L'Echo de la Fabrique : 2 mars 1834 - Numéro 61

 De nos très hauts et très puissans collègues
DU COURRIER DE LYON.

MM. du Courrier de Lyon commencent ainsi l’un de leurs derniers articlesi : « Si l’importance de la question qui vient de se débattre et de se résoudre dans nos murs, etc. » – Les pauvres hommes ont en vérité la vue bien courte si des faits qui viennent de s’accomplir ils n’ont tiré d’autre enseignement que ce qu’ils ont bavardé pendant, et ce qu’ils bavardent encore après ; et nous ne savons trop si, pour nous, il ne vaudrait pas mieux traîner pendant quinze jours la chaîne du galérien, que de nous imposer l’obligation de mettre aujourd’hui sous les yeux de nos lecteurs quelques-unes des mille absurdités qu’ils ont placardées dans leur lourde et grotesque feuille chaque matin des jours de cette semaine à nos yeux si imposante par son calme et morne silence, et si riche d’avenir.

Toutefois, comme nous devons ménager la patience de nos lecteurs (et il en faut pour subir le Courrier de Lyon), [1.2]nous serons avares autant que possible des citations.

« La position que l’autorité devait prendre (a dit ce journal dans son N° du 17 février) entre les fabricans et les ouvriers était nettement tracée. Elle a dit aux uns et aux autres : Je n’ai rien à voir dans vos débats industriels ; réglez vos intérêts comme bon vous semblera. Vous, fabricant, proposez le prix de façon que vous croirez convenable ; vous, ouvrier, cessez de travailler si ce prix ne vous convient pas. Elle a ajouté qu’elle s’opposerait à ce que la paix publique fût troublée ; elle a déclaré qu’elle saurait au besoin faire respecter les personnes et les propriétés, et elle s’est mise en mesure de tenir parole. »

Nous n’avons pas la prétention de discuter ici si cette position était bien celle devant être prise par l’autorité, et nous ne ferons rien non plus pour prouver que mieux vaut peut-être qu’elle soit restée muette au milieu de ce débat ; mais alors pourquoi avoir invité un peu plus haut, dans l’article dont nous venons de donner un extrait, les chambres et le gouvernement à prendre en considération sérieuse ce qui se passait à Lyon depuis quelques jours ? Il nous semble, à nous, que les autorités d’une cité étant une ramification du corps que nous appelons gouvernement, il est singulièrement bizarre de vouloir que ce corps se meuve et agisse tout en commandant l’immobilité à ses membres ; et nous nous demandons aussi à quoi peuvent servir ces mêmes autorités, si ce n’est pas à rétablir l’harmonie et la paix, si ce n’est à appeler les citoyens à une conciliation de leurs intérêts respectifs en vue de l’intérêt et de la prospérité générale ? Mais alors quelle est donc leur mission ? Nous n’en voyons pas d’autres, si ce n’est de mitrailler au besoin les parties pour clore leurs débats.

Mais voila que dans un autre articleii, le Courrier nous donne quelques détails sur l’association des Mutuellistes, dans le seul but de fournir au député chiron l’occasion de monter à la tribune pour faire savoir à ses très honorables collègues qu’il a un Courrier dans sa poche, qui dit que l’association a été fondée par un membre influent de la Société des droits de l’homme ! Un autre que :

« L’association est un véritable pouvoir, et celui de tous dont les ordres sont le mieux exécutés ; et qu’il s’en faut de beaucoup que le préfet du département ou le lieutenant-général qui commande la division, trouvent dans leurs subordonnés une obéissance aussi passive et aussi prompte. »

[2.1]Puis un autre qui dit encore que, etc. ; et que, par tous ces motifs, l’arrêt de mort de ladite association doit être impitoyablement prononcé. Nous trouvons dans le même article les quelques lignes qu’on va lire, et qui disent assez le rôle honteux que ce journal a joué en ces momens difficiles et graves :

