L'Echo de la Fabrique : 23 février 1834 - Numéro 60

Au Rédacteur.

[5.2]Lyon, le 18 février 1834.

Monsieur,

J’abuse sans doute de votre complaisance en continuant une lutte désagréable pour tous ; mais que M. Dazon montre dans sa défense plus de franchise et moins de fiel, et tout finira là. Comme vous, monsieur, je pense que l’on peut faire de mauvaises mécaniques et être bon mécanicien, si toutefois on est mécanicien, ce que n’est pas et n’a jamais été M. Dazon. A lui l’enclume, mais jamais le rabot. Mais celui qui a promis de réparer sa faute par une indemnité proportionnée à la perte de temps qu’a pu causer sa mauvaise fabrication, est-il en droit de retirer sa parole ? Croyez-vous qu’avec 20 fr. M. Dazon ait pu me dédommager de vingt-trois journées perdues ? Il est vrai que j’avais demandé cette somme pour toute indemnité, mais sous la condition que ma mécanique serait remplacée sur le champ. J’espérais qu’une aussi faible demande forcerait M. Dazon à hâter le remplacement de ma mécanique. J’avais compté sans mon hôte ; car je n’ai reçu la seconde que dix jours après. La besace sera-t-elle donc toujours au pauvre ? Qui de M. Dazon ou de moi devait supporter cette perte ? Est-ce celui qui a fait la faille, ou celui qui en a été sa victime ? M. Dazon prétend que je refuse de lui rendre cette mécanique. D’abord il n’est pas encore venu la réclamer ; et en second lieu, puisqu’il en nie la garantie, je ne dois la rendre qu’à M. Dubois, premier vendeur qui me l’a garantie lui-même ; je ne peux pas perdre mes droits. Pourquoi M. Dazon n’est-il pas venu à la maison me proposer un arrangement ? Je l’aurais accepté à une perte raisonnable.

S’il croit que l’expression de misérable n’est pas assez forte, qu’il en emploie une autre, non en se faisant un rempart des colonnes de votre journal, mais en s’adressant à moi-même, et je lui répondrai. Le mauvais état de la mécanique ne provient nullement des crochets-aiguilles. La garniture est bonne, mais la mécanique est totalement désajustée et mal fabriquée. Je ne cherche pas à convaincre par des mots, mais par des preuves. M. Dazon demande pourquoi je ne l’ai pas attaqué judiciairement ; c’est que, renvoyé par MM. les prud’hommes par devant la justice de paix, M. Dazon me menaça de me laisser faire des frais et de faire manger de l’argent ; ce sont ses propres expressions. Je crus alors devoir en rester là. Le mot de charlatan a déplu à mon détracteur. Comme lui, j’ai cru devoir me servir de cette expression plutôt que d’une plus forte. S’il veut bien se rendre justice, et jeter un léger coup-d’œil sur ses prospectus, il me saura gré de ma modération. Un mot encore, s’il vous plaît. M. Dazon prétend qu’il n’a pour garantie que ma bonne foi ; je suis fâché de ne pouvoir en dire autant de lui.

Que M. Dazon, maintenant, s’efforce de prouver à vos lecteurs intelligens que ce qui est blanc est noir, et qu’il fait nuit quand il fait jour ; pour moi, satisfait du jugement qu’ont porté sur cette affaire plusieurs chefs d’atelier au moins aussi honorables que M. Dazon, et qui savent très bien que je ne suis pas seul victime de l’incapacité de ce mécanicien, et que bien d’autres dans Lyon ont à se plaindre de ses ouvrages ; satisfait, dis-je, de l’approbation du public, auquel il en a appelé lui-même, je garderai désormais le plus absolu silence, laissant un libre essor aux vexations, injures et calomnies de l’homme solvable.

Je ne terminerai pas cette lettre, la dernière que j’aurai l’honneur de vous écrire à ce sujet, sans vous dire pourquoi de bonnes et mauvaises mécaniques sont sorties du même atelier. Le sieur Dazon ne fut jamais mécanicien ; il n’entreprit cette partie qu’afin de faire concurrence avec les autres mécaniciens, qui refusaient de se servir de ses ferrures qui, dit-on, étaient mal confectionnées. Il prit à cet effet des ouvriers, les uns bons, les autres mauvais, et il leur dit : Voila du bois, faites-en des mécaniques, et leur jeta, comme ou dit, la bride sur le cou. Quelle sûreté pour les acheteurs ! De là les plaintes des chefs d’atelier, de là le renvoi des mécaniques, de là aussi les certificats qui ont paru sur votre N° 56.

Agréez, etc.

A. noyer.

 

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