’homme de conscience, s’il ne veut pas mentir à la vérité, doit avoir une épée au [8.1]service de sa pensée. Dulong avait compris la triste époque où il vivait. Sa vie ne lui appartenait pas plus que la nôtre ne nous appartient. Sa vie appartenait à la vérité, et quand la vérité lui a demandé sa vie, il a exécuté le pacte, il a donné sa vie. (Applaudissement général.)

Mourir ainsi pour la vérité, n’est-ce pas la plus éloquente manière de plaider pour elle ? c’est l’éloquence du martyre ! Mourir ainsi pour la vérité, n’est ce pas la plus belle péroraison de la vie d’un avocat ?

Adieu, Dulong ! »

 

Le roi fit secrètement appeler dans son cabinet l’homme auquel on avait donné le surnom de geôlier.

– Baron, lui dit-il, on vante votre adresse. – Sire, c’est me faire trop d’honneur. – Personne, dit on, ne sait mieux que vous frapper son adversaire d’un coup d’épée ou lui envoyer une balle à plein corps à une grande distance. – Sire, ma lame est bonne, ma main sûre, et je suis à votre service. – Eh bien ! mon cher baron, ajouta le roi d’un air caressant, et qu’il savait si bien prendre avec ses courtisans, le moment est venu de me prouver votre bonne volonté. – Parlez, sire… – Ici le roi dit quelques mots à l’oreille du baron, puis il ajouta en lui prenant la main : « Celui que je vous désigne, il faut le provoquer au combat, viser juste et le mettre à mort ; entendez-vous bien ? – Sire, vous serez obéi. »

Le lendemain 24 avril 1617, le baron de Vitry, qui avait été le geôlier du maréchal de Biron, plongea lâchement son épée dans le cœur du maréchal d’Ancre avant que celui-ci eût le temps de tirer la sienne du fourreau… et le soir on dansa à la cour.1

 

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Je compte sur votre obligeance pour vouloir insérer dans votre prochain numéro ma dernière réponse à M. Noyer, voulant cesser un débat qui me devient fatigant.

M. Noyer s’est plaint, dans sa dernière, de ce que l’ai nommé misérable ; j’ai cru devoir me servir de cette expression plutôt que d’une plus forte : le public jugera.

Dans le principe, j’avais remis une mécanique à M. Dubois sans garantie ; ce dernier la vendit à M. Noyer, qui, quelques jours après, se plaignit, comme de droit, que la garniture de crochets aiguilles (qui n’est pas mon ouvrage), était mal confectionnée. Après avoir essayé la mécanique, j’aurais préféré, pour éviter tout débat, la lui changer ; mais il me demandait, par sa lettre, et pour toute indemnité, la somme de 20 fr. que je lui donnai sur un reçu.

Maintenant il refuse de me rendre la première, quoiqu’il connaisse la bonté de la seconde, que je lui ai remise. Je laisse donc au public le soin de juger si mon expression n’est pas au-dessous de la conduite du sieur Noyer, qui, pour se libérer avec moi, me traite de charlatan.

Je ne conçois pas ce que M. Noyer veut dire avec ses experts ; si c’est pour la première mécanique, il a tort ; j’ai reconnu moi-même que la garniture n’allait pas, et je l’en ai indemnisé. Si c’est pour la seconde, il a encore tort, car il ne s’en plaint pas. Il a donc gagné le gros lot à ma loterie.

Je ne vois pas pourquoi M. Noyer, qui a l’air de penser que je lui doive une indemnité plus forte que celle qu’il m’a demandée, ne m’en fasse pas une demande juridique ; il me sait solvable ; et moi, pour avoir ma mécanique, je n’ai aucune garantie que sa bonne foi.

Agréez, etc.

dazon.

Note du rédacteur. – Avant de recevoir cette lettre, nous avions pensé que l’on pouvait être bon mécanicien et faire parfois de mauvaises mécaniques : cette pensée [8.2]du reste, était assez bien appuyée en faveur de M. dazon, par les nombreux certificats que nous avons publiés avec sa première lettre ; mais, en ce qui nous concerne personnellement, et pour garder ce que l’on peut appeler, sans rigorisme, les strictes convenances que nous imposent, à nous, comme à tous, notre devoir de journalistes, nous supprimerons à l’avenir, et de notre propre mouvement, toutes les expressions injurieuses qui, publiées dans notre journal, nous en écarteraient.