« Nous l’avons annoncé dès le premier jour où l’orage a fait explosion, il n’y aura aucune collision, et le danger est tout entier pour l’avenir ; si rien ne doit être changé à une situation aussi extraordinaire que la nôtre. Nos prévisions se fondaient sur les moyens matériels de répression dont l’autorité disposait, sur 1’active intelligence et sur l’harmonie de nos fonctionnaires, sur la déconvenue des libérateurs de la Savoie, sur le courage civil des fabricans. Nous avons dit, dès le premier jour, dans l’intérêt du maintien de la paix de la cité, que le pouvoir était en mesure de donner une leçon sévère aux mauvais ouvriers qui oseraient troubler l’ordre et recommencer une insurrection ; ces paroles n’ont pas été peut-être sans influence sur les factieux à qui seuls elles étaient adressées. L’esprit de parti nous les a reprochées, mais son blâme est un éloge ; quelques-uns de nos amis, un peu sous le poids de ces folles frayeurs dont notre ville a été saisie, les ont appelées imprudentes ; mais nous aussi nous avons des devoirs à remplir, et celui de dire la vérité à l’anarchie et à la démagogie est le premier de tous. Ce n’est pas nous qui reculerons jamais devant leur accomplissement, nous que les trois journées de novembre ont trouvé au poste assigné par nos institutions à leurs défenseurs, et qui n’avons pas redouté alors de jeter à la révolte armée son nom odieux à la face. »

Comme le pauvre journal, nous pensons que la question est toute dans l’avenir et dans un avenir très prochain ; mais s’il n’y a eu aucune collision, il faut bien le dire, c’est que les ouvriers de notre cité, tirant pour l’avenir meilleur profit que leurs adversaires des leçons douloureuses du passé, ont trouvé dans l’immense et l’indestructible coalition qu’ils viennent de révéler, un moyen moins violent et beaucoup plus certain de forcer au respect de leurs droits. Mais qu’ils aient reculé devant les moyens matériels que l’autorité avait entre les mains pour lui donner une VIGOUREUSE LEÇON, c’est ce que nous nions hautement : on sait assez, en effet, que le peuple n’est pas dans l’habitude de calculer les forces et le nombre de ses ennemis, et d’ailleurs MM. du Courrier de Lyon savent bien quels puissans matériaux étaient entre les mains de l’association, et qu’elle aurait pu opposer dans cette lutte l’immense concours de la population ouvrière de Lyon, sans distinction d’industries ; car, il faut bien que chacun le sache, aujourd’hui tous les travailleurs se tendent la main ; car ils ont compris que le triomphe de leur noble cause était dans leur union intime et générale.

Nous avons peu de chose à dire sur l’harmonie des fonctionnaires et leur active intelligence, nous constaterons seulement un fait qui a pu échapper à beaucoup d’entre nos concitoyens, c’est que bon nombre des placards affichés à cette occasion, l’ont été sans l’approbation et le visa du préfet Gasparin.

Pour ce qui est du courage civique des fabricans, nous croyons devoir nous taire, et nous pensons que ces Messieurs même trouveront la plaisanterie du Courrier d’un fort mauvais goût.

Enfin, nous terminons l’analyse de cette citation en faisant observer à MM. du Courrier qu’il y a, malheureusement pour la cause qu’ils ont embrassée, beaucoup d’hommes disposés à ne défendre désormais que les institutions protectrices de tous les droits de tous les citoyens sans distinction de classes, et qui ne sauraient s’applaudir comme eux d’avoir répondu à ce cri : DU TRAVAIL ET DU PAIN EN TRAVAILLANT ! par des coups de fusil. – A ceux-là, et nous soutenons qu’ils sont en grand nombre, il a fallu, par un atroce [2.2]machiavélisme impossible à renouveler désormais, dire que le peuple voulait le pillage et la dévastation des propriétés ! – Pour ce qui est de la lâche insolence de MM. du Courrier de Lyon, nous savons qu’aujourd’hui comme alors ils ne se sont guère amendés, et aujourd’hui comme alors, nous n’avons pour eux que pitié et mépris.

« Nous désirons, disait aussi ce journal dans son N° du 18, un rapprochement définitif et durable entre les fabricans et les ouvriers, honorable pour les uns comme pour les autres, et établi sur des bases qui rendent impossible le retour de ces funestes démêlés. Tous les intérêts de la cité sont engagés dans leur querelle, toutes les classes de citoyens souffrent de ce débat, et ressentent le contre-coup des dommages qu’il leur fait éprouver. »

A ce langage vous seriez peut-être, lecteurs, tentés de croire à la bonne foi de ceux qui l’ont parlé ; mais lisez les lignes suivantes, prises un peu plus bas dans le même article, et puis vous vous demanderez s’il est possible de mentir aussi impudemment à sa conscience et en face du public que le font MM. du Courrier de Lyon.

« Que les fabricans persistent quelques jours seulement encore dans leur système d’inertie, qu’ils attendent en paix dans leurs magasins le retour de l’ordre, qu’ils se refusent à toute concession, à toute transaction individuelle ; leur faiblesse perdrait leur cause, et jamais elle n’a été si belle. Ils ont pour eux non-seulement leur droit et la loi, mais encore un nombre de plus en plus considérable d’ouvriers indignés de la tyrannie de la commission exécutive et las d’être opprimés au nom de la liberté. »

En vérité, voila de singuliers procédés de conciliation, et ces messieurs doivent être aujourd’hui fort mécontens que nul ne s’en soit remis à leurs moyens pour la solution de cette question. Après cela nous comprenons très bien la fureur de ces saints personnages en voyant des citoyens de diverses opinions, dépouillant leur caractère politique, se jeter au milieu de la tempête et faire entendre des paroles de paix et de concorde, et surtout en voyant le nom de M. Anselme petetin, mêlé à ceux de quelques autres citoyens de Lyon. – Oh ! Il leur fallait bien alors, appelant à leur secours la bassesse et la calomnie, chercher à égarer l’opinion sur les motifs de cette démarche, et la présenter comme une mesquine tactique de parti. Enfin, personne, même parmi ceux des citoyens qui n’appartiennent pas à l’opinion républicaine, n’a, dans cette circonstance, été à l’abri des plates et grossières injures vomies contre tous par MM. du Courrier de Lyon. – Ceci, du reste, n’est pas un grand malheur pour ceux que l’ignoble Journal a poursuivis jusque dans cet acte qui, nous en sommes convaincus, nous, leur avait été dicté par la seule voix de l’humanité.

Mais nous n’en finirions pas si nous voulions reproduire et relever ici toutes les absurdités, insolences et contradictions débitées sans pudeur aucune par le Courrier, et ce serait d’ailleurs abuser de la patience de nos lecteurs ; c’est pourquoi nous allons clore notre revue par le paragraphe suivant, aussi étrangement ridicule, pour ne rien dire de plus, que tout ce qui a été dit par ce journal dans ces graves circonstances.

« Des ouvriers confectionnent une étoffe pour le fabricant à un prix convenu par écrit. Au beau milieu de la besogne, la fantaisie leur prend de revenir sur la chose convenue : ils somment le fabricant d’accorder une augmentation. A défaut de ce, ils arrêtent tous ses métiers, et non-seulement les métiers du fabricant qui refuse de subir leur loi, mais encore ceux d’autres industriels avec lesquels ils n’ont rien à débattre. L’injustice et la mauvaise foi sont évidentes ici. Si ce salaire est insuffisant, pourquoi l’avez-vous consenti ; s’il est suffisant, pourquoi manquer à vos engagemens ? Encore une fois, le droit n’est pas douteux ; le fabricant ne peut transiger sur une question aussi nettement posée. »

[3.1]Nous demandons tout d’abord ce que c’est que ce prix convenu, sous l’empire duquel les ouvriers confectionnent l’étoffe pour le fabricant, et comment MM. du Courrier de Lyon l’appellent ? Est-ce mercuriale, contrat, voir même tarif ? – Pour nous, l’une de ces trois dénominations équivaut aux deux autres ; et, en vérité, nous avons pitié de leur tartuferie, à eux qui jouent l’étonnement quand au beau milieu de la besogne les ouvriers demandent une augmentation au mépris du prix convenu par écrit. Ces messieurs savent fort bien que ce contrat est l’ouvrage d’un seul, imposé par le fabricant, et que ce n’est que sous son acceptation qu’une pièce est livrée aux mains de l’ouvrier. – Ils savent très bien encore que l’ouvrier l’accepte quel qu’il soit, quitte à revenir sur la chose convenue, parce que pour lui il n’y a point de milieu entre le besoin de travailler et le besoin de vivre ; ce contrat est pour lui la formule du voleur de grands chemins : La bourse ou la vie. – Et, sans contredit, s’il y a au fond de ceci injustice et mauvaise foi, ce n’est pas chez celui qui se courbe devant la loi qui lui est imposée, quelque révoltante qu’elle soit, mais bien chez celui qui l’impose, quand il sait fort bien que la nécessité et l’horreur de la faim peuvent seules la faire accepter. – S’il y a injustice et mauvaise foi, c’est certainement chez MM. du Courrier de Lyon, qui, fermant déjà les yeux sur ce qui vient de se passer, sur l’imposante attitude de l’ouvrier, sur sa scrupuleuse attention à éviter tout ce qui aurait pu donner lieu à quelques troubles, enfin, sur la sécurité qu’il a été donné à l’autorité seule de bannir pendant quelques instans hors du sein de notre ville par ses belliqueuses démonstrations et ses placards mensongers et calomnieux, ont assez de bassesse dans le cœur pour tenter, ce qui ne saurait être possible, d’égarer l’opinion du pays sur la justice et la bonté de la cause des ouvriers, en les montrant à ses yeux comme des hommes sans foi et sans loyauté.