 AVIS DIVERS.

(318) A LOUER, appartement de 6 ou 9 pièces, si l’on veut, dont un hangar de 60 pieds de longueur sur 20 de largeur, propre à un établissement de soierie. S’adresser sur les lieux, à M. Matrat, propriétaire, route de Vienne, n. 4, en face le fort de La Mothe, à la Guillotière.

(317) A VENDRE, une mécanique en 744 courant, corps et remisse en soie, travaillant pour étoffes d’ameublement. S’adresser au bureau.

(316) A VENDRE, une mécanique longue de deux rangs, à la piémontaise, de 24 guindres. S’adresser chez M. Milan, plieur de poil de peluche par fils, rue St-Georges, n. 73.

(314) Le sieur DAVID, inventeur breveté pour les nouvelles mécaniques à dévider et à faire les cannettes ensemble ou séparément, approuvé par la chambre de commerce de Lyon et la Société de lecture et d’encouragement de la même ville, qui lui a décerné une médaille en séance publique, prévient qu’il construit ces mécaniques à faire les cannettes seulement d’une manière des plus économiques, tant pour les prix que pour l’emplacement. Sur un de ces rouets de la longueur de trois pieds sur un de large, il s’y fait 12 cannettes à la fois ; il les construit selon les besoins de chacun, pour faire 4 cannettes seulement jusqu’à 30 et au-dessus. Il fait des échanges et revend celles de rencontres.

(312) On demande une dévideuse à gage ou différemment. S’adresser à M. Gagnière, rue Dumenge, n° 13.

(311) Une mécanique ronde de 12 guindres avec le détrancanage, de Delègue et Bailli, un pliage avec différens rasteaux. S’adresser à M. Curiat, quai Peyrollerie, n° 130.

(210) A VENDRE, ensemble ou séparément, 2 métiers en 6/4, en 1500 ; un métier de corps plein, suite d’ouvrage et suite du loyer si l’acheteur le désire. S’adresser au bureau.

(309) A VENDRE, pour cessation de commerce, 4 métiers travaillant, dont un en 6/4, un en 5/4, et deux en 4/4. On cédera la suite du loyer si l’acheteur le désire. S’adresser au bureau.

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A Lyon, chez J. perret, rue St-Dominique, n° 13.

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Notes ( Des Coalitions.)
1. Il s’agit ici d’Adolphe Blanqui.

Notes (  Un journal de cette ville a dit que le...)
1. Votée par l’association des mutuellistes le 12 février, suivie par les ferrandiniers, une suspension générale des métiers avait été décidée par solidarité avec les peluchiers dont les tarifs, sur l’un des rares secteurs de la Fabrique alors en croissance, avaient pourtant été rognés et revus à la baisse par les négociants. Le 14 février, l’ensemble des métiers avaient cessé de battre à Lyon. Il s’agit de l’un des premiers exemples d’une grève générale, et cet événement attestait du degré de cohésion et d’organisation du mouvement mutuelliste lyonnais. Cette grève, à laquelle s’opposera l’inflexibilité tant des négociants que du gouvernement, durera cinq jours et la reprise du travail, votée le 19 février, s’effectuera le 21.

Notes (  La physionomie que prennent les différens...)
1. Il s’agit ici de Jacques-Charles Dupont de l’Eure (1767-1855).
2. Provoqué en janvier 1834 dans un débat à la Chambre des députés, le marquis Thomas-Robert Bugeaud (1784-1849), encouragé par un proche de Louis-Philippe, Marie-Théodore Gueilly, vicomte de Rumigny (1789-1860), avait tué en duel le député républicain François-Charles Dulong (1792-1834).

Notes (  Le roi fit secrètement appeler dans son...)
1. Il s’agit ici d’une référence directe à la mort de Dulong mentionnée dans l’article précédent. En 1617, Concino Concini (1575-1617), maréchal d’Ancre, avait été assassiné, sur ordre de Louis XIII, par Nicolas de l’Hospital, duc de Vitry (1581-1644). La notice mentionne aussi ce dernier comme geolier du maréchal Charles de Gontaut-Biron (1561-1602).

 

 

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