Notre intention ne saurait être de discuter aujourd’hui si, en d’autres temps, il eût été juste de respecter un contrat librement discuté et librement accepté ; nous ne discuterons pas davantage s’il n’eût pas été plus heureux pour ceux que le Courrier de Lyon défend si maladroitement, de prendre, avec l’association dont nous sommes l’organe, des engagemens plus durables que ceux qui ont été pris de part et d’autre sur la foi de l’honneur. novembre et février ont posé la question dans un tout autre sens, et ce n’est plus aujourd’hui pour les 25 c. qu’il plaît au journal de la haute et basse police, d’appeler une question sordide, mais bien pour une réforme qui place enfin les travailleurs au rang qu’ils doivent occuper dans la société comme premiers et indispensables leviers de production. – S’il en était autrement, si le peuple travailleur n’était pas encore arrivé à comprendre que c’est là son droit inviolable, et le plus sacré, nous demanderions un TARIF, et nous prouverions sans peine que, dans notre état de morcellement et de lutte constante de tous les intérêts, ce tarif serait non-seulement une nécessité pour donner une limite aux prétentions du maître comme à celles de l’ouvrier, mais encore un avantage incontestable pour ceux qui, en déchirant celui qu’ils avaient consenti, ont amené une catastrophe qui a laissé plus d’une douloureuse plaie au sein de notre population.

Nos lecteurs comprendront pourquoi nous ne disons rien des efforts faits pour rattacher à la politique républicaine la coalition qui vient de donner à la face de tous un essai de sa force et de son pouvoir ; rien non [3.2]plus des tentatives faites en tous sens pour jeter la défiance et la désunion dans le camp des travailleurs, parce qu’au fond de tout cela nos lecteurs ont bien compris qu’il y avait mensonge et calomnie.

Nous ne dirons rien non plus de la mesure prise si tardivement par nos autorités, pour purger la ville des malfaiteurs et hommes à figures suspectes qu’elles avaient elles-mêmes déclaré être venus en grand nombre pour profiter des désordres qui auraient pu surgir dans son sein, si, avant tout, les travailleurs n’eussent dit bien haut et à tous qu’ils repoussaient le désordre : ceci nous semble une tactique politique méprisable dont nous n’avons pas, nous, à nous occuper.

Que MM. du Courrier de Lyon veuillent bien nous permettre, en terminant, de leur poser cette question :

En supposant (ce qui n’est pas supposable) que les fabricans voulussent profiter du conseil qu’ils leur donnent assez maladroitement dans un petit article adressé au Précurseur, comment, disons-nous, s’y prendraient les fabricans pour refuser de l’ouvrage à 120 présidens de loges ?

Pour une mesure de ce genre, il faudrait avant tout une harmonie qui n’existe et ne saurait exister parmi les fabricans, et lors même qu’elle existerait, comment feraient-ils pour refuser, le lendemain, puis un autre lendemain, de l’ouvrage à 122 présidens de loges renouvelés ? En vérité, cette menace si niaise et si ridicule dit assez haut la sauvage imbécillité du journal aux 150 patrons, recommandables avant tout par la situation brillante et prospère de leurs COFFRES-FORTS.

Notes de fin littérales:

iCourrier de LyonLe Courrier de Lyon, 25 février25 février 1834.
iiCourrierLe Courrier de Lyon du 22 février22 février 1834.

 

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